Il a été un peu long à venir mais la France a finalement fait savoir par la voix de son ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, devant l'Assemblée nationale, mardi 27 novembre, qu'elle votera "oui"à la demande de reconnaissance de la Palestine comme Etat non membre de l'ONU, jeudi 29 novembre. Le député de Seine-Maritime Laurent Fabius et le député de Corrèze François Hollande avaient, il est vrai, cosigné en 2011 une proposition de résolution en ce sens qui les obligeait un tantinet, même si le président de la République avait ensuite laissé entendre le contraire en mentionnant "la tentation pour l'Autorité palestinienne d'aller chercher, à l'Assemblée générale des Nations Unies, ce qu'elle n'obtient pas dans la négociation") à l'occasion de la visite à Paris du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, le 31 octobre.
La France a des réserves sur le timing de l'initiative et ses conséquences compte tenu des positions hostiles des Etats-Unis et d'Israël, mais Paris a fini par considérer comme intenable l'option de l'abstention qui aurait signifié un lâchage en bonne et due forme de l'Autorité palestinienne juste au moment où elle sort marginalisée du dernier affrontement en cours entre Israël et le Hamas.
Car Israël votera, lui, "non" et ne se prive pas de menacer Ramallah de représailles. Convertie au clip vidéo, la diplomatie israélienne vient de produire deux petits films censés illustrer le caractère irrationnel de l'initiative palestinienne, présentée comme une fuite en avant pour éviter le chemin de la négociation (à laquelle pas un seul amateur de ce dossier ne croit aujourd'hui).
Le premier film illustre la politique de la chaise vide choisie selon Israël par le président de l'Autorité palestinienne :
Le second met en scène l'autobus des espoirs palestiniens promis à la sortie de route par la volonté d'un irrascible conducteur à chemise à carreaux, sourd à toute courtoise mise en garde, Mahmoud Abbas :
L'extrait de la séance de question au gouvernement :
M. le président. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine [communistes et Front de gauche].
M. François Asensi. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.
La voix de la France au Proche-Orient est attendue. Il est temps, il est grand temps que la France reconnaisse enfin l'État palestinien. Ce jeudi, elle doit dire oui à son entrée à l'ONU ! Il y a soixante ans, le plan de partage prévoyait la création de deux États. Soixante ans plus tard, le peuple palestinien n'en peut plus d'attendre enfin sa terre ! Il a connu soixante années d'humiliations, de colonisation et de souffrances. Malgré ces souffrances, ce peuple pacifique a fait le choix de la lutte politique et du compromis, autour du président Abbas.
M. Claude Goasguen [UMP]. Ben voyons !
M. François Asensi. Reconnaître l'État palestinien est un signe fort pour que cessent les colonisations en Cisjordanie et pour redonner crédit aux dirigeants palestiniens. Face aux provocations des groupes extrémistes et des États belliqueux, la création de cet État représente aussi la meilleure garantie pour la sécurité d'Israël, à laquelle nous sommes attachés. Il est urgent de redonner espoir au peuple de Palestine. Le monde attend ce geste de la France. Au nom des députés communistes et du Front de gauche, je m'adresse solennellement au chef de l'État, qui avait fait de cette question un engagement de campagne. Monsieur le ministre des affaires étrangères, faites le choix de la liberté et de l'humanisme, en toute indépendance ! Dans son histoire, la France a su faire preuve de sa loyauté avec courage et a pris la cause des peuples. Grandissez la France ! Reconnaissez l'État palestinien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs des groupes SRC [socialistes et apparentés], écologiste et RRDP [radicaux de gauche et divers gauche].)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, vous m'interrogez sur le vote que la France prononcera jeudi ou vendredi prochain à propos de la reconnaissance de l'État palestinien. Nous exprimerons ce vote avec cohérence et lucidité. Vous savez que depuis des années, la position constante de la France a été de reconnaître l'État palestinien. Ce fut vrai en 1982 avec le discours que François Mitterrand a prononcé devant la Knesset.
M. Jean Glavany [PS]. Très beau discours !
M. Laurent Fabius, ministre. Ce fut vrai l'année dernière, lorsque la France a voté en faveur de la reconnaissance de la Palestine à l'UNESCO. Ce fut vrai quand, durant la campagne présidentielle, dans l'engagement n°59, le candidat François Hollande, devenu Président de la République, s'était engagé dans le même sens. C'est la raison pour laquelle je vous réponds directement : jeudi ou vendredi prochain, quand la question sera posée, la France répondra oui par souci de cohérence. (De nombreux députés des groupes SRC, GDR, écologiste et RRDP, se lèvent et applaudissent.)Mais en même temps, mesdames et messieurs les députés, il faut faire preuve dans cette affaire de beaucoup de lucidité.
M. Claude Goasguen. Bien dit !
M. Laurent Fabius, ministre. D'une part, le texte est actuellement en discussion. J'ai eu moi-même le président Mahmoud Abbas au téléphone hier matin. D'autre part, ne cachons pas que le moment où cette question sera posée est très délicat, à la fois du fait de l'extrême fragilité du cessez-le-feu, de l'approche des élections israéliennes et du changement dans la composition de l'administration américaine. De toute façon, c'est seulement par une négociation entre les deux parties, que nous demandons sans condition et immédiate, que nous pourrons aboutir à la concrétisation d'un État palestinien. Si nous sommes à la fois cohérents et lucides, nous travaillerons pour la paix. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)
Publié par Le Monde.fr