"Alors que l'opinion publique en Europe proteste contre l'occupation depuis des années, les gouvernements européens ont continuéà en être les plus grands collaborateurs"
Bonjour, Europe. La belle au bois dormant, le continent blanc des Lumières, fait des « reproches »à Israël parce qu'il a l'intention de construire dans la région interdite, E-1. Les ambassadeurs reçoivent les reproches dus et ceux qui les font sont contents : ils ont apporté leur contribution à la paix. C'est l'Europe classique dans la plus belle tradition : une valse d'hypocrisie et de bons sentiments. Eh bien, que s'est-il passé, Europe ? Maintenant, tu te manifestes ? Maintenant tu fais des reproches ? Oùétais-tu, avant ?
L'Europe fait des reproches à Israël parce que, cette fois-ci, l'Amérique l'y autorise. Auparavant, l'Amérique l'interdisait, d'où sa retenue. Alors que l'opinion publique en Europe proteste contre l'occupation depuis des années, les gouvernements européens ont continuéà en être les plus grands collaborateurs : ils financent l'Autorité palestinienne virtuelle et donnent carte blanche à Israël pour mettre à sac et coloniser à tout va. Ce sont les ombres du passé, vous comprenez.
Il y a seulement 2 ou 3 semaines, l'Europe soutenait encore une nouvelle opération militaire israélienne inutile à Gaza, tout comme elle avait soutenu sans la moindre retenue l'opération Plomb Durci à Gaza, avec tous ses crimes de guerre, 4 ans plus tôt.
Maintenant tout cela semble terminé. Semble, seulement. Encore un jour ou deux et les reproches seront oubliés et l'Europe soutiendra une fois de plus le prochain caprice violent d'Israël. Israël qui, dans tous les cas, n'a jamais prêté la moindre attention à l'Europe, peut arrêter de s'inquiéter. Il ne s'est rien passé. Et il ne se passera sans doute jamais rien.
Comme pour les "avant-postes illégaux," qui ne diffèrent ni moralement ni légalement des " blocs de colonies légaux," l'Europe ici encore (et les Etats-Unis avec elle) s'est inventé un ogre sous la forme de la ridicule ligne rouge que serait E-1. Si Israël ose construire là-bas, cela sonnera le glas de la solution à deux Etats. Quelque 500,000 colons, ça va ; c'est juste un détail mineur, E-1, qui perturbe la paix de l'Europe.
Si l'on revient à l'été2005, quand Aluf Benn rapportait dans Haaretz l'intention israélienne de construire un poste de police dans E-1, le monde alors avait également poussé un cri de protestation et l'Amérique (suivie de près par l'Europe) "avait fait savoir sa préoccupation." Si grande, cette préoccupation, qu'elle avait donné naissance au superbe bâtiment qui abrite le Q-G de la police du district de Judée-Samarie au coeur de E-1. Tout le monde savait alors que ce n'était qu'une mise en appétit et que 3000 maisons suivraient, pourtant ils se sont retenus. Comme ils l'ont fait, à l'époque, pour la colonie de Har Homa, dont l'objet était aussi de séparer et découper : le monde s'est dit "préoccupé" – et Israël a construit. Tout le reste n'est qu'histoire et géographie irréversibles.
Supposons que cette fois-ci, Israël prête attention aux reproches du monde et repousse son projet de construire dans E-1. Que se passera-t-il alors ? La Paix ? La fin de l'occupation ? Deux Etats ? Cette capacitéà définir un objectif marginal et ridicule et à se bagarrer à son sujet, mais rien qu'à son sujet en ignorant tout le reste, n'est rien d'autre qu'un bal costumé grotesque pour soulager la conscience troublée de l' Europe.
Après 45 ans d'une occupation brutale, l'Europe a penséà faire des reproches à Israël. Mais ce reproche n'est rien d'autre qu'un pas de danse : le ministre des Affaires étrangères britannique s'est déjà empressé de déclarer que les sanctions n'étaient pas à l'ordre du jour. Le rappel de l'ambassadeur était seulement « envisagé». Mais pourquoi, réellement ? L'occupation n'est-elle pas assez duré ? Les violations du droit international pas assez flagrantes ? Pas suffisamment clair, l'intérêt de l'Europe à résoudre le problème palestinien qui contribue à alimenter le terrorisme global ? L'opinion publique européenne n'a-t-elle pas été suffisamment claire ?
En Europe, tout ceci disparaît devant deux prétextes : le passé et l'Amérique. Tous deux hantent le continent. Pourtant tous deux sont de piètres excuses : à cause du passé, justement, l'Europe devrait maintenant se mobiliser afin de sauver Israël de lui-même et de ses occupations. Et à cause des Etats-Unis, justement, qui par son soutien aveugle à Israël joue un rôle si destructeur dans la résolution du conflit, il faut que l'Europe fasse entendre une voix indépendante.
On comprend mal pourquoi, dans la réalité de ce 21ème siècle, l'Europe reste une ombre pale et soumise des Etats-Unis au Moyen-Orient. Il est tout aussi impossible d'expliquer quel lien existe entre les horreurs du passé et le soutien à l'occupation. Bonjour, Europe, tu es en retard encore une fois : trop peu, trop tard.
publié par Miftah le 6 décembre 2012