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Israël : Tsahal, le casque et la kippa

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Jusque dans l'armée, le poids croissant des reli­gieux et des nou­veaux immi­grants se fait sentir. Alors que la question de la conscription obli­ga­toire pour tous a été au coeur de la cam­pagne des légis­la­tives en Israël, Cette évolution révèle une société plus crispée et conser­va­trice que jamais.

L'armée de défense d'Israël, déployée dans les ter­ri­toires pales­ti­niens, est en pleine mutation. Dans ses rangs, une nou­velle géné­ration de soldats sen­sibles au "natio­na­lisme reli­gieux" a fait son appa­rition. A l'occasion des élec­tions légis­la­tives dans le pays, notre reporter s'est rendu sur place.

Du marché aux bijoux, dans le coeur his­to­rique de Hébron, il ne reste qu'un amon­cel­lement de gravats. "Un petit sou­venir pour votre femme ?" Yehuda Shaul a le sens de l'humour. Dans ce quartier désert et aban­donné, des soldats en armes, postés sur des ter­rasses et devant des obs­tacles de béton, contrôlent les allées et venues le long de rues vides, mais sur­veillées par des caméras. Pour sortir de chez eux, les der­niers habi­tants pales­ti­niens - une dou­zaine de familles - doivent passer par le toit de leurs maisons, car les portes donnant sur la rue ont été scellées, il y a plu­sieurs années, sur ordre de Tsahal, l'armée israé­lienne. Vue d'ici, la plus grande cité de Cis­jor­danie, que se dis­putent juifs et musulmans, res­semble à une ville fantôme.

Avec sa barbe noire fournie, les pieds nus dans des san­dales et sa kippa sur la tête, Yehuda Shaul est un guide sin­gulier. Juif reli­gieux et ancien soldat de Tsahal, il a servi à deux reprises, en 2001 et 2003, dans cette commune qui abrite le tombeau d'Abraham. L'expérience lui a laissé un goût amer, au point qu'après ses trois ans de service mili­taire obli­ga­toire - deux pour les femmes - il a fondé l'association Breaking the Silence (Rompre le silence), qui pourfend la colo­ni­sation. Le groupe publie, en par­ti­culier, des récits ano­nymes d'anciens soldats choqués, comme lui, par cer­taines méthodes mili­taires appli­quées sous couvert de sécurité : har­cè­lement, arres­ta­tions arbi­traires, fouilles de maisons au milieu de la nuit…"Ils com­prennent après coup ce à quoi ils ont par­ticipé, explique Shaul. Ici, l'armée fonc­tionne main dans la main avec les colons."

Le processus de paix n'est plus à l'agenda

L'association reven­dique près de 900 membres et organise chaque année environ 200 confé­rences, ainsi que 300 visites guidées à Hébron et, plus au sud, sur les col­lines rurales en direction de Yatta. Un troi­sième par­cours est prévu autour de Ramallah, siège de l'Autorité pales­ti­nienne. "Nous tou­chons de 8000à10000 per­sonnes par an", affirme Shaul. Des Israé­liens pour la plupart, dont un tiers de futurs appelés, et des obser­va­teurs étrangers. L'organisation a pour objectif d'interpeller la société israé­lienne, mais ses ani­ma­teurs ont souvent l'impression de ne pas être entendus. Car le pro­cessus de paix n'est plus à l'agenda, et a for­tiori la façon dont l'armée se com­porte dans les Ter­ri­toires occupés.

"Les Pales­ti­niens sont le dernier des enjeux en termes stra­té­giques. Sur l'échelle des menaces, ils arrivent loin der­rière l'Iran ou la Syrie."

La coexis­tence avec les Pales­ti­niens, c'est le point aveugle dans la rétine des Israé­liens…"Au fond, ils s'en fichent, observe le poli­to­logue Yagil Levy, qui enseigne à l'Université ouverte d'Israël. Tout les y encourage : l'occupation est peu coû­teuse, la com­mu­nauté inter­na­tionale est rela­ti­vement silen­cieuse, les attaques ter­ro­ristes ont cessé. Qui plus est, le nombre de soldats déployés en Cis­jor­danie est au plus bas." Une source gou­ver­ne­mentale précise : "La coopé­ration fonc­tionne, de manière dis­crète et satis­fai­sante, entre les forces de sécurité israé­liennes et la police pales­ti­nienne." Dans ces condi­tions, la pro­blé­ma­tique n'intéresse guère. "Les Pales­ti­niens sont le dernier des enjeux en termes stra­té­giques, confie un haut gradé. Sur l'échelle des menaces, ils arrivent loin der­rière l'Iran, la Syrie, le Hez­bollah libanais, le Hamas à Gaza, voire la résur­gence de la question du Sinaï, le long de la fron­tière avec l'Egypte." La construction du mur de sépa­ration et l'absence d'attentats ali­mentent l'oubli de ces voisins remuants. Dernier élément : "L'opinion a le sen­timent que le retrait de l'armée de la bande de Gaza, en 2005, comme celui du Sud-​​Liban, cinq ans plus tôt, aurait dû entraîner un assou­plis­sement des rela­tions avec Israël, explique Denis Charbit, pro­fesseur de sciences poli­tiques. Beaucoup pensent, à tort ou à raison, que ces gestes de bonne volonté n'ont pas été récom­pensés." Alors, pourquoi en faire d'autres ?

Dans les rangs, la montée inexorable du fait religieux

Les raisons sont aussi à chercher au sein de l'armée elle-​​même. Pour Yagil Levy, spé­cia­liste de l'interaction entre l'armée et la société civile, l'incorporation d'une nou­velle géné­ration d'immigrants venus de Russie, d'Afrique du Nord, voire d'Irak ou d'Ethiopie, a modifié le profil socio­lo­gique des conscrits : "Ces der­niers sont moins enclins à uti­liser la manière douce envers les Pales­ti­niens", note le cher­cheur. Facteur aggravant, un nombre croissant de jeunes issus de la classe moyenne laïque, intel­lec­tuelle et branchée, invoquent des pré­textes médicaux ou psy­cho­lo­giques pour éviter de passer trois ans sous les drapeaux.

A ce double phé­nomène, qui accentue le conser­va­tisme dans les rangs, s'ajoute la montée inexo­rable du fait reli­gieux. Chez les "natio­na­listes reli­gieux" - qui pro­gressent dans l'opinion -, l'armée demeure le pilier fon­da­mental de l'Etat d'Israël. Et pour les jeunes colons, elle revêt une dimension idéo­lo­gique sup­plé­men­taire. Ce qui ne va pas sans pro­blèmes lorsqu'ils sont déployés, au cours de leur service mili­taire, en Cis­jor­danie. Ces der­nières années, l'armée a condamné plu­sieurs soldats qui avaient désobéi, avec l'aval des rabbins mili­taires. En 2009, des hommes du bataillon Shimshon ont même mani­festé devant le Mur des lamen­ta­tions : ils refu­saient d'évacuer une colonie illégale. Au sein de l'armée, dont cer­tains offi­ciers sont issus de colonies, il n'est pas tou­jours simple de concilier dis­ci­pline mili­taire et conviction reli­gieuse… A Hébron, une coopé­ration tacite s'est déve­loppée entre les colons et les soldats. Ce qui n'interdit pas les conflits, lorsque les mili­taires sont agressés par des extrémistes.

Pour Yagil Levy, l'armée est désormais "empri­sonnée" par la com­mu­nauté reli­gieuse. Dans les unités com­bat­tantes, délaissées par la classe moyenne, plus d'un soldat sur quatre serait reli­gieux, notamment dans le corps des offi­ciers. En 2010, six des huit hauts gradés de la brigade Golani, l'une des plus pres­ti­gieuses de l'armée de terre, por­taient la kippa. En pra­tique, cette situation peut conduire des com­man­dants d'unitéà négocier avec les rabbins l'exécution de cer­taines mis­sions. Les femmes, aussi, s'inquiètent de l'influence des diplômés des yeshivas, les écoles tal­mu­diques : "Il est arrivé que des hommes quittent la salle parce que des sol­dates enton­naient les chansons à la gloire de Tsahal lors de céré­monies mili­taires", raconte un officier.

Obéir au commandement ou aux rabbins ?

L'"armée du peuple", matrice de l'Etat d'Israël, est un micro­cosme des mou­ve­ments sociétaux. Elle reste majo­ri­tai­rement léga­liste. Néan­moins, un fossé semble se creuser entre laïques et reli­gieux. "L'Iran est perçu, à juste titre, comme une menace exis­ten­tielle, remarque un expert mili­taire. Mais le péril est aussi inté­rieur. Si Tsahal réussit cette inté­gration, c'est un signe positif pour l'avenir du pays ; sinon, on peut s'inquiéter." Et pour cause. A qui obéi­raient les reli­gieux si, par hypo­thèse, l'ordre leur était donné d'évacuer les colonies de Cis­jor­danie dans le cadre d'un règlement du conflit ? Au com­man­dement ou à leurs rabbins ? "La question serait plutôt celle-​​ci, observe Levy : les poli­tiques oseraient-​​ils donner un tel ordre aux mili­taires ?" Et les colons ? En 2005, lors du retrait de la bande de Gaza, les quelque 8000 Israé­liens pré­sents n'ont pas opposé de résis­tance ; en Cis­jor­danie, le défi serait d'une tout autre ampleur, pas seulement en raison de leur nombre (près de 300000), mais aussi parce que, contrai­rement à Gaza, ces ter­ri­toires se situent en Terre sainte.

Au coin d'une rue de Hébron, des enfants de colons ont reconnu le fon­dateur de Breaking the Silence. Aus­sitôt, ils se mettent à hurler : "Yehuda Shaul, meur­trier ! Nous ne te lais­serons pas l'emporter !" Ils n'ont pas dix ans.

Publié par L'Express


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