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A propos du film L'Attentat

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Le 23 mai sort en salle le film L'Attentat, de Ziad Doueiri, adap­tation du roman éponyme de Yasmina Khadra, publié en 2005. Après avoir assistéà l'avant-première donnée au cinéma L'Écran à Saint-​​Denis, j'ai sou­haité donner mon avis, et mettre en garde les futurs spectateurs.

J'ai tou­jours considéré cette œuvre comme l'une des meilleures fic­tions consa­crées au conflit israélo-​​palestinien. L'écriture est fluide, éner­gique, on ne s'ennuie jamais, et tout au long de la lecture on se sent plonger au cœur du Proche-​​Orient. L'histoire, en elle-​​même, est une prouesse. Khadra part d'un pos­tulat commun : un attentat-​​suicide frappe un res­taurant au cœur de Tel-​​Aviv, tuant plu­sieurs dizaines de per­sonnes, dont onze enfants. L'un des chi­rur­giens qui est en charge des vic­times est le Docteur Amin Jaafari, un Pales­tinien d'Israël. Sa situation sociale est confor­table, il est aimé et reconnu de ses confrères, ainsi que de ses voisins juifs israé­liens. En d'autres termes, il semble parvenu à s'extraire de son statut de colonisé par une ascension sociale. Même si on ne connaît fina­lement rien de son his­toire per­son­nelle, on com­prend qu'il n'a que peu de liens avec son identité pales­ti­nienne. Le début, consacré donc à l'attentat, place le lecteur dans une ambiance angois­sante, une incom­pré­hension même. On peut ainsi ima­giner la nature du mental israélien lorsque ces attentats frap­paient régu­liè­rement au cœur des agglo­mé­ra­tions d'Israël. Khadra donne fina­lement la parole, en premier, au dominant. Le lecteur, étranger au conflit, s'identifie faci­lement à ces familles de vic­times qui, ravagées par la tris­tesse et la rage, se laissent aller à des envies de vengeance.

Rapi­dement, on apprend que l'auteure de l'attentat est Sihem Jaafari, la femme du chi­rurgien. Sa situation per­son­nelle se bou­le­verse. De docteur renommé, du citoyen arabe israélien res­pec­table, il est ramené au statut, commun à sa com­mu­nauté, d'ennemi inté­rieur. Traité et malmené comme les autres, subissant la méfiance de ceux qui l'entourent. Celui à qui Israël à donner la chance de s'élever socia­lement, en dépit de sa non-​​judéité, remer­cierait donc cette société en envoyant sa femme se faire sauter au cœur d'un res­taurant. Lui qui man­geait dans la main du maître, du colon, il se retrouve par être baffé. Sa réaction est sans appel, sa femme a été ins­tru­men­ta­lisée, on lui a lavé le cerveau, et il veut retrouver ceux qui sont der­rière tout ça.

Amin quitte donc Israël pour les ter­ri­toires occupés pales­ti­niens, et plus pré­ci­sément la ville de Naplouse, où vit sa sœur qu'il n'a pas vue depuis de nom­breuses années. Il mène sa propre enquête, guidé par la raison que sa femme n'a pas pu prendre seule une telle décision. Son attitude est parfois hau­taine, voire mépri­sante envers ses inter­lo­cu­teurs. Plongé au cœur de Naplouse, en pleine Seconde Intifada – sou­lè­vement pales­tinien contre l'occupation – il est confronté au quo­tidien des pales­ti­niens : humi­lia­tions, assas­sinats, bom­bar­de­ments, exac­tions, empri­son­ne­ments… Chaque ren­contre le renvoie à son his­toire, à son statut social, à ses racines, avec cette phrase qui reste gravée dans nos esprits : « Le bâtard n'est pas celui qui ne connaît pas son père, c'est celui qui ne connaît pas ses racines. » Le summum est atteint quand il apprend que sa femme a franchi un pas dans son enga­gement après avoir assisté au mas­sacre de Jénine.

Briè­vement, face au déclen­chement du sou­lè­vement pales­tinien, en sep­tembre 2000, le gou­ver­nement israélien décide, en mars-​​avril 2002, de répondre par la poudre en lançant l'Opération Rempart. Cela se traduit par une mobi­li­sation massive de l'armée israé­lienne, notamment de blindés, dans les agglo­mé­ra­tions pales­ti­niennes. A l'annonce de ce déploiement, les résis­tants pales­ti­niens se retranchent dans des zones étroites, les Vieilles Villes, comme à Naplouse, ou les camps de réfugiés, comme à Jénine, ou même parfois des monu­ments, comme la Basi­lique de la Nativitéà Bethléem. L'armée israé­lienne lance, le 3 avril, son assaut contre le camp de réfugiés de Jénine, où sont bar­ri­cadés entre 90 et 100 com­bat­tants pales­ti­niens. Les bom­bar­de­ments sont massifs, et une partie du camp, sévè­rement touché, est rasée au bull­dozer. L'opération cesse le 11 avril. Le premier bilan fait état de 400à500 morts pales­ti­niens. L'organisation huma­ni­taire Human Rights Watch, pré­sente sur place, parle de « crimes de guerre ». Des enquêtes ont fait état de 200 vic­times, dont une partie enterrée sous les décombres des maisons bombardées.

Ce chemin, sur les pas de sa femme, met en écho cette phrase qu'elle lui a écrite dans une lettre posthume : « A quoi cela sert-​​il de faire des enfants s'ils n »ont pas de patrie pour grandir ». C'est jus­tement ici que se situe la force de l'ouvrage. La quête de la com­pré­hension. Comment une femme peut décider de se faire exploser dans un res­taurant ? La réponse se trouve au cœur même du conflit. Sans pour autant excuser l'acte, il donne des clés de réponse.

Les pre­mières minutes du film sont assez fidèles au climat général du livre. Un attentat, des enfants touchés, des parents enragés, une société meurtrie et inca­pable de se ques­tionner. Ali Suleiman, que j'ai connu par le biais du film Paradise Now (que je ne peux que vous conseiller), réaf­firme une nou­velle fois qu'il est un grand acteur, en inter­prétant par­fai­tement bien le docteur Jaafari. Sihem, inter­prétée par Rey­monde Amsellem, est à l'image que je m'étais faite d'elle dans le livre : belle, douce et simple. Ensemble, ils per­mettent de donner de la beauté, et de la grâce, aux scènes qui nous plongent dans les sou­venirs d'Amin, ou bien quand ce dernier, désespéré, interroge le « fantôme » de sa femme.

Plus que jamais, on voit et on com­prend que la société israé­lienne n'est pas tendre avec sa minorité arabe. De longues scènes (un peu trop peut-​​être) laissent le docteur seul avec sa pensée, ses ques­tions, ses erre­ments. Puis vint le moment du départ. Le film en est à sa moitié. Le spec­tateur lambda, néces­sai­rement comme dans l'ouvrage, se pose les mêmes ques­tions qu'Amin : ces gens qui agissent de la sorte ne sont pas humains, pourquoi font-​​ils ça ? Là où l'ouvrage de Khadra ren­ferme toute sa force, dans sa capacitéà ren­verser l'émotion, ou du moins à la rééqui­librer, le film demeure assez plat. Le docteur se rend sans trop de soucis à Naplouse, ne ren­con­trant ni checks points, ni bar­rages mili­taires. Situation impro­bable. A l'entrée de la ville, il assiste à une alter­cation entre des jeunes soldats israé­liens et des jeunes pales­ti­niens. La scène est courte et on ne com­prend pas véri­ta­blement ce qui se passe.

Par ailleurs, alors que le film se doit, à ce moment là, d'amorcer une réaf­fir­mation des statuts de chacun : dominé-​​dominant, colonisé-​​colon… Deux ou trois scènes viennent ali­menter la sus­picion per­ma­nente envers les pales­ti­niens. Exemple d'un chauffeur de taxi qui sou­haite faire entendre à Amin le dis­cours d'un Cheikh (un sage res­pecté chez les musulmans pour ses connais­sances spi­ri­tuelles et scien­ti­fiques) qui clame dans le haut-​​parleur que seuls les musulmans ont des droits sur Jéru­salem. Exemple encore de la très grande majorité des pre­miers inter­lo­cu­teurs pales­ti­niens qui à l'annonce du nom du docteur « Jaafari », expriment leur sym­pathie, voire leur joie, du succès de l'opération de sa femme. Sans nier la pré­sence de ces faits dans la société pales­ti­nienne, ils sont loin d'être si pre­nants, le docteur Jaafari semble ne pas avoir de chances dans les gens qu'ils rencontrent.

Le ren­ver­sement, en réalité, s'opère davantage par les dis­cours, que par les images. Deux ren­contres, deux dia­logues, marquent le film. Chacun des deux inter­lo­cu­teurs renvoie Amin à ses racines, à ce qu'il a reniéêtre, à ce qu'il ne par­vient pas à voir, et qui est, selon eux, la cause de son incom­pré­hension. Sa femme étant chré­tienne, il ren­contre ce qui semble être un prêtre, ou un pasteur, lié au réseau qui l'a engagé : « Nous ne sommes ni des isla­mistes inté­gristes, ni des chré­tiens fana­tiques, mais seulement un peuple dévoré qui lutte par tous les moyens pos­sibles pour retrouver sa dignité. »

Attentif au moindre détail, bien calé au fond de mon siège, j'attends le voyage d'Amin à Jénine. La scène est lente, fixée sur le docteur qui contemple les ruines. Il ne ren­contre aucun habitant, ne dia­logue pas, et per­sonne ne sait ce qui a pu s'y passer. Le risque alors est que le spec­tateur n'aille pas chercher plus loin. Qu'il se limite àça, à une conclusion sim­pliste qu'il y a une guerre symé­trique. Qu'il ne com­prenne pas qu'en dépit des com­plexités du conflit, il y a une situation simple d'occupant et d'occupé, d'oppresseur et d'oppressé.

Le film est beau, sans aucun doute. Est-​​il péda­go­gique ou offre-​​t-​​il une nou­velle fois une vision biaisée, roma­nisée du conflit israélo-​​palestinien ? Il faudra être attentif aux réac­tions des spec­ta­teurs pour le savoir. Pour ma part, je n'ai pas eu la sen­sation de retrouver, comme dans le livre de Khadra, ce fait très simple qui est que la manière pour le dominé de réagir à son oppression ne se définit que par le caractère de la domi­nation. En d'autres termes, c'est du caractère de l'occupation que découle le caractère de la résis­tance. Une réflexion qui peut se résumer par cette citation d'Alain Gresh, jour­na­liste au Monde Diplo­ma­tique : « Les images atroces des vic­times du ter­ro­risme secouent les opi­nions. Elles pro­voquent, à juste titre, une indi­gnation contre ceux qui uti­lisent cette arme aveugle. Pourtant, si le ter­ro­risme suscite légi­ti­mement la condam­nation morale, il faut aussi, si l'on veut mettre un terme à son cycle, replonger dans la réalité poli­tique qui le nourrit. Et s'interroger : peut-​​on com­battre effi­ca­cement le ter­ro­risme sans en éliminer les causes ? »

Publié sur Vis­ce­raoul


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