
Au soir du 10 février, la salle de séjour de la maison de Bassem Tamimi dans le village de Cisjordanie de Nabi Saleh était pleine d'amis et de parents en train de fumer ou de siroter du café, en attendant le retour de prison de Bassem. Son fils Waed, âgé de 16 ans, était pelotonné par terre avec son frère âgé de 6 ans, Salam, en train de jouer à des jeux video sur le iPhone que le premier ministre de Turquie a donnéà leur sœur, Ahed. Elle s'est rendue en avion à Istanbul pour recevoir un prix après que des photos d'elle, menaçant du poing un soldat israélien, lui ait valu une brève mais saisissante célébrité internationale. Nariman, la mère des enfants, accroupie dans une pièce latérale, faisant les derniers préparatifs pour le repas de son mari de retour à la maison, riant des deux photographes se disputant pour des prises de vue à partir de l'étroit encadrement de la porte, tandis qu'elle étalait des oignons sur des pains plats passés à l'huile.
Sur le mur de la salle de séjour, il y avait une affiche « Libérez Bassem Tamimi », restée depuis son dernier emprisonnement pour avoir aidéà l'organisation des protestations hebdomadaires contre l'occupation israélienne, ce qu'il a fait depuis 2009. Il était parti pendant 13 mois cette fois, puis était revenu à la maison pendant 5 mois avant qu'il ne soit arrêtéà nouveau en octobre. Beaucoup de choses se sont passées pendant sa dernière assignation : une autre courte guerre à Gaza, un vote à l'ONU octroyant à la Palestine un statut d'observateur, l'annonce de projets de construction de 3400 logements pour les colons, une élection en Israël. Les protestations se sont propagées dans toute la Cisjordanie.
Cette nuit, l'appel est arrivé vers environ 19 h 30. Vingt personnes, tassées dans trois petites voitures et conduites vers la place du village. Davantage de voisins et de cousins sont arrivés à pied (Tous les 550 habitants de Nabi Saleh sont parents par le sang ou par mariage, et presque tous ont en commun le nom de famille Tamimi). Puis une Ford sombre est entrée lentement sur la place et tous ont fait silence.
Bassem, qui est âgé de 45 ans, est descendu de voiture, le dos droit, les yeux bleus éclatants à la lumière de la lampe. Il paraissait un peu plus mince et grisonnant que la dernière fois que je l'avais vu, en juillet. Il a étreint et embrassé son fils aîné. Ahed était à côté, puis un par un, en silence, Bassem a étreint sa famille et ses amis, les militants de Ramallah et de Jérusalem, les membres de la gauche israélienne venus de Tel Aviv. Quand il eu salué tout le monde, il a marché vers le cimetière et s'est arrêté devant la tombe encore non indiquée de son beau-frère Rushdie qui a été abattu par des soldats israéliens en novembre pendant que Bassem était en prison. Il a fermé les yeux et prononcé une rapide prière avant de se déplacer vers la tombe de Mustapha Tamimi, qui est mort après avoir été atteint en décembre 2011 au visage par une cartouche de gaz lacrymogène.
De retour à la maison, Bassem semblait abasourdi. Nariman lui a pris les bras et elle s'est précipitée à l'extérieur pour cacher ses larmes. Le village faisait encore le deuil de la mort de Rushdie, mais les jeunes hommes n'ont pu conserver longtemps cette gravité. Ils ont commencé par le petit Hamoudi, le fils du cousin de Bassem, le lançant en l'air de plus en plus haut au-dessus de la cour. Ils l'ont poséà terre et à tour de rôle ils en ont lancé un autre en l'air sous le ciel nocturne, riant et criant comme s'ils n'avaient jamais eu à s'affliger de quelque chose.
De la plupart des fenêtres de Nabi Saleh tournées vers le Sud, vous pouvez voir les toits rouges de Halamish, la colonie israélienne sur le sommet de la colline de l'autre côté de la vallée. Elle est là depuis 1977, fondée par des membres du groupe nationaliste messianique Gush Emunim et elle s'est développée depuis de façon ininterrompue sur des terres qui autrefois appartenaient aux habitants de Nabi Saleh et d'un autre village palestinien. Près de Halamish il y a une base militaire israélienne, et dans la vallée entre Nabi Saleh et la colonie, de l'autre côté de la grand route et au dessus d'un sentier boueux, une petite source d'eau douce, que les Palestiniens ont depuis longtemps appelée Ein al-Qaws, sort en bouillonnant d'un bas escarpement rocheux. Au cours de l'été2008, bien que la terre entourant la source ait été pendant des générations la propriété de la famille de Bachir Tamimi qui est âgé de 57 ans, les jeunes d'Halamish ont commencéà construire le premier d'une série de bassins peu profonds qui recueillent ses eaux. Plus tard ils ont ajouté une banquette et une tonnelle pour faire de l'ombre. (Des années après, les colons, de façon rétroactive, ont demandé un permis de construire que les autorités israéliennes ont refusé de délivrer en déclarant que « les requérants n'avaient pas apporté la preuve de leurs droits sur le bien-fonds en question ». Récemment plusieurs des structures ont été enlevées). Quand les Palestiniens sont venus pour procéder aux récoltes dans les champs à côté de celle-ci, les colons, selon les villageois, les ont menacés et leur ont jeté des pierres.
Cela a pris plus d'une année aux habitants de Nabi Saleh pour qu'ils s'organisent. En décembre 2009 ils ont tenu leur première marche, pour protester non seulement contre la perte de leur source, mais aussi contre l'ensemble du système complexe de contrôle –de permis, de checkpoints, de murs, de prisons- par lesquels Israël maintient son emprise sur la région. Nabi Saleh est rapidement devenu le plus actif de la douzaine ou presque des villages de Cisjordanie qui tiennent des manifestations hebdomadaires contre l'occupation israélienne. Depuis le début des manifestations, plus de 100 personnes du village ont été emprisonnées. Nariman m'a dit que, selon son estimation, les échauffourées avec l'armée ont occasionné432 blessures, dont plus de la moitiéà des mineurs. L'élan a été difficile à maintenir –les semaines passent, sans aucune amélioration- mais cependant, malgré les arrestations, les blessures et les morts, chaque vendredi après la prière de midi, les villageois, rejoints parfois par un nombre égal de journalistes et de militants israéliens et étrangers, essayent de marcher du centre du village vers la source, sur une distance de peut-être un demi-mille. Et chaque vendredi, les soldats israéliens les bloquent par quelque combinaison de gaz lacrymogène, de balles caoutchoutées, de jets par des canons à eau d'un liquide nocif appelé« skunk » (=sconse : animal à l'odeur infecte) et de temps en temps de tirs à balles réelles.
L'été dernier, j'ai passé trois semaines à Nabi Saleh, en séjournant chez Bassem et Nariman. Quand je suis arrivé en juin, Bassem venait juste d'être libéré de prison. En mars 2011, des soldats israéliens ont fait une descente chez lui pour l'arrêter. Parmi des accusations mineures, il a été accusé devant un tribunal militaire d'« incitation », d'organisation de « défilés non autorisés » et de racolage de la jeunesse pour jeter des pierres. (En 2010, 99,74 % des Palestiniens ayant comparu devant un tribunal militaire ont été jugés coupables). Les conditions de la libération de Bassem lui interdisaient de prendre part aux manifestations qui sont effectivement illégales sous le coup de la loi militaire israélienne, si bien que le premier vendredi après que je sois arrivé, juste après l'appel de midi à la prière, il n'est venu à pied avec moi que jusqu'à la place, où environ 50 villageois s'étaient rassemblés à l'ombre d'un vieux mûrier . Ils ont été rejoints par une poignée de militants palestiniens de Ramallah et Jérusalem-Est, en grande partie de jeunes femmes ; peut-être une douzaine de militants européens et américains en âge d'être à l'Université ; une demi-douzaine d'Israéliens, en grande partie aussi des femmes –de jeunes anarchistes en bottes et jeans noirs, avec des « piercings » de diverses sortes. Ensemble ils ont descendu la route, en claquant dans leurs mains et en scandant des slogans en arabe et en anglais. Le fils de Bassem, Abu Yazan, marchait à l'arrière de la foule.
Puis, il y avait là les journalistes, galopant vers le sommet des collines à la recherche des meilleurs points de vue. Dans les premiers jours des manifestations, le village foisonnait de journalistes de l'ensemble du globe, venus là pour informer sur la lutte du minuscule village contre l'occupation. « Des fois ils viennent et des fois non », devait me dire plus tard Mohammad Tamimi qui est âgé de 24 ans et qui coordonne la campagne médiatique du village. Les évènements au Moyen-Orient -la révolution en Egypte et la guerre civile en Syrie- et la routine invariable ont fait qu'il est beaucoup plus difficile de retenir l'attention du monde. Ce vendredi-là il n'y avait qu'une équipe de télévision palestinienne et quelques photographes israéliens, les habitués parmi eux portant un casque d'acier.
La première année de la protestation, pour s'assurer que les manifestations -et le sort des Palestiniens vivant sous occupation israélienne- ne restaient pas cachés derrière les murs et les barrières, Mohammad a commencéà envoyer des nouvelles par un blog et plus tard sur une page Facebook (approchant maintenant 4000 habitués) sous le nom de Tamimi Press. Tamimi Press s'est bientôt transformé en une équipe médiatique indigène : Bilal Tamimi tournant des videos et téléchargeant les hauts faits de la protestation sur son canal You Tube ; Helme prenant des photos ; et Mohammad envoyant par mail les nouveaux communiqués à500 journalistes originaux et à des militants. Manal, qui est mariée à Bilal, complète l'effort par une diffusion soutenue de tweets (@screamingtamimi).
Les nouvelles des protestations se déplacent rapidement autour du globe, rebondissant parmi les blogs de gauche à droite. Des journaux penchant plutôt à gauche comme le « Guardian » en Grande-Bretagne ou « Haaretz » en Israël couvrent cependant les évènements majeurs du village –décès et funérailles, arrestations et libérations de Bassem- mais un site d'information de la droite israélienne a commencé depuis l'année dernière à recycler la même manchette , semaine après semaine : « Arabes, Emeute de Gauchistes à Nabi Saleh ». Dans l'intervalle, un pèlerinage à Nabi Saleh a obtenu un certain cachet parmi les militants européens, de la manière dont le faisait une mission avec les Zapatistes au Mexique dans les années 1990. Pendant un temps, Nariman préparait régulièrement un festin végétarien pour les étrangers épuisés qui s'attardaient après les protestations (une des premières choses qu'elle m'a demandées quand je suis arrivéétait de savoir si j'étais végétarien. Son visage s'est épanoui quand j'ai dit non).
Quel que soit le succès qu'ils aient eu dans la presse, les gens de Nabi Saleh sont intensément conscients de tout ce à quoi ils ne sont pas arrivés. L'occupation, par exemple, persiste. Quand je suis arrivé en juin, les manifestants n'avaient pas pu une seule fois atteindre la source. Habituellement ils n'allaient pas bien loin au-delà de la principale route, où ils devaient tourner pour trouver les soldats qui attendaient de l'autre côté du virage. Cette semaine cependant ils ont décidé de couper tout droit vers le bas du versant vers la source. Bachir conduisait le cortège, agitant un drapeau. Comme d'habitude, les jeeps de l'armée israélienne étaient en attente au-dessous de la source. Les quatre soldats debout hors de celles-ci ont paru troublés – il semblait qu'ils ne s'attendaient pas à ce que les protestataires parviennent aussi loin. Les villageois, en passant devant eux, ont marché vers la source, où ils ont surpris trois colons en train de déjeuner à l'ombre, encore mouillés après un bain dans un des bassins. L'un ne portait qu'un slip de bain humide et un fusil en bandoulière par dessus la poitrine.
Les gosses sont passés en courant. Les adultes sont entrés un à un, bavardant et fumant. Davantage de soldats sont arrivés, cuirassés, portant des fusils et des lance-grenades. Waed et Abu Yazan ont donné du pied dans un ballon de foot jusqu'à ce qu'un garçon aperçoive une carpe orange vif dans un des bassins et Abu Yazan et d'autres ont essayé de l'attraper à mains nues, à coups d'éclaboussures, jusqu'à ce que l'eau soit troublée et que la carpe disparaisse.
Quatre colons sont apparus sur la corniche au-dessus de la source, de jeunes hommes aux lunettes de soleil et en jeans, l'un d'entre eux portant un fusil automatique. A côté de moi, un robuste officier chauve des Forces de Défense Israéliennes discutait avec un protestataire israélien. « Je vous ai laissé venir » insistait l'officier. « Maintenant vous devez partir ».
Les enfants se sont entassés sur la balançoire que les colons ont construite et se sont balancés avec furie, en chantant. Un jeune colon discutait avec l'officier des FDI, insistant pour que qu'il écarte les protestataires.
« Que font dix minutes ? » disait l'officier.
« Toutes les 10 secondes importent », répondait le colon.
Mais avant que leurs 10 minutes ne soient terminées, une heure après qu'ils soient arrivés, les villageois ont rassemblé les enfants et sont partis comme ils étaient venus, en claquant dans leurs mains et en scandant des slogans, leur défi rendu plein d'entrain par la joie. Pour la première fois en deux heures et demie ils étaient parvenus à la source.
Ils ont pris la direction du retour le long de la grand route, ce qui signifiait qu'ils devaient passer la route menant à Halamish. Ahed, ses cheveux en une longue tresse, s'accrochait à un cousin à l'avant du cortège. Comme ils s'approchaient de la route un officier de la police des frontière a lancé en l'air une grenade assourdissante -un engin qui fait un bruit retentissant et un éclair, mais qui, théoriquement au moins, ne cause aucun dommage corporel – aux pieds d'Ahed, et puis une autre et une autre. En l'espace de quelques secondes, les marcheurs se sont mis à courir vers le haut de la colline pour revenir à leur village, les grenades lacrymogènes jaillissant à travers le ciel au-dessus de leur tête.
Les chauds soirs d'été la vie à Nabi Saleh pourrait être presque idyllique. Tout le monde connaît tout le monde. Les enfants courent en ribambelles rieuses. Une nuit, Bassem et Nariman étaient assis dehors, partageant un narguileh, tandis que Nariman lisait la traduction d'un roman de Dan Brown et le petit Salam caracolait allègrement, annonçant, « Je suis Salam, et la vie est belle ! «
Bassem est employé par le Ministère de l'Intérieur de l'Autorité Palestinienne dans un service chargé d'homologuer les visas d'entrée pour les Palestiniens vivant à l'étranger. En pratique, a-t-il dit, les fonctionnaires de l'AP« n'ont aucune autorité», les décisions réelles sont prises en Israël et transmises à l'AP pour un coup de tampon. entre autres choses, cela signifiait que Bassem avait rarement à rendre compte à son bureau de Ramallah, ce qui lui laissait ses jours libres pour prendre soin de sa mère malade – elle est morte quelques semaines après que j'ai quitté le village l'été dernier- en menant sa stratégie par téléphone, en rencontrant des visiteurs internationaux et en me parlant au-dessus de nombreuses tasses de café fort non sucré. Nous devions parler dans la salle de séjour, par dessus le bourdonnement d'une émission d'information d'Al Jazeera. Une image encadrée de la Mosquée Al Aqsa de Jérusalem était accrochée au-dessus de la télévision (plus par fierté nationaliste que par piété : la vision de Bassem est profondément laïque).
Bien que de nombreuses personnes de Nabi Saleh aient été emprisonnées, seul Bassem a été déclaré« prisonnier de conscience » par Amnesty International. Les diplomates étrangers ont assisté en 2011 aux audiences judiciaires le concernant. Le charisme de Bassem a sans doute quelque chose à voir avec cette attention. Un calme étrange, rayonnant, semblait planer autour de lui. Il souriait rarement et il avait tendance à glisser des déclarations d'un grand poids (« notre destinée est de résister ») dans des propos ordinaires, mais j'ai vu sa réserve fondre toutes les fois qu'un de ses enfants montait sur ses genoux.
Quand les forces israéliennes ont occupé la Cisjordanie en 1967, Bassem avait 10 semaines. Sa mère s'est cachée avec lui dans une grotte jusqu'à ce que les combats cessent. Il se souvient d'avoir joué dans l'avant-poste abandonné de la police britannique, qui est maintenant le centre de la base des FDI près d'Halamish, et d'avoir accompagné les garçons plus vieux qui faisaient paître leurs moutons sur le sommet de la colline où s'élève maintenant la colonie. Sa mère allait tous les jours à la fontaine pour chercher de l'eau. Les colons sont arrivés quand il avait 9 ans.
Halamish est maintenant tout à fait installée et plus confortable que la plupart des quartiers clôturés des Etats-Unis. Derrière les fils de fer coupants et le périmètre de clôtures à maillons métalliques, une fois passé le portail d'entrée et le poste de garde armée, il y a des terrains de jeux, un bassin couvert, une salle de loisirs et un amphithéâtre, une clinique, une bibliothèque, une école et plusieurs synagogues. Les routes sont bien pavées, bordées de fleurs, les cours sont pleines de citronniers. Halamish fonctionne maintenant comme un faubourg résidentiel ; beaucoup des habitants occupent des emplois du tertiaire à Tel Aviv ou Modi'in. La population de la colonie atteint plus du double de celle de Nabi Saleh.
J'ai rencontré pour la première fois Shifra Blass, la porte-parole d'Halamish, en 2010. Elle a parlé de l'aspect vide de la Cisjordanie –elle employait le nom biblique de Judée et Samarie- quand elle et son mari ont immigré en venant des USA au début des années 1970, avec l'intention d'établir une présence juive sur une terre qu'ils croyaient leur être promise. Les relations avec les villages environnants, m'a-t-elle dit, étaient restées cordiales, amicales même, jusqu'à la première Intifada. (Quand j'ai interrogé les gens de Nabi Saleh à ce sujet, personne ne s'en souvenait de cette façon). Pendant la seconde Intifada, trois habitants de la colonie, a déclaré Blass, ont été tués par arme à feu sur les routes toutes proches. Ils n'étaient pas près du village, mais les attitudes se sont durcies.
Quand je lui ai rendu visite de nouveau le mois dernier, elle n'avait pas très envie de me parler du conflit à propos de la source et des terres qui l'entourent. « Nous voulons vivre nos vies et non passer du temps à en parler », a dit Blass. Elle a dénoncé les manifestations hebdomadaires comme la création d' « agitateurs extérieurs qui viennent ici pour faire des vagues –des internationalistes, des anarchistes, n'importe quoi ». C'était tout un spectacle, disait-elle, du théâtre pour des medias d'information faciles à duper. « Je vais vous dire quelque chose : c'est désagréable ». Les vendredi, disait-elle, parfois les vents amènent des gaz lacrymogènes dans la colonie de l'autre côté de la vallée. « Nous avons certains grands enfants qui disent qu'ils ne peuvent revenir de l'universitéà la maison pour le Shabbat à cause des gaz lacrymogènes. Ils appellent et disent, « Dis-moi quelle est la gravité, parce que si c'est vraiment grave, je ne vais pas venir ». »
Quand la première Intifada a éclatéà la fin de 1987, Nabi Saleh était, comme il est maintenant, un point d'éclatement. La route qui passe entre le village et la colonie relie le centre de la Cisjordanie à Tel Aviv : une simple barricade pouvait arrêter le flot des travailleurs palestiniens vers Israël. Bassem était un des principaux militants de la jeunesse du Fatah pour la région, organisant les grèves, les boycotts et les manifestations qui caractérisaient ce soulèvement (Nabi Saleh est unanimement loyal au Fatah, le parti nationaliste laïc qui gouverne la Cisjordanie ; le Hamas, le mouvement islamiste militant qui gouverne Gaza, a ses partisans ailleurs en Cisjordanie mais n'a jamais pris pied dans le village). Il a dûêtre emprisonné sept fois pendant l'Intifada et, dit-il, il n'a jamais été accusé de crime. Avant sa plus récente arrestation, je lui ai demandé combien de temps il avait passé en prison. Il a fait le total des mois : « environ quatre ans. »
Après une arrestation en 1993, m'a raconté Bassem, un interrogateur israélien l'a secoué avec une telle force qu'il est tombé dans le coma pendant huit jours. il a une cicatrice de la taille d'une piécette à la tempe, à la suite d'une opération cérébrale d'urgence pendant ce moment. Sa sœur est morte pendant qu'il était en prison. Elle a été frappée par un soldat et est tombée sur une volée de marches de l'escalier du tribunal, selon son fils Mahmoud qui était avec elle pour assister au jugement de son frère. (Les FDI n'ont pas fait d'observation sur cette allégation).
Bassem parle néanmoins de ces années, comme le font de nombreux Palestiniens de son âge, avec quelque chose comme de la nostalgie. La première Intifada a éclaté de façon spontanée –elle a commencéà Gaza lors d'un accident de voiture, quand un porte-char israélien a tué quatre travailleurs palestiniens. Le soulèvement a été initialement, une forme de solidaritéà une échelle nationale. Ses premières armes ont été de la sorte qui transforme la faiblesse en force : la pierre, la barricade, le boycott, la grève. La réponse israélienne à la révolte –en 1988, le Ministre de la Défense, Yitzhak Rabin, aurait autorisé les soldats à briser les membres des manifestants non armés- a commencéà renverser l'opinion publique internationale du côté de la cause palestinienne pour la première fois depuis des décennies. Lors de la troisième année cependant le pouvoir s'est déplacé vers la hiérarchie de l'OLP. Le premier gouvernement Bush a poussé Israël à négocier, menant finalement à l'Accord d'Oslo de 1993, qui a créé l'Autorité Palestinienne en tant que corps intermédiaire en attendant un accord sur un « statut final ».
Mais peu de chose a été résolu à Oslo. Une seconde Intifada a fait éruption en 2000, suivant principalement au début le modèle établi par le premier soulèvement. Les Palestiniens ont bloqué les routes et jeté des pierres. Les FDI se sont emparés d'une maison à Nabi Saleh. Les enfants ont lancé par les fenêtres des serpents, des scorpions et ce que Bassem a appelé par euphémisme des « eaux usées ». Les soldats se sont retirés. Puis est venu la lourde vague des attentats-suicides, ce que Bassem a appelé« la grande erreur ». Une majoritéécrasante des morts israéliennes pendant le soulèvement ont eu lieu dans environ 100 attaques-suicides, la plupart contre des civils. Une bombe dans un disco à Tel Aviv en 2001 a tué21 adolescents. « Politiquement, nous avons régressé» a dit Bassem. Beaucoup de la bienveillance internationale gagnée au cours de la précédente décennie a été dissipée. Prendre les armes n'a pas été pour Bassem une erreur morale tout autant que stratégique. Lui et quelqu'un d'autre du village avec qui j'ai parlé ont insisté sur le fait qu'ils avaient le droit à la résistance armée. Juste qu'ils ne pensent pas que cela fonctionne. Bassem était capable de dévider une liste des réalisations de Nabi Saleh. De certaines –Nabi Saleh, a-t-il dit, a plus de degrés d'avance que tout autre village- il était absolument fier. D'autres –une des premières actions militaires après Oslo, la première femme à participer à une attaque-suicide- entraînaient des émotions plus embrouillées.
En 1993, m'a raconté Bassem, son cousin Saïd Tamimi a tué un colon près de Ramallah. Huit ans plus tard, un autre villageois, Ahlam Tamimi a escorté un porteur de bombe vers une pizzeria Sbarro à Jérusalem. Quinze personnes ont été tuées, huit d'entre elles étant mineures. Ahlam, qui vit maintenant en exil en Jordanie, et Saïd, qui est en prison en Israël, restent très aimés à Nabi Saleh. Bien que toute personne avec qui j'ai parlé dans le village paraissait âprement conscient des effets corrosifs de la violence –« Cela tuera les enfants », a dit Manal, « de penser à la haine et à la revanche »- ils s'offensaient d'être appelés à renier le massacre quand l'on faisait retomber la faute sur eux de façon si courante. Saïd, m'a dit Manal, « a perdu son père, son oncle, sa tante, sa sœur –ils ont tous été tués. Comment pouvez-vous le blâmer ? »
Les pertes de le seconde Intifada ont étéénormes. Près de 5000 Palestiniens et plus de 1000 Israéliens sont morts. La campagne israélienne d'assassinats et le siège par les FDI des villes de Cisjordanie ont laissé la direction palestinienne décimée et découragée. A la fin de 2005, Yasser Arafat était mort, Israël avait retiré ses troupes et ses colons de Gaza et le président de l'Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, est parvenu à une trêve avec le Premier Ministre Ariel Sharon. Le soulèvement s'est éteint. L'économie était ruinée, Gaza et la Cisjordanie étaient plus isolées que jamais l'une de l'autre et les Palestiniens étaient divisés, vaincus et épuisés.
Mais en 2003, tandis que l'Intifada faisait encore rage, Bassem et d'autres de Nabi Saleh ont commencéà suivre les manifestations à Budrus, à vingt minutes d'ici. Budrus était menacé d'être coupé du reste de la Cisjordanie par la barrière de séparation projetée par Israël, la ligne de démarcation de béton et de grillage qui serpente le long de la frontière et qui dans de nombreux endroits s'enfonce profondément dans le territoire palestinien. Les habitants ont commencéà manifester. Des étrangers et des militants israéliens se sont joints aux protestations. Les loyalistes du Fatah et du Hamas marchaient côte à côte. L'armée israélienne a répondu de façon agressive : des fois avec des gaz lacrymogènes, des coups et des arrestations ; des fois avec des tirs à balles réelles. Les Palestiniens ailleurs combattaient avec des kalachnikov, mais les gens de Budrus ont décidé, a déclaré Ayed Morrar, un vieil ami de Bassem qui a organisé le mouvement là-bas, que la résistance non armée « devrait peser davantage sur l'occupation. »
La stratégie a semblé fonctionner. Après 55 manifestations, le gouvernement israélien a accepté de déplacer la barrière sur la soi-disant ligne verte de 1967. La tactique s'est répandue à d'autres villages : Biddu, Ni'lin, Al Ma'asara en 2009, Nabi Saleh. Ensemble ils ont formé ce qui est connu comme la « résistance populaire », un effort coordonné de façon lâche qui a maintenu ce qui a été de façon durable la seule forme de résistance active et organisée à la présence israélienne en Cisjordanie depuis la fin de la seconde Intifada en 2005. Nabi Saleh, Bassem l'espérait pouvait être le modèle d'une forme de résistance pour le reste de la Cisjordanie. Le but était de démontrer qu'il était encore possible de lutter et d'agir ainsi sans prendre les armes, de telle façon que, quand l'étincelle viendra, si elle venait, la résistance puisse se répandre comme elle l'a fait pednat la première Intifada. « S'il y avait une troisième Intifada » , a-t-il dit, « nous voulons être ceux qui la commenceront ».
Bassem voyait trois options : «être silencieux, c'est accepter la situation », a-t-il dit, « et nous n'acceptons pas la situation ». Combattre avec des fusils et des bombes ne pourrait qu'apporter la catastrophe. Israël est immensément plus puissant a-t-il déclaré. « Mais par la résistance populaire, nous pourrons écarter son pouvoir ».
Aussi petites qu'étaient les manifestations, elles ont paru susciter une anxiété considérable en Israël. Paul Hirschson, un porte-parole du Ministère des Affaires Etrangères, m'a dit que, quoique les manifestations de Cisjordanie n'aient pas l'air d'une « menace essentielle », elles « pourraient certainement à court terme être davantage problématiques » qu'une révolte armée conventionnelle. Eytan Buchman, un porte-parole des FDI, a exprimé son désaccord avec l'idée que les protestations hebdomadaires étaient une forme de résistance non-violente. Dans un e-mail, il a décrit les protestations comme « des émeutes violentes et illégales qui ont lieu dans toute la Judée et la Samarie et où de gros rochers, des cocktails Molotov, des grenades improvisées et des pneus enflammés sont utilisés contre les forces de sécurité. Les qualifier de simples manifestations est une atténuation –plus de 200 membres des forces de sécurité ont été blessés ces dernières années lors de ces émeutes » (Des cocktails Molotov sont parfois lancés lors des protestations aux checkpoints de Beitunia et de Kalandia, mais jamais, a déclaré Bassem, à Nabi Saleh). Buchman a dit que les FDI« emploient tout un étalage de tactiques comme une partie d'une stratégie globale destinée à contenir ces émeutes et les actes de violence qui s'ensuivent ». Il a ajouté que « tout effort est fait pour réduire au minimum les affrontements physiques et les risques de morts » des deux côtés parmi les FDI et les «émeutiers ».
Un commandant militaire supérieur, qui a bien voulu accepter d'être interviewé seulement à la condition que son nom ne soit pas mentionné, m'a dit : « Quand la seconde Intifada a éclaté, c'était très difficile, mais il était très facile de comprendre ce que nous avions à faire. Vous avez l'ennemi, il tire sur vous, vous devez le tuer. » Faire face à des manifestants armés de frondes et de pierres ou de rien du tout est moins net. « En tant que citoyen israélien » a dit le commandant, « je préfère les pierres. En tant qu'officier militaire de métier, je préfère rencontrer des tanks et des troupes. »
Mais les armées, de par leur nature, ont une réponse par défaut à l'opposition : la force. Un soldat qui a servi à Nabi Saleh a témoigné devant le groupe de vétérans israéliens « Breaking the Silence » sur la préparation pour les protestations du vendredi. « C'est comme une sorte de jeu » a-t-il déclaré . « Tous veulent s'armer avec autant de munitions que possible… Vous avez des quantités de grenades assourdissantes… ainsi elles sont lancée pour le plaisir de lancer, sur des gens qui ne sont suspects de rien. Et à la fin vous dites à votre ami à la table du dîner de la Nuit de Vendredi : « Tonnerre ! J'en ai tiré beaucoup ».
Selon une note de 2010 du Département d'Etat des USA qui a étéébruitée, le Major Général d'Israël Avi Mizrahi a « exprimé de la frustration »à des diplomates américains au sujet des protestations en Cisjordanie et a « prévenu que les FDI allaient être plus expéditives dans la façon dont elles traitent ces manifestations, même des manifestations qui paraissent pacifiques ». La note concluait que des manifestations non violentes visent vraisemblablement à amener les FDI dans une impasse » en citant l'aveu du chef politique du Ministère de la Défense israélien Amos Gilad à des fonctionnaires américains, « Nous ne nous arrangeons pas très bien de Gandhi ».
Sagi Tal, un ancien soldat des FDI, qui était stationné près des villages de Bil'in et Ni'lin, qui ont aussi tenu des manifestations, m'expliquait que son unité menait des descentes nocturnes pour obtenir des renseignements ou procéder à des arrestations et parfois simplement de telle façon « qu'ils sentent que nous sommes là et que nous les surveillons ».
Un dimanche, après dîner, Nariman a mis un DVD tournéà la fois par elle et par Bilal, le vidéaste du village (« Depuis le début, m'a dit Bilal à la marche du vendredi précédent, filmant calmement alors que des grenades lacrymogènes tombaient tout autour de nous, nous avons décidé que les médias sont la chose la plus importante dans la résistance populaire ».)Nous avons regardé un clip tourné dans la maison où nous étions assis : des soldats frappaient bruyamment à porte tard la nuit ; ils ont fouillé la chambre des garçons tandis que Salam et Abu Yazan se blottissaient sous les couvertures et que Nariman hurlait en arabe : « Quelle virilité est-ce cela ! A quelle fière armée vous appartenez ! » Les soldats ont confisqué un masque à gaz, deux ordinateurs, la camera de Waed et deux de ses livres scolaires. (Dans un e-mail, un porte-parole des FDI a décrit de telles descentes nocturnes comme des « mesures préventives, prises pur assurer la sécurité et la stabilité dans la zone ».)
Nous avons regardé la séquence de l'arrestation de Nariman avec la femme de Bilal, Manal, au début de 2010. Des soldats avaient tiré des gaz lacrymogènes dans la maison de Manal, a expliqué Nariman. Manal est rentrée en courant pour aller chercher ses enfants et quand elle est sortie, un soldat lui a ordonné de retourner à l'intérieur. elle a refusé, donc ils l'ont arrêtée aussi. Elles ont passé10 jours en prison, où, ont-elles dit, elles ont été battues à plusieurs reprises, fouillées au corps et maintenues pendant deux jours sans nourriture, avant que chacune ne soit déposée au bord d'une route . (Buchman des FDI a déclaré : « il n'y a pas eu d'incidents exceptionnels enregistrés pendant ces arrestations ». il a ajouté qu'il n'y avait pas eu de plaintes déposées auprès des autorités militaires.)
Nous avons vu un clip sur des enfants en pleurs sortis d'une pièce remplie de gaz par une fenêtre du deuxième étage et descendus par une échelle humaine jusqu'à la rue. Au début, les villageois emmenaient tous les enfants vers une maison pendant les manifestations, mais, quand les soldats ont commencéà tirer des grenades de gaz dans les maisons, les villageois ont décidé qu'il était plus sûr de les faire rejoindre les protestations. Nous avons regardé la séquence sur un soldat traînant un garçon âgé de 9 ans dans la rue, et d'un soldat frappant la mère de Manal, âgée de 70 ans. Finalement Nariman a secoué la tête et a éteint le lecteur de DVD. « Glee »était en cours.
Un vendredi, peu de temps après que les marcheurs aient barré la route avec de gros blocs et des pneus en feu pour maintenir l'armée hors du centre du village, un camion blanc a pris le tournant à toute vitesse, un jet de liquide formant un arc à partir du canon à eau monté sur la cabine. Quelqu'un a hurlé, « Sconse » et tous ont déguerpi. Le liquide Sconse a l'odeur de beaucoup de choses , mais surtout a une odeur d'excréments. Nariman n'allait pas assez vite. Un jet de sconse lui a fait perdre l'équilibre. Quelques moments plus tard, elle s'est dressée d'un air de défi, laissant le canon la tremper et agitant un drapeau palestinien devant le pare-brise grillagé du camion. Une heure plus tard ou a peu près, sentant le sconse et le shampoing, elle servait le théà une douzaine de protestataires.
Chaque vendredi, c'était un peu différent. Certaines manifestations étaient courtes et d'autres presque sans fin. Certaines étaient drôles, d'autres pas du tout. Certains jours les FDI entraient dans le village et d'autres elles restaient plantées sur les collines. certaines fois ils procédaient à des arrestations. La structure de base, cependant, variait peu de semaine en semaine : quelques minutes de marche, des gaz lacrymogènes tirés, puis c'étaient les heures de la jeunesse du village – les shebab, sont-ils appelés- lançant des pierres tout en esquivant les cartouches de gaz lacrymogène et les balles caoutchoutées jusqu'à ce que le soleil se couche et que chacun soit rentréà la maison. Ou échouaient à parvenir à leur foyer.
C'était un étrange combat asymétrique : quelques dizaines de shebab masqués âgés de 8à38 ans, armés de fronde et de pierres, contre 20 ou plus de soldats dans des véhicules blindés ou à pied portant casque et cuirasse, avec en plus des radios et des armes automatiques. Les shebab élaboraient une tactique mûrement réfléchie, essayant de prendre les soldats de flanc et de les surprendre . Mais, même quand leurs étaient parfaitement exécutés, ils ne pouvaient pas beaucoup faire plus que d'irriter leurs ennemis. Les soldats, cependant, allaient inévitablement répondre avec un armement plus sophistiqué, qui devait motiver les shebab à rassembler encore plus de pierres vendredi après vendredi, en dépit –ou à cause- du fait que rien ne semblait jamais changer, pour le meilleur au moins.
J'ai demandéà un des garçons pourquoi il jetait des pierres en sachant combien c'était futile. « Je veux aider mon pays et mon village, et je ne peux pas », a-t-il dit. « Je ne peux que jeter des pierres ».
« Nous voyons nos pierres comme notre message » a expliqué Bassem. Le message qu'elles portaient, disait-il, était « Nous ne vous acceptons pas ». Pendant que Bassem parlait d'un ton admiratif du Mahatma Gandhi , il ne se préoccupait pas de savoir si le fait de jeter des pierres comptait comme violence. La question l'ennuyait : Israël utilise une force beaucoup plus grande et plus mortelle sur une base régulière, faisait-il remarquer, sans qu'on lui demande de clarifier son attitude par apport à la violence. Si le pagne faisait fonction de symbole de la résistance, de la nudité de l'Inde devant la puissance coloniale britannique, Bassem a déclaré« Notre symbole est la pierre ». Les heurts hebdomadaires avec les FDIétaient une barrière en partie symbolique. Les pierres n'étaient pas seulement des pierres jaunes de silex, mais des symboles de défi, d'un refus de se soumettre à l'occupation, contre vent et marée. Les armes de l'armée portent des messages particuliers : ceux du pouvoir économique et technologique, du soutien international. Plus d'un habitant de Nabi Saleh m'a rappelé que les gaz lacrymogènes utilisés là sont fabriqués par une société basée en Pennsylvanie. Un après-midi, j'ai rendu visite à la famille de Mustapha Tamimi, qui était âgé de 28 ans quand il est mort en décembre 2011 après avoir été atteint par un tir à courte porté d'une cartouche de gaz lacrymogène tiréà partir de l'arrière d'une jeep de l'armée israélienne (une enquête des FDI a conclu, selon Buchman, que lorsque le soldat a tiré la cartouche, « son champ de vision était obscurci ».) Les murs étaient couverts de photos encadrées : une photo d'action de Mustapha de profil, son visage derrière un masque rouge de Spider-Man tandis qu'il lançait une pierre sur les soldats en dehors du cadre.
Dans les semaines avant la mort de son fils, Ekhlas, sa mère, m'a raconté que des soldats étaient venus deux fois à la maison le chercher. Lorsqu'elle a reçu un appel ce vendredi lui demandant d'apporter la carte d'identité de Mustapha à la tour d'observation, elle a cru qu'il avait été arrêté, « comme les autres fois ». A côté de moi, Bahaa, un grand jeune homme qui était le meilleur ami Mustapha, consultait des photos sur un portable, passant sans cesse d'une image de Mustapha tombant par terre quelques pieds derrière une jeep des FDI, à une autre, prise un moment plus tard, de son visage écrasé et sanglant.
Ekhlas m'a parlé d'un rêve qu'elle a fait. Mustapha était debout sur le toit, portant son masque rouge. Il y avait des soldats au loin. Elle l'appelait : « Mustapha, descend ! Tous pensent que tu es mort –il vaut mieux qu'ils ne te voient pas . »
Il s'est tourné vers elle, dit-elle, et il lui a dit : « Non. Je suis debout ici de telle façon qu'ils me voient. »
« C'est le pire moment pour nous, » m'a confié Bassem l'été dernier . il ne pensait pas seulement que les villageois avaient moins à montrer pour leur sacrifices chaque semaine, mais que les choses allaient mal aussi en dehors du village. Chacun à qui j'ai parlé, qui était assez vieux pour se souvenir, convenait que les conditions pour les Palestiniens étaient de loin pires maintenant qu'elles n'étaient avant la première Intifada. Les checkpoints, les descentes, le système de permis, représentent davantage d'humiliations quotidiennes que les Palestiniens n'en ont jamais affrontées. Le nombre de colons israéliens vivant en Cisjordanie a plus que triplé depuis les accords d'Oslo. Les agressions des colons contre les Palestiniens sont si communes qu'elles font rarement l'actualité. La résistance, cependant, reste limitée à quelques villages dispersés comme Nabi Saleh et à un petit mouvement de la jeunesse urbaine.
Je me suis assis un après-midi à Ramallah avec Samir Shehadeh, un ancien professeur de littérature de Nabi Saleh, qui a été un des architectes intellectuels de la première Intifada et que j'ai plusieurs fois rencontré chez Bassem. Je lui ai rappelé l'accident de voiture qui a allumé le premier soulèvement et je lui ai demandé quelle sorte d'étincelle il faudrait prendre pour mobiliser les Palestiniens pour combattre de nouveau. « La situation est 1.000 fois pire » a-t-il dit. « Il y a des milliers d'étincelles possibles » et il n'est encore rien arrivé.
Dans les années 1980, les organisateurs de la jeunesse comme Bassem se concentraient sur le travail volontaire : aider les agriculteurs dans les champs, enseigner à leurs enfants. Ils construisaient la confiance et créaient les réseaux sociaux qui devaient plus tard permettre à la résistance de coordonner ses actions sans attendre des ordres d'en haut. Ces réseaux n'existent plus. Au lieu de cela il y a l'Autorité Palestinienne. Immédiatement après le premier Accord d'Oslo en 1993, l'érudit Edward Saïd a prédit que « l'OLP deviendra l'exécutant d'Israël. » Oslo a donné naissance à un état fantôme, un appareil administratif étendu mais largement impuissant, avec Israël gardant le contrôle effectif des finances de l'Autorité palestinienne, de ses frontières, de ses ressources en eau –de tous les aspects majeurs et mineurs de la vie palestinienne. Plus exaspérant pour beaucoup, Oslo, dans les paroles de Saïd, a donné un consentement officiel palestinien à une occupation prolongée » en créant une élite locale dont les privilège dépendent de la perpétuation du statu quo.
Ces élites vivent confortablement à l'intérieur de l'ainsi nommée « Bulle de Ramallah » : le monde brillant et relativement insouciant des cafés, les traitements des ONG et les biens importés qui caractérisent la vie dans la capitale provisoire de la Cisjordanie. Pendant la journée, les magasins de vêtements et les chaînes de restauration rapide font le plein. De nouveaux immeubles sont en train de s'élever partout . « Je n'ai pas perdu ma sœur et mon cousin et une partie de ma vie » a dit Bassem « pour que les fils des ministres » conduisent des voitures coûteuses.
Pire que toute corruption, cependant était la normalité apparente. Les colonies sont visibles sur les sommets des collines voisins, mais il n' y a pas de checkpoints à l'intérieur de Ramallah. Les FDI entrent occasionnellement dans la ville, et habituellement uniquement la nuit. Peu de Palestiniens travaillent encore à l'intérieur d'Israël et peu d'entre eux peuvent tirer des champs de quoi survivre. Pour les milliers de garçons de restaurant, d'employés, d'ingénieurs, de travailleurs des entrepôts, de mécaniciens et de bureaucrates qui passent leur journée dans la ville et retournent chaque soir vers leur village, Ramallah –qui a une population permanente de moins de 100.000 habitants- présente la possibilité d'oublier l'occupation et de poursuivre une carrière, d'économiser pour une voiture, d'envoyer les enfants à l'université.
Mais les checkpoints, les colonies, les soldats attendent juste en dehors de la ville et l'illusion de normalité rend la tâche de Nabi Saleh plus difficile. Si les Palestiniens ont cru qu'ils pourraient vivre mieux en jouant, qui devrait se soucier de lutter ? Quand Bassem a été emprisonné dans les décennies passées, a-t-il déclaré, les prisonniers étaient impatients de sortir et de reprendre leur lutte. Ces temps-ci il est tombé sur de vieux amis qui ne pouvaient pas comprendre pourquoi il était encore en train de combattre au lieu de faire de l'argent à partir des dépouilles de l'occupation. « Ils m'ont dit : « Tu es dégourdi – pourquoi fais-tu ceci ? Tu n'apprends pas ? ».
Parfois l'Autorité Palestinienne agit comme un obstacle plus immédiat à la résistance. peu de temps après que les protestations aient commencéà Nabi Saleh, Bassem a été contacté par des fonctionnaires de la sécurité de l'A.P.. Les manifestations étaient OK, lui ont-ils dit, déclare-t-il, aussi longtemps qu'elles ne pénétraient pas dans les zones sur lesquelles l'A.P. avaient juridiction –aussi longtemps, c'est cela, qu'elles ne forçaient pas l'A.P. à prendre parti, soit pour défier les Israéliens, soit pour réprimer leur propre peuple. (Un porte-parole des forces palestiniennes de sécurité, le Gén. Adnan Damiri, a nié ceci et a déclaré que l'Autorité Palestinienne soutient pleinement toutes les manifestations pacifiques ). A Hébron, les forces de l'A.P. ont empêché les protestataires de pénétrer dans le secteur de la ville sous contrôle israélien. « Ce n'est pas de la collaboration », m'a assuré un porte-parole des FDI qui n'a voulu me parler qu'à la condition qu'il ne soit pas nommé. « Israël a un ensemble d'intérêts, l'A.P. a un ensemble d'intérêts et il arrive que ces intérêts coïncident ».
Bassem ne distinguait pas facilement la manière de briser la torpeur et de déclencher une résistance populaire plus étendue. « Ils ont le pouvoir » a-t-il dit de l'A.P. « plus que les Israéliens de nous en empêcher ». L'Autorité Palestinienne emploie 160.000 Palestiniens, ce qui signifie qu'elle contrôle les moyens d'existence d'environ un quart des ménages de Cisjordanie. Une nuit j'ai demandéà Bassem et à Bilal, qui travaille pour le Ministère de la Santé Publique, combien de personnes à Nabi Saleh dépendent des traitements de l'A.P. Cela leur a pris quelques minutes pour additionner les noms. « Disons les deux tiers du village » a conclu Bilal.
L'été dernier, mon vendredi final à Nabi Saleh était censéêtre une journée courte. Un des shebab se fiançait à une fille du village voisin et tous projetaient d'assister à la cérémonie des fiançailles. La manifestation devait se terminer à3 heures.
Quatre voitures blindées attendaient au tournant de la route, le camion à sconse tournant au ralenti derrière elles. Manal a montré les policiers civils accompagnant les soldats. « Il y a une nouvelle politique selon laquelle ils peuvent arrêter les internationaux », a-t-elle expliqué. Au début de ce mois , en tant que part de l'effort pour combattre ce que les Israéliens appellent l'« internationalisation » du conflit, les forces de défense ont publié un ordre autorisant la police israélienne d'immigration à arrêter les étrangers en Cisjordanie.
Environ la moitié des marcheurs se sont dirigés vers le bas du versant de la colline. Les soldats qui attendaient en bas ont arrêté quatre Israéliens et mis en détention Bachir, le propriétaire des terres autour de la source. Tous applaudissaient, tandis que Mohammad courait vers le haut de la colline, distançant les soldats. (Trois mois plus tard ils devaient le rattraper lors d'une descente nocturne chez son père. Il a été emprisonné jusqu'à la fin de décembre). J'ai vu Nariman debout sur la route avec une Ecossaise. Je me suis approché. Deux soldats ont empoigné l'Ecossaise. Deux autres soldats m'ont pris par le bras, m'ont tiré vers une jeep et m'ont fourréà l'intérieur. J'ai montré ma carte de presse au conducteur. Il n'a pas changé d'expression. Deux jeunes femmes apeurées, Britanniques toutes les deux , étaient déjà enfermées à l'intérieur. Près d'une heure après, les soldats ont amené un Suédois et un Italien qui s'étaient cachés dans les toilettes de la station-service. D'autres soldats se sont entassés à l'intérieur. J'ai montréà l'un d'eux ma carte de presse et je lui ai demandé s'il comprenait que j'étais un journaliste. Il a fait un signe de tête. Finalement le conducteur s'est engagé sur la route. Tandis que nous passions la station-service, les shebab couraient derrière nous .
« Ils étaient si beaux il y a quelques minutes, n'est-ce pas ? » m'a dit un soldat à côté de moi, tandis que les pierres des shebab résonnaient contre la jeep. « Ils étaient si gentils ».
Ils nous ont conduit au vieux poste de police britannique dans la base des FDIà Halamish. Tandis que j'étais assis sur la banquette, un porte-parole des FDI m'a appelé sur mon téléphone cellulaire pour m'informer qu'aucun journaliste avec une carte de presse n'avait été détenu à Nabi Saleh. J'ai exprimé mon désaccord. (Le jour suivant, selon l'Agence France Presse, les FDI ont nié que j'avais été arrêté). Une demi-heure plus tard un officier m'a escorté jusqu'au portail.
Comme je retournais à pied à Nabi Saleh, la route était vide, mais l'air était encore poivréà cause du gaz lacrymogène. Je suis revenu à temps pour la réception des fiançailles et je suis rentréà la maison en avion le jour suivant. Les cinq militants détenus avec moi ont été expulsés. Deux nuits après que je sois parti, les soldats ont fait une descente chez Bassem. La semaine suivante, ils ont fait des descentes dans le village cinq jours d'affilée.
Ce mois d'octobre passé, le mouvement de résistance populaire a commencéà changer de tactique, essayant de briser la routine des manifestations hebdomadaires. Ils ont bloqué une route pour colons à l'Ouest de Ramallah, et la semaine suivante ont organisé une protestation à l'intérieur d'un supermarché appartenant à des Israéliens dans la zone industrielle de la colonie de Shaar Benyamin. Bassem a été arrêtéà l'extérieur du supermarché – les soldats ont agrippé Nariman et tiré Bassem à l'écart quand il a fait un pas en avant pour mettre son bras autour d'elle. Moins de deux semaines plus tard, Waed a été arrêté lors d'une manifestation du vendredi. Les soldats l'ont battu, dit-elle, « avec leurs poings et leur fusil ». Quand il est apparu au tribunal, Waed était encore contusionné. Le juge a rejeté les accusations. Mais pendant qu'il était détenu, il était dans la même prison que son père et il l'y a vu brièvement. « Quand je lui ai dit au revoir », m'a dit Waed avec une fiertéévidente, « il avait les larmes aux yeux. J'ai été plus fort que lui. »
Le jour de l'arrestation de Waed, une camera a saisi Ahed (sa sœur) secouant le poing, exigeant que les soldats lui disent où ils emmenaient son frère. Internet l'a repris : la video de la toute petite fille blonde aux bras nus faisant face à un soldat s'est répandue. Elle et Nariman ont été invitées à Istanbul, où, à leur surprise, a dit Nariman, elles ont été accueillies à l'aéroport par des douzaines d'enfants portant des T-shirts imprimés de la photo d'Ahed. Elles sont passées en voiture devant des panneaux publicitaires exposant l'image d'Ahed. Des journalistes les ont suivies partout. Des foules se sont rassemblées quand elles marchaient dans les rues. Elles ont été conduites vers le Premier Ministre Recep Tayyip Erdogan dans la ville d'Urfa au Sud-Est, a raconté Nariman, et elles sont revenues avec lui à Istanbul dans son avion.
Tout le monde n'a pas réagi avec autant d'enthousiasme. Un blogueur d'extrême-droite a qualifié Ahed de « Shirley Temper ». Le site d'information israélien Ynet a pris les images comme preuve que « les protestataires palestiniens utilisent des enfants pour aiguillonner les soldats des FDI dans l'espoir de provoquer une réponse violente ».
A la mi-novembre, des roquettes israéliennes ont commencéà tomber à Gaza. Les protestations se sont répandues dans toute la Cisjordanie. « Nous pensions que c'était le commencement de la troisième Intifada », m'a dit Manal. Les manifestations à Nabi Saleh se sont élargies au-delà de leur terminus habituel du vendredi soir. Un samedi de novembre, le frère de Nariman, Rushdie –qui travaillait comme policier près de Ramallah et qui était rarement à la maison le vendredi- a rejoint les shebab sur la colline. Il se tenait debout à côté de Waed quand il a été touché par une balle caoutchoutée. Puis les soldats ont commencéà tirer à balles réelles mais Rushdie était blessé et ne pouvait pas courir . Tandis qu'il était couché sur le sol, un soldat lui a tiré dans le dos d'une distance de quelques mètres. Nariman a couru vers le versant de la colline avec sa camera video et a trouvé son frère gisant blessé. « Je voulais attaquer le soldat et mourir avec Rushdie juste là, mais je savais que je devais être plus forte que cela » a dit Nariman. « Pourquoi me demande-t-on d'être plus humaine qu'ils ne le sont ? ». Rushdie, qui avait 31 ans, est mort deux jours plus tard. Une enquête des FDI a trouvé que les soldats ont tiré80 coups à balles réelles et ont négligé de « contrôler le tir ». Le commandant de l'unité aurait été relevé de son commandement.
Quand les combats ont cesséà Gaza, les protestations ont cessé en Cisjordanie. Je suis retournéà Nabi Saleh en janvier, trois semaines avant que l'on compte sur le retour de Bassem à la maison. Le village semblait apathique et déprimé, comme si tous étaient convaincus de la futilité de continuer . Lors du premier vendredi à mon retour, la manifestation s'est terminée tôt. Il a plu la semaine suivante et tout le monde est rentréà la maison au bout d'une heure. « Nous vivons encore le choc de l'assassinat de Rushdie », m'a dit Mohammad.
Ailleurs en Cisjordanie, pourtant, une dynamique était à l'œuvre. A la fin de novembre, Netanyahu a annoncé des projets de construction de 3400 unités de colonisation dans une zone connue comme E1, coupant effectivement Jérusalem de la Cisjordanie. Juste avant que je sois arrivé en janvier, les militants de la résistance populaire ont essayé quelque chose de nouveau, érigeant un « village » de tentes appelé Bab al Shams (La Porte du Soleil) dans la zone E1, en s'appropriant symboliquement les méthodes de confiscation des terres employées par les colons. « Le temps est venu maintenant de changer les règles du jeu », ont écrit les organisateurs dans un communiqué de presse, « pour que nous créions un fait établi sur le terrain –notre propre terre. ». Leur nombre était relativement faible –environ 250 personnes y ont pris part, comprenant Nariman et quelques autres de Nabi Saleh- et sur les ordres directs de Netanyahu, les soldats ont expulsé tout le monde deux jours plus tard, mais le mouvement a fait à nouveau la une de l'actualité tout autour du globe. Des campements identiques se sont multipliés dans toute la Cisjordanie –certains dans des zones où la résistance populaire n'avait pas été active antérieurement.
Le jour après sa libération, Bassem m'a dit que même en étant en prison il avait ressenti « un sentiment de joie » quand il a lu des informations au sujet de Bab al Shams. La résistance populaire était finalement en train de se répandre au-delà des manifestations villageoises. « Nous devons créer un esprit de renouvellement » a-t-il dit, « pas seulement à Nabi Saleh, mais à une plus large échelle ». Les pertes du village –et les siennes propres- a-t-il reconnu, étaient décourageantes. « Le prix est maintenant plus élevé» a-t-il dit, mais « si nous ne continuons pas, cela signifierait que l'occupation a réussi ». Cela devrait nécessiter une créativité constante, a-t-il dit, pour maintenir l'élan. Il ne savait pas encore ce à quoi cela ressemblerait, mais ne faisant qu'en parler, cela semblait ajouter des pouces à sa grandeur.
Dans un délai de quelques jours, des milliers de Palestiniens allaient protester dans toute la Cisjordanie, d'abord en solidarité avec les prisonnier en grève de la faim pour exiger la fin de la détention illimitée sans jugement de Palestiniens, puis en raison de l'indignation lors de la mort d'un prisonnier âgé de 30 ans du nom d'Arafat Jaradat. Une fois encore, les mots de « troisième Intifada » ont bourdonné dans toute la presse. Avi Dichter, le chef de la sécurité intérieure israélienne pendant la seconde Intifada et l'actuel Ministre du Front Intérieur de la Défense, ont averti dans un interview à la radio qu' « une réponse inappropriée des forces de sécurité» pourrait faire entrer les protestations dans une révolte complète .
Quand j'ai vu Bassem en février, je lui ai demandé s'il était inquiet que le soulèvement puisse finalement se produire au moment du plus grand manque de confiance de Nabi Saleh, qu'il puisse surprendre le village en état de somnolence. « Il n'est pas important de savoir qui résiste » , a-t-il dit. « Ce qui est important c'est qu'ils résistent ».
Vendredi dernier, j'étais là, le vent était contre les manifestants. Presque chaque grenade tirée par les soldats , sans considérer à quelle distance elle touchait le sol, rejetait un nuage de gaz juste sur eux par dessus la route. Une douzaine ou à peu près de villageois regardaient les heurts à partir de la relative sécurité du versant de la colline. Le cousin de Bassem, Naji, était assis sur un coussin de canapé. Mahmoud, le neveu de Bassem, versait du café dans des tasses en plastique transparentes. Des pavots rouge vif parsemaient la colline entre les rochers. Le chemin était libre, mais personne n'essayait de descendre vers la source.
Quand la manifestation a paru terminée, je suis revenu en marchant vers le village avec un jeune Israélien vêtu d'un T-shirt noir « L'Anarchie est pour les Amoureux ». Il m'a parlé de son enfance dans un kibboutz à la frontière avec la Bande de Gaza. Ses parents étaient des « Sionistes de droite », a-t-il dit, « le noyau dur ». Ils ne lui parlaient plus. Un groupe de soldats est apparu derrière nous , et nous avons plongé dans la cour de Nariman tandis qu'ils lançaient des grenades assourdissantes par dessus le mur. Plus tard cette soirée, à la maison de Naji, j'ai regardé la video de Bilal des mêmes soldats, qui descendaient tranquillement la rue en envoyant des grenades lacrymogènes jusqu'à ce qu'ils aient atteint leurs jeeps. Il s'y sont entassés et ont fermé les portières blindées. Une portière s'est entrouverte. Une main a émergé. Elle a lancé une dernière grenade ver la camera. Du gaz a jailli, la portière s'est refermée et la jeep a dévalé la route avec vitesse.
Ben Ehrenreich a gagné en 2011 un prix de journalisme du National Magazine. Son dernier roman est « Ether », publié par City Lights Books.Rédacteur en chef : Ilena Silverman. (traduit de l'anglais –Etats-Unis- par Y. Jardin)
Publié par New York Times Magazine