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Est-​​ce l'endroit où commencera la troisième Intifada ?

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Au soir du 10 février, la salle de séjour de la maison de Bassem Tamimi dans le village de Cis­jor­danie de Nabi Saleh était pleine d'amis et de parents en train de fumer ou de siroter du café, en attendant le retour de prison de Bassem. Son fils Waed, âgé de 16 ans, était pelo­tonné par terre avec son frère âgé de 6 ans, Salam, en train de jouer à des jeux video sur le iPhone que le premier ministre de Turquie a donnéà leur sœur, Ahed. Elle s'est rendue en avion à Istanbul pour recevoir un prix après que des photos d'elle, menaçant du poing un soldat israélien, lui ait valu une brève mais sai­sis­sante célé­brité inter­na­tionale. Nariman, la mère des enfants, accroupie dans une pièce latérale, faisant les der­niers pré­pa­ratifs pour le repas de son mari de retour à la maison, riant des deux pho­to­graphes se dis­putant pour des prises de vue à partir de l'étroit enca­drement de la porte, tandis qu'elle étalait des oignons sur des pains plats passés à l'huile.

Sur le mur de la salle de séjour, il y avait une affiche « Libérez Bassem Tamimi », restée depuis son dernier empri­son­nement pour avoir aidéà l'organisation des pro­tes­ta­tions heb­do­ma­daires contre l'occupation israé­lienne, ce qu'il a fait depuis 2009. Il était parti pendant 13 mois cette fois, puis était revenu à la maison pendant 5 mois avant qu'il ne soit arrêtéà nouveau en octobre. Beaucoup de choses se sont passées pendant sa der­nière assi­gnation : une autre courte guerre à Gaza, un vote à l'ONU octroyant à la Palestine un statut d'observateur, l'annonce de projets de construction de 3400 loge­ments pour les colons, une élection en Israël. Les pro­tes­ta­tions se sont pro­pagées dans toute la Cisjordanie.

Cette nuit, l'appel est arrivé vers environ 19 h 30. Vingt per­sonnes, tassées dans trois petites voi­tures et conduites vers la place du village. Davantage de voisins et de cousins sont arrivés à pied (Tous les 550 habi­tants de Nabi Saleh sont parents par le sang ou par mariage, et presque tous ont en commun le nom de famille Tamimi). Puis une Ford sombre est entrée len­tement sur la place et tous ont fait silence.

Bassem, qui est âgé de 45 ans, est des­cendu de voiture, le dos droit, les yeux bleus écla­tants à la lumière de la lampe. Il paraissait un peu plus mince et gri­sonnant que la der­nière fois que je l'avais vu, en juillet. Il a étreint et embrassé son fils aîné. Ahed était à côté, puis un par un, en silence, Bassem a étreint sa famille et ses amis, les mili­tants de Ramallah et de Jéru­salem, les membres de la gauche israé­lienne venus de Tel Aviv. Quand il eu salué tout le monde, il a marché vers le cime­tière et s'est arrêté devant la tombe encore non indiquée de son beau-​​frère Rushdie qui a été abattu par des soldats israé­liens en novembre pendant que Bassem était en prison. Il a fermé les yeux et pro­noncé une rapide prière avant de se déplacer vers la tombe de Mus­tapha Tamimi, qui est mort après avoir été atteint en décembre 2011 au visage par une car­touche de gaz lacrymogène.

De retour à la maison, Bassem sem­blait aba­sourdi. Nariman lui a pris les bras et elle s'est pré­ci­pitée à l'extérieur pour cacher ses larmes. Le village faisait encore le deuil de la mort de Rushdie, mais les jeunes hommes n'ont pu conserver long­temps cette gravité. Ils ont com­mencé par le petit Hamoudi, le fils du cousin de Bassem, le lançant en l'air de plus en plus haut au-​​dessus de la cour. Ils l'ont poséà terre et à tour de rôle ils en ont lancé un autre en l'air sous le ciel noc­turne, riant et criant comme s'ils n'avaient jamais eu à s'affliger de quelque chose.

De la plupart des fenêtres de Nabi Saleh tournées vers le Sud, vous pouvez voir les toits rouges de Halamish, la colonie israé­lienne sur le sommet de la colline de l'autre côté de la vallée. Elle est là depuis 1977, fondée par des membres du groupe natio­na­liste mes­sia­nique Gush Emunim et elle s'est déve­loppée depuis de façon inin­ter­rompue sur des terres qui autrefois appar­te­naient aux habi­tants de Nabi Saleh et d'un autre village pales­tinien. Près de Halamish il y a une base mili­taire israé­lienne, et dans la vallée entre Nabi Saleh et la colonie, de l'autre côté de la grand route et au dessus d'un sentier boueux, une petite source d'eau douce, que les Pales­ti­niens ont depuis long­temps appelée Ein al-​​Qaws, sort en bouillonnant d'un bas escar­pement rocheux. Au cours de l'été2008, bien que la terre entourant la source ait été pendant des géné­ra­tions la pro­priété de la famille de Bachir Tamimi qui est âgé de 57 ans, les jeunes d'Halamish ont com­mencéà construire le premier d'une série de bassins peu pro­fonds qui recueillent ses eaux. Plus tard ils ont ajouté une ban­quette et une ton­nelle pour faire de l'ombre. (Des années après, les colons, de façon rétro­active, ont demandé un permis de construire que les auto­rités israé­liennes ont refusé de délivrer en déclarant que « les requé­rants n'avaient pas apporté la preuve de leurs droits sur le bien-​​fonds en question ». Récemment plu­sieurs des struc­tures ont été enlevées). Quand les Pales­ti­niens sont venus pour pro­céder aux récoltes dans les champs à côté de celle-​​ci, les colons, selon les vil­la­geois, les ont menacés et leur ont jeté des pierres.

Cela a pris plus d'une année aux habi­tants de Nabi Saleh pour qu'ils s'organisent. En décembre 2009 ils ont tenu leur pre­mière marche, pour pro­tester non seulement contre la perte de leur source, mais aussi contre l'ensemble du système com­plexe de contrôle –de permis, de check­points, de murs, de prisons-​​ par les­quels Israël main­tient son emprise sur la région. Nabi Saleh est rapi­dement devenu le plus actif de la dou­zaine ou presque des vil­lages de Cis­jor­danie qui tiennent des mani­fes­ta­tions heb­do­ma­daires contre l'occupation israé­lienne. Depuis le début des mani­fes­ta­tions, plus de 100 per­sonnes du village ont été empri­sonnées. Nariman m'a dit que, selon son esti­mation, les échauf­fourées avec l'armée ont occa­sionné432 bles­sures, dont plus de la moitiéà des mineurs. L'élan a été dif­ficile à main­tenir –les semaines passent, sans aucune amélioration-​​ mais cependant, malgré les arres­ta­tions, les bles­sures et les morts, chaque ven­dredi après la prière de midi, les vil­la­geois, rejoints parfois par un nombre égal de jour­na­listes et de mili­tants israé­liens et étrangers, essayent de marcher du centre du village vers la source, sur une dis­tance de peut-​​être un demi-​​mille. Et chaque ven­dredi, les soldats israé­liens les bloquent par quelque com­bi­naison de gaz lacry­mogène, de balles caou­tchoutées, de jets par des canons à eau d'un liquide nocif appelé« skunk » (=sconse : animal à l'odeur infecte) et de temps en temps de tirs à balles réelles.

L'été dernier, j'ai passé trois semaines à Nabi Saleh, en séjournant chez Bassem et Nariman. Quand je suis arrivé en juin, Bassem venait juste d'être libéré de prison. En mars 2011, des soldats israé­liens ont fait une des­cente chez lui pour l'arrêter. Parmi des accu­sa­tions mineures, il a été accusé devant un tri­bunal mili­taire d'« inci­tation », d'organisation de « défilés non auto­risés » et de racolage de la jeu­nesse pour jeter des pierres. (En 2010, 99,74 % des Pales­ti­niens ayant comparu devant un tri­bunal mili­taire ont été jugés cou­pables). Les condi­tions de la libé­ration de Bassem lui inter­di­saient de prendre part aux mani­fes­ta­tions qui sont effec­ti­vement illé­gales sous le coup de la loi mili­taire israé­lienne, si bien que le premier ven­dredi après que je sois arrivé, juste après l'appel de midi à la prière, il n'est venu à pied avec moi que jusqu'à la place, où environ 50 vil­la­geois s'étaient ras­semblés à l'ombre d'un vieux mûrier . Ils ont été rejoints par une poignée de mili­tants pales­ti­niens de Ramallah et Jérusalem-​​Est, en grande partie de jeunes femmes ; peut-​​être une dou­zaine de mili­tants euro­péens et amé­ri­cains en âge d'être à l'Université ; une demi-​​douzaine d'Israéliens, en grande partie aussi des femmes –de jeunes anar­chistes en bottes et jeans noirs, avec des « pier­cings » de diverses sortes. Ensemble ils ont des­cendu la route, en cla­quant dans leurs mains et en scandant des slogans en arabe et en anglais. Le fils de Bassem, Abu Yazan, mar­chait à l'arrière de la foule.

Puis, il y avait là les jour­na­listes, galopant vers le sommet des col­lines à la recherche des meilleurs points de vue. Dans les pre­miers jours des mani­fes­ta­tions, le village foi­sonnait de jour­na­listes de l'ensemble du globe, venus là pour informer sur la lutte du minuscule village contre l'occupation. « Des fois ils viennent et des fois non », devait me dire plus tard Mohammad Tamimi qui est âgé de 24 ans et qui coor­donne la cam­pagne média­tique du village. Les évène­ments au Moyen-​​Orient -la révo­lution en Egypte et la guerre civile en Syrie-​​ et la routine inva­riable ont fait qu'il est beaucoup plus dif­ficile de retenir l'attention du monde. Ce vendredi-​​là il n'y avait qu'une équipe de télé­vision pales­ti­nienne et quelques pho­to­graphes israé­liens, les habitués parmi eux portant un casque d'acier.

La pre­mière année de la pro­tes­tation, pour s'assurer que les mani­fes­ta­tions -et le sort des Pales­ti­niens vivant sous occu­pation israélienne-​​ ne res­taient pas cachés der­rière les murs et les bar­rières, Mohammad a com­mencéà envoyer des nou­velles par un blog et plus tard sur une page Facebook (appro­chant main­tenant 4000 habitués) sous le nom de Tamimi Press. Tamimi Press s'est bientôt trans­formé en une équipe média­tique indigène : Bilal Tamimi tournant des videos et télé­char­geant les hauts faits de la pro­tes­tation sur son canal You Tube ; Helme prenant des photos ; et Mohammad envoyant par mail les nou­veaux com­mu­niqués à500 jour­na­listes ori­ginaux et à des mili­tants. Manal, qui est mariée à Bilal, com­plète l'effort par une dif­fusion sou­tenue de tweets (@screamingtamimi).

Les nou­velles des pro­tes­ta­tions se déplacent rapi­dement autour du globe, rebon­dissant parmi les blogs de gauche à droite. Des journaux pen­chant plutôt à gauche comme le « Guardian » en Grande-​​Bretagne ou « Haaretz » en Israël couvrent cependant les évène­ments majeurs du village –décès et funé­railles, arres­ta­tions et libé­ra­tions de Bassem-​​ mais un site d'information de la droite israé­lienne a com­mencé depuis l'année der­nière à recycler la même man­chette , semaine après semaine : « Arabes, Emeute de Gau­chistes à Nabi Saleh ». Dans l'intervalle, un pèle­rinage à Nabi Saleh a obtenu un certain cachet parmi les mili­tants euro­péens, de la manière dont le faisait une mission avec les Zapa­tistes au Mexique dans les années 1990. Pendant un temps, Nariman pré­parait régu­liè­rement un festin végé­tarien pour les étrangers épuisés qui s'attardaient après les pro­tes­ta­tions (une des pre­mières choses qu'elle m'a demandées quand je suis arrivéétait de savoir si j'étais végé­tarien. Son visage s'est épanoui quand j'ai dit non).

Quel que soit le succès qu'ils aient eu dans la presse, les gens de Nabi Saleh sont inten­sément conscients de tout ce à quoi ils ne sont pas arrivés. L'occupation, par exemple, per­siste. Quand je suis arrivé en juin, les mani­fes­tants n'avaient pas pu une seule fois atteindre la source. Habi­tuel­lement ils n'allaient pas bien loin au-​​delà de la prin­cipale route, où ils devaient tourner pour trouver les soldats qui atten­daient de l'autre côté du virage. Cette semaine cependant ils ont décidé de couper tout droit vers le bas du versant vers la source. Bachir conduisait le cortège, agitant un drapeau. Comme d'habitude, les jeeps de l'armée israé­lienne étaient en attente au-​​dessous de la source. Les quatre soldats debout hors de celles-​​ci ont paru troublés – il sem­blait qu'ils ne s'attendaient pas à ce que les pro­tes­ta­taires par­viennent aussi loin. Les vil­la­geois, en passant devant eux, ont marché vers la source, où ils ont surpris trois colons en train de déjeuner à l'ombre, encore mouillés après un bain dans un des bassins. L'un ne portait qu'un slip de bain humide et un fusil en ban­dou­lière par dessus la poitrine.

Les gosses sont passés en courant. Les adultes sont entrés un à un, bavardant et fumant. Davantage de soldats sont arrivés, cui­rassés, portant des fusils et des lance-​​grenades. Waed et Abu Yazan ont donné du pied dans un ballon de foot jusqu'à ce qu'un garçon aper­çoive une carpe orange vif dans un des bassins et Abu Yazan et d'autres ont essayé de l'attraper à mains nues, à coups d'éclaboussures, jusqu'à ce que l'eau soit troublée et que la carpe disparaisse.

Quatre colons sont apparus sur la cor­niche au-​​dessus de la source, de jeunes hommes aux lunettes de soleil et en jeans, l'un d'entre eux portant un fusil auto­ma­tique. A côté de moi, un robuste officier chauve des Forces de Défense Israé­liennes dis­cutait avec un pro­tes­ta­taire israélien. « Je vous ai laissé venir » insistait l'officier. « Main­tenant vous devez partir ».

Les enfants se sont entassés sur la balan­çoire que les colons ont construite et se sont balancés avec furie, en chantant. Un jeune colon dis­cutait avec l'officier des FDI, insistant pour que qu'il écarte les protestataires.

« Que font dix minutes ? » disait l'officier.

« Toutes les 10 secondes importent », répondait le colon.

Mais avant que leurs 10 minutes ne soient ter­minées, une heure après qu'ils soient arrivés, les vil­la­geois ont ras­semblé les enfants et sont partis comme ils étaient venus, en cla­quant dans leurs mains et en scandant des slogans, leur défi rendu plein d'entrain par la joie. Pour la pre­mière fois en deux heures et demie ils étaient par­venus à la source.

Ils ont pris la direction du retour le long de la grand route, ce qui signi­fiait qu'ils devaient passer la route menant à Halamish. Ahed, ses cheveux en une longue tresse, s'accrochait à un cousin à l'avant du cortège. Comme ils s'approchaient de la route un officier de la police des fron­tière a lancé en l'air une grenade assour­dis­sante -un engin qui fait un bruit reten­tissant et un éclair, mais qui, théo­ri­quement au moins, ne cause aucun dommage cor­porel – aux pieds d'Ahed, et puis une autre et une autre. En l'espace de quelques secondes, les mar­cheurs se sont mis à courir vers le haut de la colline pour revenir à leur village, les gre­nades lacry­mo­gènes jaillissant à travers le ciel au-​​dessus de leur tête.

Les chauds soirs d'été la vie à Nabi Saleh pourrait être presque idyl­lique. Tout le monde connaît tout le monde. Les enfants courent en ribam­belles rieuses. Une nuit, Bassem et Nariman étaient assis dehors, par­ta­geant un nar­guileh, tandis que Nariman lisait la tra­duction d'un roman de Dan Brown et le petit Salam cara­colait allè­grement, annonçant, « Je suis Salam, et la vie est belle ! «

Bassem est employé par le Ministère de l'Intérieur de l'Autorité Pales­ti­nienne dans un service chargé d'homologuer les visas d'entrée pour les Pales­ti­niens vivant à l'étranger. En pra­tique, a-​​t-​​il dit, les fonc­tion­naires de l'AP« n'ont aucune autorité», les déci­sions réelles sont prises en Israël et trans­mises à l'AP pour un coup de tampon. entre autres choses, cela signi­fiait que Bassem avait rarement à rendre compte à son bureau de Ramallah, ce qui lui laissait ses jours libres pour prendre soin de sa mère malade –  elle est morte quelques semaines après que j'ai quitté le village l'été dernier-​​ en menant sa stra­tégie par télé­phone, en ren­con­trant des visi­teurs inter­na­tionaux et en me parlant au-​​dessus de nom­breuses tasses de café fort non sucré. Nous devions parler dans la salle de séjour, par dessus le bour­don­nement d'une émission d'information d'Al Jazeera. Une image encadrée de la Mosquée Al Aqsa de Jéru­salem était accrochée au-​​dessus de la télé­vision (plus par fierté natio­na­liste que par piété : la vision de Bassem est pro­fon­dément laïque).

Bien que de nom­breuses per­sonnes de Nabi Saleh aient été empri­sonnées, seul Bassem a été déclaré« pri­sonnier de conscience » par Amnesty Inter­na­tional. Les diplo­mates étrangers ont assisté en 2011 aux audiences judi­ciaires le concernant. Le cha­risme de Bassem a sans doute quelque chose à voir avec cette attention. Un calme étrange, rayonnant, sem­blait planer autour de lui. Il sou­riait rarement et il avait ten­dance à glisser des décla­ra­tions d'un grand poids (« notre des­tinée est de résister ») dans des propos ordi­naires, mais j'ai vu sa réserve fondre toutes les fois qu'un de ses enfants montait sur ses genoux.

Quand les forces israé­liennes ont occupé la Cis­jor­danie en 1967, Bassem avait 10 semaines. Sa mère s'est cachée avec lui dans une grotte jusqu'à ce que les combats cessent. Il se sou­vient d'avoir joué dans l'avant-poste aban­donné de la police bri­tan­nique, qui est main­tenant le centre de la base des FDI près d'Halamish, et d'avoir accom­pagné les garçons plus vieux qui fai­saient paître leurs moutons sur le sommet de la colline où s'élève main­tenant la colonie. Sa mère allait tous les jours à la fon­taine pour chercher de l'eau. Les colons sont arrivés quand il avait 9 ans.

Halamish est main­tenant tout à fait ins­tallée et plus confor­table que la plupart des quar­tiers clô­turés des Etats-​​Unis. Der­rière les fils de fer cou­pants et le péri­mètre de clô­tures à maillons métal­liques, une fois passé le portail d'entrée et le poste de garde armée, il y a des ter­rains de jeux, un bassin couvert, une salle de loisirs et un amphi­théâtre, une cli­nique, une biblio­thèque, une école et plu­sieurs syna­gogues. Les routes sont bien pavées, bordées de fleurs, les cours sont pleines de citron­niers. Halamish fonc­tionne main­tenant comme un fau­bourg rési­dentiel ; beaucoup des habi­tants occupent des emplois du ter­tiaire à Tel Aviv ou Modi'in. La popu­lation de la colonie atteint plus du double de celle de Nabi Saleh.

J'ai ren­contré pour la pre­mière fois Shifra Blass, la porte-​​parole d'Halamish, en 2010. Elle a parlé de l'aspect vide de la Cis­jor­danie –elle employait le nom biblique de Judée et Samarie-​​ quand elle et son mari ont immigré en venant des USA au début des années 1970, avec l'intention d'établir une pré­sence juive sur une terre qu'ils croyaient leur être promise. Les rela­tions avec les vil­lages envi­ron­nants, m'a-t-elle dit, étaient restées cor­diales, ami­cales même, jusqu'à la pre­mière Intifada. (Quand j'ai interrogé les gens de Nabi Saleh à ce sujet, per­sonne ne s'en sou­venait de cette façon). Pendant la seconde Intifada, trois habi­tants de la colonie, a déclaré Blass, ont été tués par arme à feu sur les routes toutes proches. Ils n'étaient pas près du village, mais les atti­tudes se sont durcies.

Quand je lui ai rendu visite de nouveau le mois dernier, elle n'avait pas très envie de me parler du conflit à propos de la source et des terres qui l'entourent. « Nous voulons vivre nos vies et non passer du temps à en parler », a dit Blass. Elle a dénoncé les mani­fes­ta­tions heb­do­ma­daires comme la création d' « agi­ta­teurs exté­rieurs qui viennent ici pour faire des vagues –des inter­na­tio­na­listes, des anar­chistes, n'importe quoi ». C'était tout un spec­tacle, disait-​​elle, du théâtre pour des medias d'information faciles à duper. « Je vais vous dire quelque chose : c'est désa­gréable ». Les ven­dredi, disait-​​elle, parfois les vents amènent des gaz lacry­mo­gènes dans la colonie de l'autre côté de la vallée. « Nous avons cer­tains grands enfants qui disent qu'ils ne peuvent revenir de l'universitéà la maison pour le Shabbat à cause des gaz lacry­mo­gènes. Ils appellent et disent, « Dis-​​moi quelle est la gravité, parce que si c'est vraiment grave, je ne vais pas venir ». »

Quand la pre­mière Intifada a éclatéà la fin de 1987, Nabi Saleh était, comme il est main­tenant, un point d'éclatement. La route qui passe entre le village et la colonie relie le centre de la Cis­jor­danie à Tel Aviv : une simple bar­ricade pouvait arrêter le flot des tra­vailleurs pales­ti­niens vers Israël. Bassem était un des prin­cipaux mili­tants de la jeu­nesse du Fatah pour la région, orga­nisant les grèves, les boy­cotts et les mani­fes­ta­tions qui carac­té­ri­saient ce sou­lè­vement (Nabi Saleh est una­ni­mement loyal au Fatah, le parti natio­na­liste laïc qui gou­verne la Cis­jor­danie ; le Hamas, le mou­vement isla­miste militant qui gou­verne Gaza, a ses par­tisans ailleurs en Cis­jor­danie mais n'a jamais pris pied dans le village). Il a dûêtre empri­sonné sept fois pendant l'Intifada et, dit-​​il, il n'a jamais été accusé de crime. Avant sa plus récente arres­tation, je lui ai demandé combien de temps il avait passé en prison. Il a fait le total des mois : « environ quatre ans. »

Après une arres­tation en 1993, m'a raconté Bassem, un inter­ro­gateur israélien l'a secoué avec une telle force qu'il est tombé dans le coma pendant huit jours. il a une cica­trice de la taille d'une pié­cette à la tempe, à la suite d'une opé­ration céré­brale d'urgence pendant ce moment. Sa sœur est morte pendant qu'il était en prison. Elle a été frappée par un soldat et est tombée sur une volée de marches de l'escalier du tri­bunal, selon son fils Mahmoud qui était avec elle pour assister au jugement de son frère. (Les FDI n'ont pas fait d'observation sur cette allégation).

Bassem parle néan­moins de ces années, comme le font de nom­breux Pales­ti­niens de son âge, avec quelque chose comme de la nos­talgie. La pre­mière Intifada a éclaté de façon spon­tanée –elle a com­mencéà Gaza lors d'un accident de voiture, quand un porte-​​char israélien a tué quatre tra­vailleurs pales­ti­niens. Le sou­lè­vement a été ini­tia­lement, une forme de soli­daritéà une échelle nationale. Ses pre­mières armes ont été de la sorte qui trans­forme la fai­blesse en force : la pierre, la bar­ricade, le boycott, la grève. La réponse israé­lienne à la révolte –en 1988, le Ministre de la Défense, Yitzhak Rabin, aurait autorisé les soldats à briser les membres des mani­fes­tants non armés-​​ a com­mencéà ren­verser l'opinion publique inter­na­tionale du côté de la cause pales­ti­nienne pour la pre­mière fois depuis des décennies. Lors de la troi­sième année cependant le pouvoir s'est déplacé vers la hié­rarchie de l'OLP. Le premier gou­ver­nement Bush a poussé Israël à négocier, menant fina­lement à l'Accord d'Oslo de 1993, qui a créé l'Autorité Pales­ti­nienne en tant que corps inter­mé­diaire en attendant un accord sur un « statut final ».

Mais peu de chose a été résolu à Oslo. Une seconde Intifada a fait éruption en 2000, suivant prin­ci­pa­lement au début le modèle établi par le premier sou­lè­vement. Les Pales­ti­niens ont bloqué les routes et jeté des pierres. Les FDI se sont emparés d'une maison à Nabi Saleh. Les enfants ont lancé par les fenêtres des ser­pents, des scor­pions et ce que Bassem a appelé par euphé­misme des « eaux usées ». Les soldats se sont retirés. Puis est venu la lourde vague des attentats-​​suicides, ce que Bassem a appelé« la grande erreur ». Une majoritéécra­sante des morts israé­liennes pendant le sou­lè­vement ont eu lieu dans environ 100 attaques-​​suicides, la plupart contre des civils. Une bombe dans un disco à Tel Aviv en 2001 a tué21 ado­les­cents. « Poli­ti­quement, nous avons régressé» a dit Bassem. Beaucoup de la bien­veillance inter­na­tionale gagnée au cours de la pré­cé­dente décennie a été dis­sipée. Prendre les armes n'a pas été pour Bassem une erreur morale tout autant que stra­té­gique. Lui et quelqu'un d'autre du village avec qui j'ai parlé ont insisté sur le fait qu'ils avaient le droit à la résis­tance armée. Juste qu'ils ne pensent pas que cela fonc­tionne. Bassem était capable de dévider une liste des réa­li­sa­tions de Nabi Saleh. De cer­taines –Nabi Saleh, a-​​t-​​il dit, a plus de degrés d'avance que tout autre village-​​ il était abso­lument fier. D'autres –une des pre­mières actions mili­taires après Oslo, la pre­mière femme à par­ti­ciper à une attaque-​​suicide-​​ entraî­naient des émotions plus embrouillées.

En 1993, m'a raconté Bassem, son cousin Saïd Tamimi a tué un colon près de Ramallah. Huit ans plus tard, un autre vil­la­geois, Ahlam Tamimi a escorté un porteur de bombe vers une piz­zeria Sbarro à Jéru­salem. Quinze per­sonnes ont été tuées, huit d'entre elles étant mineures. Ahlam, qui vit main­tenant en exil en Jor­danie, et Saïd, qui est en prison en Israël, restent très aimés à Nabi Saleh. Bien que toute per­sonne avec qui j'ai parlé dans le village paraissait âprement conscient des effets cor­rosifs de la vio­lence –« Cela tuera les enfants », a dit Manal, « de penser à la haine et à la revanche »- ils s'offensaient d'être appelés à renier le mas­sacre quand l'on faisait retomber la faute sur eux de façon si cou­rante. Saïd, m'a dit Manal, « a perdu son père, son oncle, sa tante, sa sœur –ils ont tous été tués. Comment pouvez-​​vous le blâmer ? »

Les pertes de le seconde Intifada ont étéénormes. Près de 5000 Pales­ti­niens et plus de 1000 Israé­liens sont morts. La cam­pagne israé­lienne d'assassinats et le siège par les FDI des villes de Cis­jor­danie ont laissé la direction pales­ti­nienne décimée et décou­ragée. A la fin de 2005, Yasser Arafat était mort, Israël avait retiré ses troupes et ses colons de Gaza et le pré­sident de l'Autorité Pales­ti­nienne, Mahmoud Abbas, est parvenu à une trêve avec le Premier Ministre Ariel Sharon. Le sou­lè­vement s'est éteint. L'économie était ruinée, Gaza et la Cis­jor­danie étaient plus isolées que jamais l'une de l'autre et les Pales­ti­niens étaient divisés, vaincus et épuisés.

Mais en 2003, tandis que l'Intifada faisait encore rage, Bassem et d'autres de Nabi Saleh ont com­mencéà suivre les mani­fes­ta­tions à Budrus, à vingt minutes d'ici. Budrus était menacé d'être coupé du reste de la Cis­jor­danie par la bar­rière de sépa­ration pro­jetée par Israël, la ligne de démar­cation de béton et de grillage qui ser­pente le long de la fron­tière et qui dans de nom­breux endroits s'enfonce pro­fon­dément dans le ter­ri­toire pales­tinien. Les habi­tants ont com­mencéà mani­fester. Des étrangers et des mili­tants israé­liens se sont joints aux pro­tes­ta­tions. Les loya­listes du Fatah et du Hamas mar­chaient côte à côte. L'armée israé­lienne a répondu de façon agressive : des fois avec des gaz lacry­mo­gènes, des coups et des arres­ta­tions ; des fois avec des tirs à balles réelles. Les Pales­ti­niens ailleurs com­bat­taient avec des kalach­nikov, mais les gens de Budrus ont décidé, a déclaré Ayed Morrar, un vieil ami de Bassem qui a organisé le mou­vement là-​​bas, que la résis­tance non armée « devrait peser davantage sur l'occupation. »

La stra­tégie a semblé fonc­tionner. Après 55 mani­fes­ta­tions, le gou­ver­nement israélien a accepté de déplacer la bar­rière sur la soi-​​disant ligne verte de 1967. La tac­tique s'est répandue à d'autres vil­lages : Biddu, Ni'lin, Al Ma'asara en 2009, Nabi Saleh. Ensemble ils ont formé ce qui est connu comme la « résis­tance popu­laire », un effort coor­donné de façon lâche qui a maintenu ce qui a été de façon durable la seule forme de résis­tance active et orga­nisée à la pré­sence israé­lienne en Cis­jor­danie depuis la fin de la seconde Intifada en 2005. Nabi Saleh, Bassem l'espérait pouvait être le modèle d'une forme de résis­tance pour le reste de la Cis­jor­danie. Le but était de démontrer qu'il était encore pos­sible de lutter et d'agir ainsi sans prendre les armes, de telle façon que, quand l'étincelle viendra, si elle venait, la résis­tance puisse se répandre comme elle l'a fait pednat la pre­mière Intifada. « S'il y avait une troi­sième Intifada » , a-​​t-​​il dit, « nous voulons être ceux qui la commenceront ».

Bassem voyait trois options : «être silen­cieux, c'est accepter la situation », a-​​t-​​il dit, « et nous n'acceptons pas la situation ». Com­battre avec des fusils et des bombes ne pourrait qu'apporter la catas­trophe. Israël est immen­sément plus puissant a-​​t-​​il déclaré. « Mais par la résis­tance popu­laire, nous pourrons écarter son pouvoir ».

Aussi petites qu'étaient les mani­fes­ta­tions, elles ont paru sus­citer une anxiété consi­dé­rable en Israël. Paul Hirschson, un porte-​​parole du Ministère des Affaires Etran­gères, m'a dit que, quoique les mani­fes­ta­tions de Cis­jor­danie n'aient pas l'air d'une « menace essen­tielle », elles « pour­raient cer­tai­nement à court terme être davantage pro­blé­ma­tiques » qu'une révolte armée conven­tion­nelle. Eytan Buchman, un porte-​​parole des FDI, a exprimé son désaccord avec l'idée que les pro­tes­ta­tions heb­do­ma­daires étaient une forme de résis­tance non-​​violente. Dans un e-​​mail, il a décrit les pro­tes­ta­tions comme « des émeutes vio­lentes et illé­gales qui ont lieu dans toute la Judée et la Samarie et où de gros rochers, des cock­tails Molotov, des gre­nades impro­visées et des pneus enflammés sont uti­lisés contre les forces de sécurité. Les qua­lifier de simples mani­fes­ta­tions est une atté­nuation –plus de 200 membres des forces de sécurité ont été blessés ces der­nières années lors de ces émeutes » (Des cock­tails Molotov sont parfois lancés lors des pro­tes­ta­tions aux check­points de Bei­tunia et de Kalandia, mais jamais, a déclaré Bassem, à Nabi Saleh). Buchman a dit que les FDI« emploient tout un étalage de tac­tiques comme une partie d'une stra­tégie globale des­tinée à contenir ces émeutes et les actes de vio­lence qui s'ensuivent ». Il a ajouté que « tout effort est fait pour réduire au minimum les affron­te­ments phy­siques et les risques de morts » des deux côtés parmi les FDI et les «émeutiers ».

Un com­mandant mili­taire supé­rieur, qui a bien voulu accepter d'être inter­viewé seulement à la condition que son nom ne soit pas men­tionné, m'a dit : « Quand la seconde Intifada a éclaté, c'était très dif­ficile, mais il était très facile de com­prendre ce que nous avions à faire. Vous avez l'ennemi, il tire sur vous, vous devez le tuer. » Faire face à des mani­fes­tants armés de frondes et de pierres ou de rien du tout est moins net. « En tant que citoyen israélien » a dit le com­mandant, « je préfère les pierres. En tant qu'officier mili­taire de métier, je préfère ren­contrer des tanks et des troupes. »

Mais les armées, de par leur nature, ont une réponse par défaut à l'opposition : la force. Un soldat qui a servi à Nabi Saleh a témoigné devant le groupe de vétérans israé­liens « Breaking the Silence » sur la pré­pa­ration pour les pro­tes­ta­tions du ven­dredi. « C'est comme une sorte de jeu » a-​​t-​​il déclaré . « Tous veulent s'armer avec autant de muni­tions que pos­sible… Vous avez des quan­tités de gre­nades assour­dis­santes… ainsi elles sont lancée pour le plaisir de lancer, sur des gens qui ne sont sus­pects de rien. Et à la fin vous dites à votre ami à la table du dîner de la Nuit de Ven­dredi : « Ton­nerre ! J'en ai tiré beaucoup ».

Selon une note de 2010 du Dépar­tement d'Etat des USA qui a étéébruitée, le Major Général d'Israël Avi Mizrahi a « exprimé de la frus­tration »à des diplo­mates amé­ri­cains au sujet des pro­tes­ta­tions en Cis­jor­danie et a « prévenu que les FDI allaient être plus expé­di­tives dans la façon dont elles traitent ces mani­fes­ta­tions, même des mani­fes­ta­tions qui paraissent paci­fiques ». La note concluait que des mani­fes­ta­tions non vio­lentes visent vrai­sem­bla­blement à amener les FDI dans une impasse » en citant l'aveu du chef poli­tique du Ministère de la Défense israélien Amos Gilad à des fonc­tion­naires amé­ri­cains, « Nous ne nous arran­geons pas très bien de Gandhi ».

Sagi Tal, un ancien soldat des FDI, qui était sta­tionné près des vil­lages de Bil'in et Ni'lin, qui ont aussi tenu des mani­fes­ta­tions, m'expliquait que son unité menait des des­centes noc­turnes pour obtenir des ren­sei­gne­ments ou pro­céder à des arres­ta­tions et parfois sim­plement de telle façon « qu'ils sentent que nous sommes là et que nous les surveillons ».

Un dimanche, après dîner, Nariman a mis un DVD tournéà la fois par elle et par Bilal, le vidéaste du village (« Depuis le début, m'a dit Bilal à la marche du ven­dredi pré­cédent, filmant cal­mement alors que des gre­nades lacry­mo­gènes tom­baient tout autour de nous, nous avons décidé que les médias sont la chose la plus impor­tante dans la résis­tance popu­laire ».)Nous avons regardé un clip tourné dans la maison où nous étions assis : des soldats frap­paient bruyamment à porte tard la nuit ; ils ont fouillé la chambre des garçons tandis que Salam et Abu Yazan se blot­tis­saient sous les cou­ver­tures et que Nariman hurlait en arabe : « Quelle virilité est-​​ce cela ! A quelle fière armée vous appar­tenez ! » Les soldats ont confisqué un masque à gaz, deux ordi­na­teurs, la camera de Waed et deux de ses livres sco­laires. (Dans un e-​​mail, un porte-​​parole des FDI a décrit de telles des­centes noc­turnes comme des « mesures pré­ven­tives, prises pur assurer la sécurité et la sta­bilité dans la zone ».)

Nous avons regardé la séquence de l'arrestation de Nariman avec la femme de Bilal, Manal, au début de 2010. Des soldats avaient tiré des gaz lacry­mo­gènes dans la maison de Manal, a expliqué Nariman. Manal est rentrée en courant pour aller chercher ses enfants et quand elle est sortie, un soldat lui a ordonné de retourner à l'intérieur. elle a refusé, donc ils l'ont arrêtée aussi. Elles ont passé10 jours en prison, où, ont-​​elles dit, elles ont été battues à plu­sieurs reprises, fouillées au corps et main­tenues pendant deux jours sans nour­riture, avant que chacune ne soit déposée au bord d'une route . (Buchman des FDI a déclaré : « il n'y a pas eu d'incidents excep­tionnels enre­gistrés pendant ces arres­ta­tions ». il a ajouté qu'il n'y avait pas eu de plaintes déposées auprès des auto­rités militaires.)

Nous avons vu un clip sur des enfants en pleurs sortis d'une pièce remplie de gaz par une fenêtre du deuxième étage et des­cendus par une échelle humaine jusqu'à la rue. Au début, les vil­la­geois emme­naient tous les enfants vers une maison pendant les mani­fes­ta­tions, mais, quand les soldats ont com­mencéà tirer des gre­nades de gaz dans les maisons, les vil­la­geois ont décidé qu'il était plus sûr de les faire rejoindre les pro­tes­ta­tions. Nous avons regardé la séquence sur un soldat traînant un garçon âgé de 9 ans dans la rue, et d'un soldat frappant la mère de Manal, âgée de 70 ans. Fina­lement Nariman a secoué la tête et a éteint le lecteur de DVD. « Glee »était en cours.

Un ven­dredi, peu de temps après que les mar­cheurs aient barré la route avec de gros blocs et des pneus en feu pour main­tenir l'armée hors du centre du village, un camion blanc a pris le tournant à toute vitesse, un jet de liquide formant un arc à partir du canon à eau monté sur la cabine. Quelqu'un a hurlé, « Sconse » et tous ont déguerpi. Le liquide Sconse a l'odeur de beaucoup de choses , mais surtout a une odeur d'excréments. Nariman n'allait pas assez vite. Un jet de sconse lui a fait perdre l'équilibre. Quelques moments plus tard, elle s'est dressée d'un air de défi, laissant le canon la tremper et agitant un drapeau pales­tinien devant le pare-​​brise grillagé du camion. Une heure plus tard ou a peu près, sentant le sconse et le sham­poing, elle servait le théà une dou­zaine de protestataires.

Chaque ven­dredi, c'était un peu dif­férent. Cer­taines mani­fes­ta­tions étaient courtes et d'autres presque sans fin. Cer­taines étaient drôles, d'autres pas du tout. Cer­tains jours les FDI entraient dans le village et d'autres elles res­taient plantées sur les col­lines. cer­taines fois ils pro­cé­daient à des arres­ta­tions. La structure de base, cependant, variait peu de semaine en semaine : quelques minutes de marche, des gaz lacry­mo­gènes tirés, puis c'étaient les heures de la jeu­nesse du village – les shebab, sont-​​ils appelés-​​ lançant des pierres tout en esquivant les car­touches de gaz lacry­mogène et les balles caou­tchoutées jusqu'à ce que le soleil se couche et que chacun soit rentréà la maison. Ou échouaient à par­venir à leur foyer.

C'était un étrange combat asy­mé­trique : quelques dizaines de shebab masqués âgés de 8à38 ans, armés de fronde et de pierres, contre 20 ou plus de soldats dans des véhi­cules blindés ou à pied portant casque et cui­rasse, avec en plus des radios et des armes auto­ma­tiques. Les shebab élabo­raient une tac­tique mûrement réfléchie, essayant de prendre les soldats de flanc et de les sur­prendre . Mais, même quand leurs étaient par­fai­tement exé­cutés, ils ne pou­vaient pas beaucoup faire plus que d'irriter leurs ennemis. Les soldats, cependant, allaient inévi­ta­blement répondre avec un armement plus sophis­tiqué, qui devait motiver les shebab à ras­sembler encore plus de pierres ven­dredi après ven­dredi, en dépit –ou à cause-​​ du fait que rien ne sem­blait jamais changer, pour le meilleur au moins.

J'ai demandéà un des garçons pourquoi il jetait des pierres en sachant combien c'était futile. « Je veux aider mon pays et mon village, et je ne peux pas », a-​​t-​​il dit. « Je ne peux que jeter des pierres ».

« Nous voyons nos pierres comme notre message » a expliqué Bassem. Le message qu'elles por­taient, disait-​​il, était « Nous ne vous acceptons pas ». Pendant que Bassem parlait d'un ton admi­ratif du Mahatma Gandhi , il ne se pré­oc­cupait pas de savoir si le fait de jeter des pierres comptait comme vio­lence. La question l'ennuyait : Israël utilise une force beaucoup plus grande et plus mor­telle sur une base régu­lière, faisait-​​il remarquer, sans qu'on lui demande de cla­rifier son attitude par apport à la vio­lence. Si le pagne faisait fonction de symbole de la résis­tance, de la nudité de l'Inde devant la puis­sance colo­niale bri­tan­nique, Bassem a déclaré« Notre symbole est la pierre ». Les heurts heb­do­ma­daires avec les FDIétaient une bar­rière en partie sym­bo­lique. Les pierres n'étaient pas seulement des pierres jaunes de silex, mais des sym­boles de défi, d'un refus de se sou­mettre à l'occupation, contre vent et marée. Les armes de l'armée portent des mes­sages par­ti­cu­liers : ceux du pouvoir écono­mique et tech­no­lo­gique, du soutien inter­na­tional. Plus d'un habitant de Nabi Saleh m'a rappelé que les gaz lacry­mo­gènes uti­lisés là sont fabriqués par une société basée en Penn­syl­vanie. Un après-​​midi, j'ai rendu visite à la famille de Mus­tapha Tamimi, qui était âgé de 28 ans quand il est mort en décembre 2011 après avoir été atteint par un tir à courte porté d'une car­touche de gaz lacry­mogène tiréà partir de l'arrière d'une jeep de l'armée israé­lienne (une enquête des FDI a conclu, selon Buchman, que lorsque le soldat a tiré la car­touche, « son champ de vision était obs­curci ».) Les murs étaient cou­verts de photos enca­drées : une photo d'action de Mus­tapha de profil, son visage der­rière un masque rouge de Spider-​​Man tandis qu'il lançait une pierre sur les soldats en dehors du cadre.

Dans les semaines avant la mort de son fils, Ekhlas, sa mère, m'a raconté que des soldats étaient venus deux fois à la maison le chercher. Lorsqu'elle a reçu un appel ce ven­dredi lui demandant d'apporter la carte d'identité de Mus­tapha à la tour d'observation, elle a cru qu'il avait été arrêté, « comme les autres fois ». A côté de moi, Bahaa, un grand jeune homme qui était le meilleur ami Mus­tapha, consultait des photos sur un por­table, passant sans cesse d'une image de Mus­tapha tombant par terre quelques pieds der­rière une jeep des FDI, à une autre, prise un moment plus tard, de son visage écrasé et sanglant.

Ekhlas m'a parlé d'un rêve qu'elle a fait. Mus­tapha était debout sur le toit, portant son masque rouge. Il y avait des soldats au loin. Elle l'appelait : « Mus­tapha, descend ! Tous pensent que tu es mort –il vaut mieux qu'ils ne te voient pas . »

Il s'est tourné vers elle, dit-​​elle, et il lui a dit : « Non. Je suis debout ici de telle façon qu'ils me voient. »

« C'est le pire moment pour nous, » m'a confié Bassem l'été dernier . il ne pensait pas seulement que les vil­la­geois avaient moins à montrer pour leur sacri­fices chaque semaine, mais que les choses allaient mal aussi en dehors du village. Chacun à qui j'ai parlé, qui était assez vieux pour se sou­venir, convenait que les condi­tions pour les Pales­ti­niens étaient de loin pires main­tenant qu'elles n'étaient avant la pre­mière Intifada. Les check­points, les des­centes, le système de permis, repré­sentent davantage d'humiliations quo­ti­diennes que les Pales­ti­niens n'en ont jamais affrontées. Le nombre de colons israé­liens vivant en Cis­jor­danie a plus que triplé depuis les accords d'Oslo. Les agres­sions des colons contre les Pales­ti­niens sont si com­munes qu'elles font rarement l'actualité. La résis­tance, cependant, reste limitée à quelques vil­lages dis­persés comme Nabi Saleh et à un petit mou­vement de la jeu­nesse urbaine.

Je me suis assis un après-​​midi à Ramallah avec Samir She­hadeh, un ancien pro­fesseur de lit­té­rature de Nabi Saleh, qui a été un des archi­tectes intel­lec­tuels de la pre­mière Intifada et que j'ai plu­sieurs fois ren­contré chez Bassem. Je lui ai rappelé l'accident de voiture qui a allumé le premier sou­lè­vement et je lui ai demandé quelle sorte d'étincelle il fau­drait prendre pour mobi­liser les Pales­ti­niens pour com­battre de nouveau. « La situation est 1.000 fois pire » a-​​t-​​il dit. « Il y a des mil­liers d'étincelles pos­sibles » et il n'est encore rien arrivé.

Dans les années 1980, les orga­ni­sa­teurs de la jeu­nesse comme Bassem se concen­traient sur le travail volon­taire : aider les agri­cul­teurs dans les champs, enseigner à leurs enfants. Ils construi­saient la confiance et créaient les réseaux sociaux qui devaient plus tard per­mettre à la résis­tance de coor­donner ses actions sans attendre des ordres d'en haut. Ces réseaux n'existent plus. Au lieu de cela il y a l'Autorité Pales­ti­nienne. Immé­dia­tement après le premier Accord d'Oslo en 1993, l'érudit Edward Saïd a prédit que « l'OLP deviendra l'exécutant d'Israël. » Oslo a donné nais­sance à un état fantôme, un appareil admi­nis­tratif étendu mais lar­gement impuissant, avec Israël gardant le contrôle effectif des finances de l'Autorité pales­ti­nienne, de ses fron­tières, de ses res­sources en eau –de tous les aspects majeurs et mineurs de la vie pales­ti­nienne. Plus exas­pérant pour beaucoup, Oslo, dans les paroles de Saïd, a donné un consen­tement officiel pales­tinien à une occu­pation pro­longée » en créant une élite locale dont les pri­vilège dépendent de la per­pé­tuation du statu quo.

Ces élites vivent confor­ta­blement à l'intérieur de l'ainsi nommée « Bulle de Ramallah » : le monde brillant et rela­ti­vement insou­ciant des cafés, les trai­te­ments des ONG et les biens importés qui carac­té­risent la vie dans la capitale pro­vi­soire de la Cis­jor­danie. Pendant la journée, les magasins de vête­ments et les chaînes de res­tau­ration rapide font le plein. De nou­veaux immeubles sont en train de s'élever partout . « Je n'ai pas perdu ma sœur et mon cousin et une partie de ma vie » a dit Bassem « pour que les fils des ministres » conduisent des voi­tures coûteuses.

Pire que toute cor­ruption, cependant était la nor­malité appa­rente. Les colonies sont visibles sur les sommets des col­lines voisins, mais il n' y a pas de check­points à l'intérieur de Ramallah. Les FDI entrent occa­sion­nel­lement dans la ville, et habi­tuel­lement uni­quement la nuit. Peu de Pales­ti­niens tra­vaillent encore à l'intérieur d'Israël et peu d'entre eux peuvent tirer des champs de quoi sur­vivre. Pour les mil­liers de garçons de res­taurant, d'employés, d'ingénieurs, de tra­vailleurs des entrepôts, de méca­ni­ciens et de bureau­crates qui passent leur journée dans la ville et retournent chaque soir vers leur village, Ramallah –qui a une popu­lation per­ma­nente de moins de 100.000 habitants-​​ pré­sente la pos­si­bilité d'oublier l'occupation et de pour­suivre une car­rière, d'économiser pour une voiture, d'envoyer les enfants à l'université.

Mais les check­points, les colonies, les soldats attendent juste en dehors de la ville et l'illusion de nor­malité rend la tâche de Nabi Saleh plus dif­ficile. Si les Pales­ti­niens ont cru qu'ils pour­raient vivre mieux en jouant, qui devrait se soucier de lutter ? Quand Bassem a été empri­sonné dans les décennies passées, a-​​t-​​il déclaré, les pri­son­niers étaient impa­tients de sortir et de reprendre leur lutte. Ces temps-​​ci il est tombé sur de vieux amis qui ne pou­vaient pas com­prendre pourquoi il était encore en train de com­battre au lieu de faire de l'argent à partir des dépouilles de l'occupation. « Ils m'ont dit : « Tu es dégourdi – pourquoi fais-​​tu ceci ? Tu n'apprends pas ? ».

Parfois l'Autorité Pales­ti­nienne agit comme un obs­tacle plus immédiat à la résis­tance. peu de temps après que les pro­tes­ta­tions aient com­mencéà Nabi Saleh, Bassem a été contacté par des fonc­tion­naires de la sécurité de l'A.P.. Les mani­fes­ta­tions étaient OK, lui ont-​​ils dit, déclare-​​t-​​il, aussi long­temps qu'elles ne péné­traient pas dans les zones sur les­quelles l'A.P. avaient juri­diction –aussi long­temps, c'est cela, qu'elles ne for­çaient pas l'A.P. à prendre parti, soit pour défier les Israé­liens, soit pour réprimer leur propre peuple. (Un porte-​​parole des forces pales­ti­niennes de sécurité, le Gén. Adnan Damiri, a nié ceci et a déclaré que l'Autorité Pales­ti­nienne sou­tient plei­nement toutes les mani­fes­ta­tions paci­fiques ). A Hébron, les forces de l'A.P. ont empêché les pro­tes­ta­taires de pénétrer dans le secteur de la ville sous contrôle israélien. « Ce n'est pas de la col­la­bo­ration », m'a assuré un porte-​​parole des FDI qui n'a voulu me parler qu'à la condition qu'il ne soit pas nommé. « Israël a un ensemble d'intérêts, l'A.P. a un ensemble d'intérêts et il arrive que ces intérêts coïncident ».

Bassem ne dis­tin­guait pas faci­lement la manière de briser la torpeur et de déclencher une résis­tance popu­laire plus étendue. « Ils ont le pouvoir » a-​​t-​​il dit de l'A.P. « plus que les Israé­liens de nous en empêcher ». L'Autorité Pales­ti­nienne emploie 160.000 Pales­ti­niens, ce qui signifie qu'elle contrôle les moyens d'existence d'environ un quart des ménages de Cis­jor­danie. Une nuit j'ai demandéà Bassem et à Bilal, qui tra­vaille pour le Ministère de la Santé Publique, combien de per­sonnes à Nabi Saleh dépendent des trai­te­ments de l'A.P. Cela leur a pris quelques minutes pour addi­tionner les noms. « Disons les deux tiers du village » a conclu Bilal.

L'été dernier, mon ven­dredi final à Nabi Saleh était censéêtre une journée courte. Un des shebab se fiançait à une fille du village voisin et tous pro­je­taient d'assister à la céré­monie des fian­çailles. La mani­fes­tation devait se ter­miner à3 heures.

Quatre voi­tures blindées atten­daient au tournant de la route, le camion à sconse tournant au ralenti der­rière elles. Manal a montré les poli­ciers civils accom­pa­gnant les soldats. « Il y a une nou­velle poli­tique selon laquelle ils peuvent arrêter les inter­na­tionaux », a-​​t-​​elle expliqué. Au début de ce mois , en tant que part de l'effort pour com­battre ce que les Israé­liens appellent l'« internationalisation » du conflit, les forces de défense ont publié un ordre auto­risant la police israé­lienne d'immigration à arrêter les étrangers en Cisjordanie.

Environ la moitié des mar­cheurs se sont dirigés vers le bas du versant de la colline. Les soldats qui atten­daient en bas ont arrêté quatre Israé­liens et mis en détention Bachir, le pro­prié­taire des terres autour de la source. Tous applau­dis­saient, tandis que Mohammad courait vers le haut de la colline, dis­tançant les soldats. (Trois mois plus tard ils devaient le rat­traper lors d'une des­cente noc­turne chez son père. Il a été empri­sonné jusqu'à la fin de décembre). J'ai vu Nariman debout sur la route avec une Ecos­saise. Je me suis approché. Deux soldats ont empoigné l'Ecossaise. Deux autres soldats m'ont pris par le bras, m'ont tiré vers une jeep et m'ont fourréà l'intérieur. J'ai montré ma carte de presse au conducteur. Il n'a pas changé d'expression. Deux jeunes femmes apeurées, Bri­tan­niques toutes les deux , étaient déjà enfermées à l'intérieur. Près d'une heure après, les soldats ont amené un Suédois et un Italien qui s'étaient cachés dans les toi­lettes de la station-​​service. D'autres soldats se sont entassés à l'intérieur. J'ai montréà l'un d'eux ma carte de presse et je lui ai demandé s'il com­prenait que j'étais un jour­na­liste. Il a fait un signe de tête. Fina­lement le conducteur s'est engagé sur la route. Tandis que nous pas­sions la station-​​service, les shebab cou­raient der­rière nous .

« Ils étaient si beaux il y a quelques minutes, n'est-ce pas ? » m'a dit un soldat à côté de moi, tandis que les pierres des shebab réson­naient contre la jeep. « Ils étaient si gentils ».

Ils nous ont conduit au vieux poste de police bri­tan­nique dans la base des FDIà Halamish. Tandis que j'étais assis sur la ban­quette, un porte-​​parole des FDI m'a appelé sur mon télé­phone cel­lu­laire pour m'informer qu'aucun jour­na­liste avec une carte de presse n'avait été détenu à Nabi Saleh. J'ai exprimé mon désaccord. (Le jour suivant, selon l'Agence France Presse, les FDI ont nié que j'avais été arrêté). Une demi-​​heure plus tard un officier m'a escorté jusqu'au portail.

Comme je retournais à pied à Nabi Saleh, la route était vide, mais l'air était encore poivréà cause du gaz lacry­mogène. Je suis revenu à temps pour la réception des fian­çailles et je suis rentréà la maison en avion le jour suivant. Les cinq mili­tants détenus avec moi ont été expulsés. Deux nuits après que je sois parti, les soldats ont fait une des­cente chez Bassem. La semaine sui­vante, ils ont fait des des­centes dans le village cinq jours d'affilée.

Ce mois d'octobre passé, le mou­vement de résis­tance popu­laire a com­mencéà changer de tac­tique, essayant de briser la routine des mani­fes­ta­tions heb­do­ma­daires. Ils ont bloqué une route pour colons à l'Ouest de Ramallah, et la semaine sui­vante ont organisé une pro­tes­tation à l'intérieur d'un super­marché appar­tenant à des Israé­liens dans la zone indus­trielle de la colonie de Shaar Benyamin. Bassem a été arrêtéà l'extérieur du super­marché – les soldats ont agrippé Nariman et tiré Bassem à l'écart quand il a fait un pas en avant pour mettre son bras autour d'elle. Moins de deux semaines plus tard, Waed a été arrêté lors d'une mani­fes­tation du ven­dredi. Les soldats l'ont battu, dit-​​elle, « avec leurs poings et leur fusil ». Quand il est apparu au tri­bunal, Waed était encore contu­sionné. Le juge a rejeté les accu­sa­tions. Mais pendant qu'il était détenu, il était dans la même prison que son père et il l'y a vu briè­vement. « Quand je lui ai dit au revoir », m'a dit Waed avec une fiertéévidente, « il avait les larmes aux yeux. J'ai été plus fort que lui. »

Le jour de l'arrestation de Waed, une camera a saisi Ahed (sa sœur) secouant le poing, exi­geant que les soldats lui disent où ils emme­naient son frère. Internet l'a repris : la video de la toute petite fille blonde aux bras nus faisant face à un soldat s'est répandue. Elle et Nariman ont été invitées à Istanbul, où, à leur sur­prise, a dit Nariman, elles ont été accueillies à l'aéroport par des dou­zaines d'enfants portant des T-​​shirts imprimés de la photo d'Ahed. Elles sont passées en voiture devant des pan­neaux publi­ci­taires exposant l'image d'Ahed. Des jour­na­listes les ont suivies partout. Des foules se sont ras­sem­blées quand elles mar­chaient dans les rues. Elles ont été conduites vers le Premier Ministre Recep Tayyip Erdogan dans la ville d'Urfa au Sud-​​Est, a raconté Nariman, et elles sont revenues avec lui à Istanbul dans son avion.

Tout le monde n'a pas réagi avec autant d'enthousiasme. Un blo­gueur d'extrême-droite a qua­lifié Ahed de « Shirley Temper ». Le site d'information israélien Ynet a pris les images comme preuve que « les pro­tes­ta­taires pales­ti­niens uti­lisent des enfants pour aiguillonner les soldats des FDI dans l'espoir de pro­voquer une réponse violente ».

A la mi-​​novembre, des roquettes israé­liennes ont com­mencéà tomber à Gaza. Les pro­tes­ta­tions se sont répandues dans toute la Cis­jor­danie. « Nous pen­sions que c'était le com­men­cement de la troi­sième Intifada », m'a dit Manal. Les mani­fes­ta­tions à Nabi Saleh se sont élargies au-​​delà de leur ter­minus habituel du ven­dredi soir. Un samedi de novembre, le frère de Nariman, Rushdie –qui tra­vaillait comme policier près de Ramallah et qui était rarement à la maison le vendredi-​​ a rejoint les shebab sur la colline. Il se tenait debout à côté de Waed quand il a été touché par une balle caou­tchoutée. Puis les soldats ont com­mencéà tirer à balles réelles mais Rushdie était blessé et ne pouvait pas courir . Tandis qu'il était couché sur le sol, un soldat lui a tiré dans le dos d'une dis­tance de quelques mètres. Nariman a couru vers le versant de la colline avec sa camera video et a trouvé son frère gisant blessé. « Je voulais attaquer le soldat et mourir avec Rushdie juste là, mais je savais que je devais être plus forte que cela » a dit Nariman. « Pourquoi me demande-​​t-​​on d'être plus humaine qu'ils ne le sont ? ». Rushdie, qui avait 31 ans, est mort deux jours plus tard. Une enquête des FDI a trouvé que les soldats ont tiré80 coups à balles réelles et ont négligé de « contrôler le tir ». Le com­mandant de l'unité aurait été relevé de son commandement.

Quand les combats ont cesséà Gaza, les pro­tes­ta­tions ont cessé en Cis­jor­danie. Je suis retournéà Nabi Saleh en janvier, trois semaines avant que l'on compte sur le retour de Bassem à la maison. Le village sem­blait apa­thique et déprimé, comme si tous étaient convaincus de la futilité de continuer . Lors du premier ven­dredi à mon retour, la mani­fes­tation s'est ter­minée tôt. Il a plu la semaine sui­vante et tout le monde est rentréà la maison au bout d'une heure. « Nous vivons encore le choc de l'assassinat de Rushdie », m'a dit Mohammad.

Ailleurs en Cis­jor­danie, pourtant, une dyna­mique était à l'œuvre. A la fin de novembre, Neta­nyahu a annoncé des projets de construction de 3400 unités de colo­ni­sation dans une zone connue comme E1, coupant effec­ti­vement Jéru­salem de la Cis­jor­danie. Juste avant que je sois arrivé en janvier, les mili­tants de la résis­tance popu­laire ont essayé quelque chose de nouveau, érigeant un « village » de tentes appelé Bab al Shams (La Porte du Soleil) dans la zone E1, en s'appropriant sym­bo­li­quement les méthodes de confis­cation des terres employées par les colons. « Le temps est venu main­tenant de changer les règles du jeu », ont écrit les orga­ni­sa­teurs dans un com­mu­niqué de presse, « pour que nous créions un fait établi sur le terrain –notre propre terre. ». Leur nombre était rela­ti­vement faible –environ 250 per­sonnes y ont pris part, com­prenant Nariman et quelques autres de Nabi Saleh-​​ et sur les ordres directs de Neta­nyahu, les soldats ont expulsé tout le monde deux jours plus tard, mais le mou­vement a fait à nouveau la une de l'actualité tout autour du globe. Des cam­pe­ments iden­tiques se sont mul­ti­pliés dans toute la Cis­jor­danie –cer­tains dans des zones où la résis­tance popu­laire n'avait pas été active antérieurement.

Le jour après sa libé­ration, Bassem m'a dit que même en étant en prison il avait res­senti « un sen­timent de joie » quand il a lu des infor­ma­tions au sujet de Bab al Shams. La résis­tance popu­laire était fina­lement en train de se répandre au-​​delà des mani­fes­ta­tions vil­la­geoises. « Nous devons créer un esprit de renou­vel­lement » a-​​t-​​il dit, « pas seulement à Nabi Saleh, mais à une plus large échelle ». Les pertes du village –et les siennes propres-​​ a-​​t-​​il reconnu, étaient décou­ra­geantes. « Le prix est main­tenant plus élevé» a-​​t-​​il dit, mais « si nous ne conti­nuons pas, cela signi­fierait que l'occupation a réussi ». Cela devrait néces­siter une créa­tivité constante, a-​​t-​​il dit, pour main­tenir l'élan. Il ne savait pas encore ce à quoi cela res­sem­blerait, mais ne faisant qu'en parler, cela sem­blait ajouter des pouces à sa grandeur.

Dans un délai de quelques jours, des mil­liers de Pales­ti­niens allaient pro­tester dans toute la Cis­jor­danie, d'abord en soli­darité avec les pri­sonnier en grève de la faim pour exiger la fin de la détention illi­mitée sans jugement de Pales­ti­niens, puis en raison de l'indignation lors de la mort d'un pri­sonnier âgé de 30 ans du nom d'Arafat Jaradat. Une fois encore, les mots de « troi­sième Intifada » ont bour­donné dans toute la presse. Avi Dichter, le chef de la sécurité inté­rieure israé­lienne pendant la seconde Intifada et l'actuel Ministre du Front Inté­rieur de la Défense, ont averti dans un interview à la radio qu' « une réponse inap­pro­priée des forces de sécurité» pourrait faire entrer les pro­tes­ta­tions dans une révolte complète .

Quand j'ai vu Bassem en février, je lui ai demandé s'il était inquiet que le sou­lè­vement puisse fina­lement se pro­duire au moment du plus grand manque de confiance de Nabi Saleh, qu'il puisse sur­prendre le village en état de som­no­lence. « Il n'est pas important de savoir qui résiste » , a-​​t-​​il dit. « Ce qui est important c'est qu'ils résistent ».

Ven­dredi dernier, j'étais là, le vent était contre les mani­fes­tants. Presque chaque grenade tirée par les soldats , sans consi­dérer à quelle dis­tance elle tou­chait le sol, rejetait un nuage de gaz juste sur eux par dessus la route. Une dou­zaine ou à peu près de vil­la­geois regar­daient les heurts à partir de la relative sécurité du versant de la colline. Le cousin de Bassem, Naji, était assis sur un coussin de canapé. Mahmoud, le neveu de Bassem, versait du café dans des tasses en plas­tique trans­pa­rentes. Des pavots rouge vif par­se­maient la colline entre les rochers. Le chemin était libre, mais per­sonne n'essayait de des­cendre vers la source.

Quand la mani­fes­tation a paru ter­minée, je suis revenu en mar­chant vers le village avec un jeune Israélien vêtu d'un T-​​shirt noir « L'Anarchie est pour les Amoureux ». Il m'a parlé de son enfance dans un kib­boutz à la fron­tière avec la Bande de Gaza. Ses parents étaient des « Sio­nistes de droite », a-​​t-​​il dit, « le noyau dur ». Ils ne lui par­laient plus. Un groupe de soldats est apparu der­rière nous , et nous avons plongé dans la cour de Nariman tandis qu'ils lan­çaient des gre­nades assour­dis­santes par dessus le mur. Plus tard cette soirée, à la maison de Naji, j'ai regardé la video de Bilal des mêmes soldats, qui des­cen­daient tran­quillement la rue en envoyant des gre­nades lacry­mo­gènes jusqu'à ce qu'ils aient atteint leurs jeeps. Il s'y sont entassés et ont fermé les por­tières blindées. Une por­tière s'est entrou­verte. Une main a émergé. Elle a lancé une der­nière grenade ver la camera. Du gaz a jailli, la por­tière s'est refermée et la jeep a dévalé la route avec vitesse.

Ben Ehren­reich a gagné en 2011 un prix de jour­na­lisme du National Magazine. Son dernier roman est « Ether », publié par City Lights Books.Rédacteur en chef : Ilena Sil­verman. (traduit de l'anglais –Etats-​​Unis-​​ par Y. Jardin)


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