Considéré comme le meilleur ami de Jérusalem en Europe, Prague accuse Israël de prendre des dispositions inutiles “pour provoquer tout le monde”.
Dans une interview en exclusivité, Karel Schwarzenberg déclare que la surenchère pour qualifier le Hezbollah de groupe terroriste est de la propagande qui ne rime à rien, qu'il ne soutiendra pas les frappes aériennes sur la Syrie ou l'Iran, et appelle à l'étiquetage des produits des colonies. Jérusalem déclare que les Tchèques sont des amis assez bons pour qu'ils puissent être impartiaux.
Les projets israéliens, objet de controverses, de construction dans le couloir E1 au-delà de la ligne verte, sont “odieux” et constituent une provocation inutile , a déclaré le ministre tchèque des Affaires étrangères, Karel Schwarzenberg, pendant une visite à Jérusalem, en critiquant la politique avouée de colonisation du gouvernement dans des termes inhabituellement sévères.
Israël considère Prague comme un de ses plus proches alliés en Europe, cependant dans une franche interview au Times of Israel, lundi, Schwarzenberg a adopté une suite de positions de politique étrangère susceptibles de mécontenter Jérusalem. Il a, par exemple, déclaré qu'il ne pourrait jamais exprimer un soutien à des frappes israéliennes sur des convois d'armes en Syrie, et, “jamais, jamais, jamais” approuver une possible frappe aérienne contre des installations nucléaires de l'Iran –bien qu'il ait dit qu'il pourrait faire preuve de “compréhension” pour de tels recours à la force.
Schwarzenberg, qui est aussi le premier vice-premier ministre de la République Tchèque, a qualifié les initiatives mises en oeuvre par Israël pour désigner le Hezbollah comme une organisation terroriste comme dénuées de sens, inutiles et relevant d'une “propagande de guerre”. Et il a soutenu les demandes exprimées à l'intérieur de l'Union Européenne en vue d'un étiquetage des produits fabriqués à Jérusalem-Est et en Cisjordanie comme ayant leur origine dans les “Territoires Palestiniens Occupés”.
Un porte-parole du Ministère israélien des Affaires étrangères a déclaré que les Tchèques étaient des amis assez bons pour qu'Israël puisse considérer les critiques comme constructives.
“Pour être honnête, même avec les colonies nous avons eu des problèmes ces derniers temps”, a dit Schwarzenberg au Times of Israel dans l'interview donnée à l'Hôtel King David juste avant qu'il ne mette le cap sur Prague après une courte visite. “Spécialement, quand le gouvernement a déclaré qu'il allait commencer à bâtir dans une certaine zone” -E1- qui est la seule liaison entre Jérusalem et les territoires palestiniens”.
En décembre dernier, en tant que mesure punitive déclarée pour la demande couronnée de succès des Palestiniens pour rehausser leur statut à celui d'Etat observateur non membre des Nations Unies, Israël a annoncé des projets pour mettre en valeur la zone sensible E1à l'Est de Jérusalem. E1 est située entre la colonie de Maaleh Adumim et la capitale, et beaucoup dans la communauté internationale pensent que les constructions israéliennes en cet endroit-là devraient introduire un coin posant problème entre les côtés Nord et Sud de la Cisjordanie et ainsi rendre presque impossible la création en Cisjordanie d'une entité souveraine continue. De nombreux pays, parmi lesquels notamment les USA, ont vivement critiqué les projets de construction. Les ambassadeurs israéliens en Grande-Bretagne, au Brésil, en France, en Espagne, en Suède, en Finlande, en Irlande, au Danemark, en Italie, en Egypte et aux USA ont été convoqués pour être vivement chapitrés.
Pour Schwarzenberg, la condamnation presque universelle allait “de soi”, depuis que “la communauté internationale demande une solution à deux Etats, et que la parti palestinienne n'acceptera jamais sans avoir leur part de Jérusalem”.
“Construire àE1 serait exécrable pour Israël lui-même” a ajouté Schwarzenberg. “On ne devrait pas faire des choses inutilement juste pour provoquer tout le monde à l'entour, ce qui est parfois une forte tentation. Je succombe parfois aussi moi-même à cette tentation, je l'admets. Mais j'espère que les fondateurs de l'Etat d'Israël auraient été assez sages pour ne pas faire cela”.
Prague adhère à la politique de l'UE dans son ensemble qui reconnaît Israël dans les lignes d'avant 1967 mais qui considère les territoires au-delà de la Ligne Verte comme étant occupés”, a répété Schwarzenberg.
Le mardi matin, les media israéliens ont rapporté que Netanyahu avait –de facto- gelé les nouvelles constructions en Cisjordanie au milieu d'une impulsion dirigée par les USA pour reprendre les pourparlers de paix.
Ces derniers mois, Jérusalem a de plus en plus considéré la République Tchèque comme le Canada de l'Europe, le seul Etat qui s'est tenu aux côtés d'Israël à travers toutes les épreuves, en soutenant même des politiques et des positions mal vues dans le reste du monde.
Prague a été le seul pays européen qui a voté contre le rehaussement des Palestiniens à l'ONU l'année dernière, tandis que l'Italie et la France votaient pour et que la Grande-Bretagne et les Pays-Bas s'abstenaient.
Après le vote du 29 novembre, le Premier Ministre Benjamin Netanyahu a immédiatement appelé son homologue tchèque,Petr Necas, et l'a remercié pour la position “courageuse” de Prague. “ L'histoire nous a montréà maintes reprises que ce qui est juste n'est pas ce qui est bien vu et s'il y a un peuple dans le monde qui puisse faire cas de cela, c'est le peuple de votre pays” a dit Netanyahu à Necas quelques jours plus tard à Prague.
“La République tchèque se détache comme un des meilleurs amis européens d'Israël” a confirmé Efraim Inbar, le directeur du Centre d'Etudes Stratégiques Begin-Sadate de l'Université Bar Ilan dans un article ayant pour titre “Israël n'est pas isolé”, publié en mars.
Dans l'interview, Schwarzenberg, qui est Ministre des Affaires étrangères depuis 2010 (après une première période de 2007à2009) a confirmé la position de son gouvernement d'amitié avec Israël. Cependant il a montré clairement que Prague n'était en aucune façon prêt àêtre d'accord avec Israël en toute chose.
Par exemple, Schwarzenberg a refusé de soutenir publiquement Jérusalem lors des deux frappes aérienne que l'Air Force israélienne aurait mené en Syrie pendant le week-end pour empêcher des missiles Fateh-110 de fabrication iranienne de tomber entre les mains du Hezbollah.
“Vous ne pouvez jamais, en tant que ministre des Affaires étrangères responsable, soutenir ce qui est fait à l'encontre du droit international. Et attaquer (des cibles dans un territoire étranger), vous ne pouvez jamais le soutenir, comme je n'ai jamais soutenu, disons, les frappes aériennes américaines au Pakistan” a déclaré Schwarzenberg. “Mais je comprends parfaitement ceux qui font cela”.
Le ministre tchèque a adopté une approche similaire au sujet d'une possible frappe aérienne contre les installations nucléaires de l'Iran : Prague pourrait faire cas des raisons pour lesquelles Jérusalem ferait cela, mais ne peut pas officiellement l'approuver. “parce que perpétuer une agression, attaquer un pays –vous ne devez jamais, jamais, jamais le soutenir. Mais vous pouvez le comprendre” a-t-il dit en anglais.
Il a lui-même fait occasionnellement fait “des choses dont je savais qu'elles n'étaient pas conformes au droit”, a admis Schwarzenberg, ajoutant qu'après avoir fait son examen de conscience, il ne les a pas moins considérées comme ayant été la juste démarche d'action. “Mais ce n'est pas pour établir en principe, que je dirais que de telles actions sont à approuver”.
Chaque gouvernement doit prendre la responsabilité de ses actions ; aucun autre pays, particulièrement l'un qui n'est pas directement concerné n'est en droit d'approuver des actions qui contredisent le droit international, a-t-il déclaré.
Interrogé sur la raison pour laquelle il ne pourrait pas simplement dire qu'Israël a le droit de se défendre contre n'importe quelle menace capitale, le ministre a déclaré qu'il pourrait dire cela. “chacun a le droit de se défendre. Autant que cela est facile, et je peux le répéter, aussi” a-t-il répondu. Cela n'est pas le problème. Le problème est de savoir quand (l'Iran) sera une menace capitale.
C'est une erreur de qualifier le gouvernement actuel de génocidaire, a ajouté le natif de Prague, âgé de 75 ans. “Pour le moment ils n'ont perpétré aucun génocide. Faisons attention avec cette expression. Je sais ce qu'a été la Shoah. Je suis un vieil homme, je sais ce que cela a été” a-t-il dit. “Pour le moment, le régime iranien a commis beaucoup de mauvais coups dans le monde, (y compris) l'exécution de gens, mais il n'a perpétré aucun génocide.
Mais est-ce qu'Israël a le droit d'assurer que Téhéran n'aura pas quand même l'occasion de penser à effacer Israël de la carte ? “C'est là où les problèmes commencent” a répliqué Schwarzenberg, en ajoutant que toute décision relative à une intervention militaire relève de la conscience du gouvernement israélien.
Le porte-parole du Ministère israélien des Affaires étrangères a refusé de répondre à Schwarzenberg point par point, mais a dit que les critiques étaient bien intentionnées, en dénotant quelles ne causeraient pas de dommages aux relations.
“Nous aimons très chèrement nos amis tchèques. Et nous avons toujours apprécié leurs grandes qualités, telles que le courage, l'honnêteté et le bon sens de l'humour” a dit Palmor. “Nous pensons que les Tchèques sont de si bons amis qu'ils ont gagné le droit d'exprimer leur avis même s'il nous arrive de ne pas être d'accord avec eux. Un ami dont on a besoin n'est pas seulement à vrai dire un ami, mais un ami dont les propos sont toujours appréciés, qu'ils soient élogieux ou critiques”.
Désigner le Hezbollah comme un groupe terroriste ? “Cela fait partie de la propagande de guerre” .
Schwarzenberg a rejeté les initiatives pour faire pression sur l'UE afin de désigner le Hezbollah comme un groupe terroriste, comme impraticables et dénuées de sens.
“Ceci est un réel problème, parce que le Hezbollah est d'une part une organisation militaire, qui commet véritablement quantité de mauvaises actions, soit…à la frontière israélienne, soit maintenant en Syrie” a-t-il dit. D'autre part, il est reconnu comme parti politique dans un état théoriquement souverain.
Le fait que des dirigeants du Hezbollah soient membres du gouvernement libanais complique davantage les problèmes, a-t-il expliqué. Que doit faire mon ambassadeur quand il est à Beyrouth et va à une réception ? Dire “Non, Monsieur le Ministre, vous êtes un terroriste, je ne vous parle pas” ? Ce qualificatif n'a pas beaucoup de sens. Il appartient à la propagande de guerre.
Aussi longtemps que le Hezbollah est reconnu au Liban comme un parti légitime, il est difficile pour d'autres pays de le qualifier d'organisation terroriste, a émis Schwarzenberg. “Les faits sont une chose, mais leur statut légal est une autre chose”.
Israël, les USA, leur, les Pays-Bas et Bahreïn, parmi d'autres, ont ajouté le groupe chiite à leurs listes d'organisations terroristes , mais l'UE a jusqu'ici refusé de le faire.
Depuis qu'une enquête de la police bulgare a attribué au Hezbollah une attaque terroriste à Burgas, le 18 juillet 2012, qui a tué cinq Israéliens et un Bulgare, des appels se sont faits plus forts pour que l'UE revoit sa position, cependant agir ainsi requiert l'unanimité parmi les 27états membres. Officiellement qualifier le Hezbollah d'entité terroriste entraverait de façon significative la capacité d'agir de l'organisation.
“On peut avoir des positions différentes sur ce qui est la meilleure solution” a dit Schwarzenberg au sujet des états de l'UE qui de leur côté ont mis le Hezbollah sur une liste noire. “Je me demande à ce sujet si cette démarche est utile”.
Cependant, l'UE reconnaîtrait sûrement le Hezbollah comme une organisation terroriste si le groupe Chiite continuait à mener des attaques sur le sol européen, a-t-il déclaré.
Etiqueter les produits des colonies ? “Une demande légitime” L'UE peut aussi se diriger vers la promulgation de directives qui exigeraient des détaillants d'étiqueter les biens produits au-delà des lignes d'avant 1967 comme ne provenant pas d'Israël. Plusieurs états européens, parmi lesquels le RU et les Pays-Bas ont exprimé leur soutien à de telles mesures ; le gouvernement d'Afrique du Sud a récemment fait adopter des démarches semblables.
Quoique Schwarzenberg dise que cette question n'est pas actuellement en discussion dans son pays, il y est dans le principe favorable : “je pense que c'est une demande légitime”.
Israël s'oppose avec force à toute initiative pour imposer une exigence d'étiquetage pour les produits des colonies, en soutenant que de telles politiques sont discriminatoires en ce quelles distinguent Israël, tout en ignorant les conflits territoriaux en d'autres endroits.
“Dans les autres parties du monde, ils n'ont pas occupé de territoires” a répliqué Schwarzenberg.
Après une longue bataille, Pretoria a fait droit aux exigences de la communauté juive locale et a accepté que ces étiquettes désignent les produits comme venant des “colonies israéliennes”, soit à Jérusalem, soit en Cisjordanie, en tant qu'opposée à la mention des mots “palestinien” ou “occupation”.
Schwarzenberg, d'autre part, a suggéré que de telles étiquettes indiquent que les produits viennent des “Territoires Palestiniens Occupés”, parce que “c'est le (terme) internationalement reconnu”. Il a conseillé fortement “Appelez le ce que c'est. Dites toujours la vérité, c'est la meilleure politique”.
THETIMESOFISRAEL, 7 mai 2013
(traduit de l'anglais par Y. Jardin, Afps Cornouaille)