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Israël, Afrique du Sud et apartheid

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Michel Bôle-​​Richard a été cor­res­pondant du Monde à Johan­nesburg et à Jéru­salem. Il a connu de près les deux situa­tions et il en a tiré un livre important qui aurait dû ouvrir un débat majeur sur la poli­tique fran­çaise dans la région, mais aussi sur la vision domi­nante et léni­fiante de la situation. Cette vision se résume ainsi : deux peuples, dont chacun a droit à un Etat, vivent sur la Terre sainte ; avec un peu de bonne volonté et en isolant les extré­mistes des deux bords (surtout pales­tinien), on pourrait aboutir à la paix.

Michel Bôle-​​Richard a été cor­res­pondant du Monde à Johan­nesburg et à Jéru­salem. Il a connu de près les deux situa­tions et il en a tiré un livre important qui aurait dû ouvrir un débat majeur sur la poli­tique fran­çaise dans la région, mais aussi sur la vision domi­nante et léni­fiante de la situation. Cette vision se résume ainsi : deux peuples, dont chacun a droit à un Etat, vivent sur la Terre sainte ; avec un peu de bonne volonté et en isolant les extré­mistes des deux bords (surtout pales­tinien), on pourrait aboutir à la paix.

Rien n'est plus faux. Ce qui s'est mis en place, c'est un système de domi­nation d'un Etat sur une popu­lation colo­nisée et privée de tous ses droits, un système qui rap­pelle (mais qui se dif­fé­rencie aussi, par cer­tains aspects) celui qui a régné en Afrique du Sud et qui fut baptisé apar­theid (lire « Gaza, Palestine et apar­theid »). En refusant de le voir, nous nous faisons les com­plices d'une injustice majeure qui dure depuis des décennies et nous nous empê­chons aussi de réfléchir à la manière de sortir de cette impasse.

Voici un extrait du livre de Michel Bôle-​​Richard, Israël, le nouvel apar­theid (Les Liens qui libèrent, Paris, 2012). En le lisant, en le faisant cir­culer, vous contri­buerez à rompre le mur du silence qui s'est établi autour de lui.

En juillet 2008, quelle ne fut pas la sur­prise d'un groupe de 22 Sud-​​Africains venus se rendre compte sur place d'une réalité dont ils n'avaient pas la moindre idée ! Andrew Fein­stein n'avait jamais visité Israël ni les ter­ri­toires occupés. Juif, il a perdu sa mère et ses dix frères et sœurs dans le génocide nazi. Il a, bien évidemment, été très impres­sionné par le mémorial de Yad Vashem et les récits et images d'Auschwitz où les siens ont disparu. Avec ses com­pa­triotes, tous défen­seurs des droits de l'homme, membres de l'African National Congress (ANC), magis­trats, jour­na­listes, syn­di­ca­listes, écri­vains, Blancs, Noirs, Indiens, dont une dizaine de Juifs au total, Andrew Fein­stein a, pendant cinq jours, sillonné les ter­ri­toires occupés de Hébron à Naplouse, en passant par Jéru­salem et la « bar­rière de sécurité».

Ils ont ren­contré des orga­ni­sa­tions de défense des droits de l'homme, visité Tel-​​Aviv, tenté d'appréhender les réa­lités du conflit israélo-​​palestinien. Pour eux, il ne s'agissait pas de trouver des solu­tions, ni de juger, encore moins de faire des com­pa­raisons avec le régime de l'apartheid que tous ont connu et subi. « Il n'est pas question de dénier à Israël le droit d'exister, mais je dois avouer que je suis choqué par ce que j'ai vu », a déploré Geoff Bud­lender, lui aussi juif. Ce juriste a été frappé par l'extension de la colo­ni­sation, par « la façon de traiter un peuple comme s'il était de seconde classe, par les pesan­teurs de l'occupation mili­taire et le contrôle de tous les aspects de la vie quo­ti­dienne des Pales­ti­niens, par la sépa­ration de plus en plus marquée de deux communautés ».

Geoff Bud­lender s'était refuséà« faire l'analogie avec le système d'apartheid », l'estimant « inap­pro­priée ». Mais Barbara Hogan, ayant passé huit ans dans les prisons sud-​​africaines parce qu'elle pro­testait contre la ségré­gation raciale, a été stu­pé­faite de constater en Cis­jor­danie l'existence des routes séparées pour les colons et les Pales­ti­niens ainsi que la nécessité pour ces der­niers d'obtenir des permis de l'administration israé­lienne pour se déplacer, ce qui lui a rappelé le système des pass pour les Noirs. « Les non-​​Blancs vivaient dans des zones séparées, mais il n'y a jamais eu en Afrique du Sud de route séparée, de “bar­rière de sécurité”, de check-​​point, de plaques d'immatriculation dif­fé­rentes », s'est étonnée cette députée de l'African National Council (ANC). « Tout cela est absurde et je me demande jusqu'où cela va aller, ce que ça va donner », s'était inter­rogée Barbara Hogan, notamment « choquée » par ce qu'elle a vu dans les rues de Hébron : « l'injustice, la haine, le désespoir ». Elle a été frappée de voir « la crainte dans les yeux des enfants », le silence qui régnait dans les rues du camp de Balata, à Naplouse. « Cette ville est assiégée. Les mili­taires contrôlent toutes les col­lines, tous les check-​​points. On ne peut pas entrer et sortir comme l'on veut. Cela n'a jamais existé en Afrique du Sud », a rajouté Nozizwe Madlala-​​Routledge, ancienne vice-​​ministre de la santé et députée de l'ANC.

Le poids de l'occupation, l'importance des res­tric­tions et la volonté d'établir une sépa­ration com­plète ont marqué ces vétérans de la lutte contre l'apartheid. « Partout la pré­sence de l'armée, ces queues aux check-​​points, ces raids de soldats sont pour moi pires que l'apartheid. Cela ne fait aucun doute. C'est plus per­ni­cieux, plus sophis­tiqué grâce aux ordi­na­teurs n'existant pas à l'époque de l'apartheid. Ce sont des méthodes déshu­ma­ni­santes », a insisté le juge Dennis Davis. Ce n'était pas son premier voyage, mais il a trouvé la situation « plus sombre qu'elle ne l'a jamais été». « J'ai l'impression que nous sommes en 1965 en Afrique du Sud lorsque la répression s'est inten­sifiée après la condam­nation de Nelson Mandela, qui a passé vingt-​​sept ans en prison. (Selon l'organisation de défense des pri­son­niers pales­ti­niens, Addameer, 72 détenus sont empri­sonnés depuis plus de vingt ans et 23 depuis plus de vingt-​​cinq ans). Après le jugement de Mandela, il aura encore fallu deux décennies pour que des sanc­tions inter­na­tio­nales soient imposées contre le régime de l'apartheid. Ici, je ne vois aucune solution en pers­pective ». « Le bout du tunnel est plus noir que noir », a sur­en­chéri Mondli Makhanya, rédacteur en chef du Sunday Times. « Nous, nous savions qu'un jour cela allait se ter­miner, que les lois de l'apartheid allaient dis­pa­raître. Ici, ce n'est pas codifié, l'occupation suffit à faire du Pales­tinien un être de seconde zone ».

Le terme d'apartheid, considéré comme un outrage en Israël, est utilisé avec pré­caution par ces hommes et ces femmes se sou­venant qu'il n'y a pas si long­temps, ils étaient encore qua­lifiés de « ter­ro­ristes » par le gou­ver­nement blanc, comme le rap­pelle Barbara Hogan. Ils se refusent aussi à parler de « racisme », de « colo­nia­lisme », « car nous ne sommes pas là pour juger, mais pour nous informer », se défend Goeff Bud­lender, surpris de constater que « les Pales­ti­niens veulent encore croire à une solution ». « Mais, ajoute-​​t-​​il, lorsque vous voyez ce cha­pelet de colonies sur la route de Naplouse et que vous vous heurtez partout au mur de sépa­ration, vous vous dites que cela ne va pas être simple. » Drew Forrest, rédacteur en chef du Mail & Guardian, n'a pas compris « comment le peuple juif a pu en arriver là. Un peuple qui, lui aussi, a tant souffert ». « Je com­prends par­fai­tement la peur éprouvée par les Juifs, mais elle ne peut jus­tifier ce qui se passe », a insisté Andrew Fein­stein, avant d'ajouter : « Et je trouve très triste que cela se fasse au nom du judaïsme. »


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