Quantcast
Channel: Association France Palestine Solidarité
Viewing all articles
Browse latest Browse all 26548

Récit d'une (brève) aventure palestinienne : Acte 3 – la détention

$
0
0

Ca com­mence par ce camion. Il n'y a pas écrit « Immi­gration » en gros sur la car­ros­serie, mais il y a ces bar­reaux aux fenêtres et puis cette cloison de sécurité entre les conduc­teurs à l'avant et moi, à l'arrière. Il y a mes sacs restés dans le coffre avec inter­diction de prendre mon télé­phone. C'est étrange de se retrouver trim­ballée dans un panier à salade… Je n'avais vu l'intérieur que dans les films. Main­tenant, je sais à quoi ça res­semble. Je souris. Tout ça est com­plè­tement délirant.

Les deux agents qui m'accompagnent n'interrompent leur dis­cussion que pour me faire monter et des­cendre du camion. Le premier, métis, est grand et mince. Il est froid. L'autre est petit. Il a l'air marrant. Il a un faux air de Jamel Deb­bouze, avec ses cheveux bruns bouclés et son sourire aux coins des lèvres. La dif­fé­rence, c'est qu'il a l'étoile de David autour du cou. Il me propose une ciga­rette à la sortie de l'aéroport et me rassure : certes, ils m'emmènent à l'immigration mais on va prendre soin de moi et me donner à manger. Génial !

Quand on n'a pas l'habitude de fré­quenter ce genre d'endroits, for­cément, tout n'est que nou­veauté et sur­prise ! Les lourdes portes, les hautes grilles qui entourent le jar­dinet central, mes sacs enfermés dans une salle spé­ci­fique avec inter­diction de prendre mon télé­phone… Mais LA sur­prise, celle qui vous fait prendre conscience de l'endroit où vous êtes, celle qui vous ramène brus­quement à la réalité, c'est votre paquetage. Je le vois bien, le sosie de Jamel, prendre deux, trois trucs dans les pla­cards lorsqu'on arrive au bureau d'accueil. Mais, je me dis que non, que ce n'est pas pour moi tout ça. Elle est très forte la capacité de l'inconscient à nier l'évidence.

Si, si, les draps, la cou­verture, le gobelet avec 3 savon­nettes et un mini-​​tube de den­ti­frice… C'est pour moi tout ça. L'agent me fait signe de prendre le tout et de le suivre. On ne va pas loin : la cellule pour femmes est juste à côté de l'accueil.

Ce que je vois, d'abord, c'est le WC, la douche et le lavabo entre les deux. OK. C'est bien ça. Atter­rissage un peu violent : je suis en prison. Et j'y suis pour 4 jours puisque le pro­chain vol avec la com­pagnie qui m'a amenée à Tel Aviv partira dans la nuit de dimanche à lundi. Nous sommes jeudi ; il est 12h. Quatre jours et trois nuits à passer ici.

J'ai à peine posé mes affaires sur un lit dis­po­nible qu'on m'appelle au télé­phone. C'est le consul de France à Tel Aviv. S. l'a prévenu et il est en contact avec les auto­rités israé­liennes. Il me rassure en me disant que ma situation est mal­heu­reu­sement banale. La veille, Claude Lanzmann a été arrêtéà l'aéroport. Il m'explique la situation : je ne peux repartir que dimanche car sinon, je dois payer un nouveau billet d'avion. Et la note risque d'être très salée. Ah, très bien. Sous le choc, je ne me dis pas une minute qu'il vaut peut-​​être mieux lâcher quelques cen­taines d'euros pour éviter 4 jours de détention. C'est ça, être économe… De toute façon, je n'ai pas l'impression d'avoir le choix puisque per­sonne ne m'a demandé mon avis avant de m'emmener ici.

Retour en cellule. J'ai le droit de prendre un livre avec moi et ma brosse à dent ainsi que mon argent. Je me demande bien à quoi mon porte-​​monnaie va me servir, mais bon, puisque l'agent y tient…

La cellule doit faire à peine 20 m². Cinq lits super­posés en fer sont dis­posés le long des murs. Deux fenêtres à bar­reaux donnent sur une voie rapide. On ne doit pas être loin de l'aéroport. Quelques kilo­mètres seulement. Le trajet a été court. Je choisis le lit au fond de la pièce, sous l'une des deux fenêtres. Les 3 autres sont pris et je préfère être au fond que dans l'entrée. En face de mon lit, dans l'angle, la douche.

Elle ferme par deux portes bat­tantes. Il faudra vraiment que je ne sup­porte plus mon état pour que j'y passe… A gauche, un lavabo où les autres détenues ont posé leur gobelet et les pichets d'eau. L'eau n'est en effet pas potable. Et puis à gauche du lavabo, les toi­lettes avec une porte qu'on par­vient à fermer en tri­turant la poignée. Allongée sur ma cou­chette, j'ai donc une magni­fique vue sur un sol de douche cra­dingue et un lavabo sur­monté d'un miroir. Bah, ça pourrait être pire…

Et puis j'ai de la lecture : au-​​dessus de ma cou­chette, les mili­tants arrêtés avant moi ont laissé leurs traces. Les volon­taires pour ISM sont passés par là. Des mes­sages comme « Pour chaque ISM que vous ren­voyez, 10 autres vien­dront com­battre Israël » ou encore « Free Palestine » me ras­surent. Il y a aussi des mes­sages des «21 people for Gaza« , ces 21 mili­tants arrêtés et empri­sonnés en 2009 alors qu'ils essayaient d'approcher la bande de Gaza avec leur bateau « Spirit of Humanity », pour dénoncer le blocus de Gaza.

D'abord, je ne suis pas la seule à avoir échoué, et puis je sais pourquoi je suis là. Je vais les relire des dizaines de fois pendant mes 19 heures de détention.

A la dif­fé­rence de mes co-​​détenues, j'ai la chance d'avoir en France un com­pagnon qui remue ciel et terre pour que je sorte d'ici. Anto n'a pas l'intention de me laisser 4 jours en cellule. Avec le consul, il se démène donc pour me trouver un aller simple vers Paris le plus tôt pos­sible. Ce sera le len­demain à8h.

Si l'idée de devoir passer la nuit ici ne me réjouis pas, je sais que je serai sortie dans moins de 24 heures. Ce n'est pas le cas de mes co-​​détenues et ça m'aide à rela­ti­viser tout ça. Je suis loin d'être la plus mal­heu­reuse de toutes. J'ai de la famille et suf­fi­samment d'argent pour sortir d'ici. Je suis presque gênée de les quitter si tôt…

A 7h10 ven­dredi matin, per­sonne n'est encore venu me chercher alors que je suis censée sortir à7h. Je n'ai qu'une peur : que l'avion de 8h décolle sans moi alors qu'Anto a payé le billet une fortune. Et puis main­tenant que je me suis mis en tête que j'allais sortir, l'idée de rester ici ne m'emballe pas vraiment. J'ai l'œil rivé sur ma montre et je l'aurai jusqu'à ce que je sois arrivée au pied de l'avion.

Je suis emmenée à l'aéroport avec deux femmes mol­daves dans le même véhicule à bar­reaux qu'à l'aller. Je ne les com­prends pas sauf lorsqu'elles plai­santent en disant qu'on dirait des cri­mi­nelles. Je souris. Oui, nous sommes traitées comme des cri­mi­nelles. Elles, pro­ba­blement pour avoir essayé de trouver du travail ici. Moi pour avoir voulu aller en Palestine. S'il n'y avait que des cri­mi­nelles comme nous, le monde n'irait pas si mal…

Une fois montée dans l'avion, je me crois sortie d'affaire. Certes, je n'ai tou­jours pas l'autorisation de récu­pérer mon pas­seport mais au moins je suis sûre qu'il est dans l'avion. Le per­sonnel de bord me le rendra à Paris. C'était trop facile.

A la sortie de l'avion, trois poli­ciers m'attendent. Je ne récu­pé­rerai mon pas­seport que sous escorte au poste de police de Roissy. Devant mon désarroi, les poli­ciers me ras­surent. C'est la procédure.

« Des situa­tions comme la vôtre, ça arrive toutes les semaines. Et c'est encore pire avec les Etats-​​Unis. C'est mal­heu­reu­sement fré­quent de la part de pays soi-​​disant amis. »

Publié par le blog Un oeil ailleurs


Viewing all articles
Browse latest Browse all 26548

Trending Articles