Ca commence par ce camion. Il n'y a pas écrit « Immigration » en gros sur la carrosserie, mais il y a ces barreaux aux fenêtres et puis cette cloison de sécurité entre les conducteurs à l'avant et moi, à l'arrière. Il y a mes sacs restés dans le coffre avec interdiction de prendre mon téléphone. C'est étrange de se retrouver trimballée dans un panier à salade… Je n'avais vu l'intérieur que dans les films. Maintenant, je sais à quoi ça ressemble. Je souris. Tout ça est complètement délirant.
Les deux agents qui m'accompagnent n'interrompent leur discussion que pour me faire monter et descendre du camion. Le premier, métis, est grand et mince. Il est froid. L'autre est petit. Il a l'air marrant. Il a un faux air de Jamel Debbouze, avec ses cheveux bruns bouclés et son sourire aux coins des lèvres. La différence, c'est qu'il a l'étoile de David autour du cou. Il me propose une cigarette à la sortie de l'aéroport et me rassure : certes, ils m'emmènent à l'immigration mais on va prendre soin de moi et me donner à manger. Génial !
Quand on n'a pas l'habitude de fréquenter ce genre d'endroits, forcément, tout n'est que nouveauté et surprise ! Les lourdes portes, les hautes grilles qui entourent le jardinet central, mes sacs enfermés dans une salle spécifique avec interdiction de prendre mon téléphone… Mais LA surprise, celle qui vous fait prendre conscience de l'endroit où vous êtes, celle qui vous ramène brusquement à la réalité, c'est votre paquetage. Je le vois bien, le sosie de Jamel, prendre deux, trois trucs dans les placards lorsqu'on arrive au bureau d'accueil. Mais, je me dis que non, que ce n'est pas pour moi tout ça. Elle est très forte la capacité de l'inconscient à nier l'évidence.
Si, si, les draps, la couverture, le gobelet avec 3 savonnettes et un mini-tube de dentifrice… C'est pour moi tout ça. L'agent me fait signe de prendre le tout et de le suivre. On ne va pas loin : la cellule pour femmes est juste à côté de l'accueil.
Ce que je vois, d'abord, c'est le WC, la douche et le lavabo entre les deux. OK. C'est bien ça. Atterrissage un peu violent : je suis en prison. Et j'y suis pour 4 jours puisque le prochain vol avec la compagnie qui m'a amenée à Tel Aviv partira dans la nuit de dimanche à lundi. Nous sommes jeudi ; il est 12h. Quatre jours et trois nuits à passer ici.
J'ai à peine posé mes affaires sur un lit disponible qu'on m'appelle au téléphone. C'est le consul de France à Tel Aviv. S. l'a prévenu et il est en contact avec les autorités israéliennes. Il me rassure en me disant que ma situation est malheureusement banale. La veille, Claude Lanzmann a été arrêtéà l'aéroport. Il m'explique la situation : je ne peux repartir que dimanche car sinon, je dois payer un nouveau billet d'avion. Et la note risque d'être très salée. Ah, très bien. Sous le choc, je ne me dis pas une minute qu'il vaut peut-être mieux lâcher quelques centaines d'euros pour éviter 4 jours de détention. C'est ça, être économe… De toute façon, je n'ai pas l'impression d'avoir le choix puisque personne ne m'a demandé mon avis avant de m'emmener ici.
Retour en cellule. J'ai le droit de prendre un livre avec moi et ma brosse à dent ainsi que mon argent. Je me demande bien à quoi mon porte-monnaie va me servir, mais bon, puisque l'agent y tient…
La cellule doit faire à peine 20 m². Cinq lits superposés en fer sont disposés le long des murs. Deux fenêtres à barreaux donnent sur une voie rapide. On ne doit pas être loin de l'aéroport. Quelques kilomètres seulement. Le trajet a été court. Je choisis le lit au fond de la pièce, sous l'une des deux fenêtres. Les 3 autres sont pris et je préfère être au fond que dans l'entrée. En face de mon lit, dans l'angle, la douche.
Elle ferme par deux portes battantes. Il faudra vraiment que je ne supporte plus mon état pour que j'y passe… A gauche, un lavabo où les autres détenues ont posé leur gobelet et les pichets d'eau. L'eau n'est en effet pas potable. Et puis à gauche du lavabo, les toilettes avec une porte qu'on parvient à fermer en triturant la poignée. Allongée sur ma couchette, j'ai donc une magnifique vue sur un sol de douche cradingue et un lavabo surmonté d'un miroir. Bah, ça pourrait être pire…
Et puis j'ai de la lecture : au-dessus de ma couchette, les militants arrêtés avant moi ont laissé leurs traces. Les volontaires pour ISM sont passés par là. Des messages comme « Pour chaque ISM que vous renvoyez, 10 autres viendront combattre Israël » ou encore « Free Palestine » me rassurent. Il y a aussi des messages des «21 people for Gaza« , ces 21 militants arrêtés et emprisonnés en 2009 alors qu'ils essayaient d'approcher la bande de Gaza avec leur bateau « Spirit of Humanity », pour dénoncer le blocus de Gaza.
D'abord, je ne suis pas la seule à avoir échoué, et puis je sais pourquoi je suis là. Je vais les relire des dizaines de fois pendant mes 19 heures de détention.
A la différence de mes co-détenues, j'ai la chance d'avoir en France un compagnon qui remue ciel et terre pour que je sorte d'ici. Anto n'a pas l'intention de me laisser 4 jours en cellule. Avec le consul, il se démène donc pour me trouver un aller simple vers Paris le plus tôt possible. Ce sera le lendemain à8h.
Si l'idée de devoir passer la nuit ici ne me réjouis pas, je sais que je serai sortie dans moins de 24 heures. Ce n'est pas le cas de mes co-détenues et ça m'aide à relativiser tout ça. Je suis loin d'être la plus malheureuse de toutes. J'ai de la famille et suffisamment d'argent pour sortir d'ici. Je suis presque gênée de les quitter si tôt…
A 7h10 vendredi matin, personne n'est encore venu me chercher alors que je suis censée sortir à7h. Je n'ai qu'une peur : que l'avion de 8h décolle sans moi alors qu'Anto a payé le billet une fortune. Et puis maintenant que je me suis mis en tête que j'allais sortir, l'idée de rester ici ne m'emballe pas vraiment. J'ai l'œil rivé sur ma montre et je l'aurai jusqu'à ce que je sois arrivée au pied de l'avion.
Je suis emmenée à l'aéroport avec deux femmes moldaves dans le même véhicule à barreaux qu'à l'aller. Je ne les comprends pas sauf lorsqu'elles plaisantent en disant qu'on dirait des criminelles. Je souris. Oui, nous sommes traitées comme des criminelles. Elles, probablement pour avoir essayé de trouver du travail ici. Moi pour avoir voulu aller en Palestine. S'il n'y avait que des criminelles comme nous, le monde n'irait pas si mal…
Une fois montée dans l'avion, je me crois sortie d'affaire. Certes, je n'ai toujours pas l'autorisation de récupérer mon passeport mais au moins je suis sûre qu'il est dans l'avion. Le personnel de bord me le rendra à Paris. C'était trop facile.
A la sortie de l'avion, trois policiers m'attendent. Je ne récupérerai mon passeport que sous escorte au poste de police de Roissy. Devant mon désarroi, les policiers me rassurent. C'est la procédure.
« Des situations comme la vôtre, ça arrive toutes les semaines. Et c'est encore pire avec les Etats-Unis. C'est malheureusement fréquent de la part de pays soi-disant amis. »
Publié par le blog Un oeil ailleurs