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« La troisième Intifada sera non violente »

Le militant Bassem Tamimi, libéré en février après cinq mois de détention (son neu­vième séjour dans une prison israé­lienne) était tout récemment en France pour témoigner de la résis­tance non-​​violente contre l'occupation en Cis­jor­danie. J'ai eu l'occasion de le ques­tionner à Nantes ce leader d'un mou­vement qui se réclame de Gandhi, Mandela et Martin Luther King.

Votre village de Nabi Saleh (600 habi­tants) est à la pointe du mou­vement de « résis­tance popu­laire ». En quoi cela consiste-​​t-​​il ?

En une marche paci­fique, chaque ven­dredi, depuis décembre 2009, vers la source d'Al-Qaws, qui ali­mente notre village. Elle venait d'être confisquée par les habi­tants d'Halamish (1200 habi­tants), une colonie juive créée en 1977 et qui s'est approprié60% des terres de Nabi Saleh. Peu à peu nous ont rejoint des habi­tants d'autres vil­lages, des acti­vistes israé­liens et inter­na­tionaux, conscients de la souf­france infligée par la colonisation.

Il y a d'autre actions : des sit-​​in sur des routes de Cis­jor­danie réservées aux colons israé­liens ; une mani­fes­tation dans un super­marché Rami Lévy, qui écoule des pro­duits à prix bas et contribue à asphyxier l'économie pales­ti­nienne, m'a valu d'être arrêté en octobre.

Pourquoi avoir choisi ce mode d'action non-​​violent ?

Nous y réflé­chis­sions depuis 2006, avec d'autres ani­ma­teurs de la pre­mière Intifada (1987) en Cis­jor­danie. Nous sommes partis des luttes de Gandhi en Inde, de Martin Luther King aux États-​​Unis et Mandela en Afrique du Sud et, à partir de là, nous avons décidé de forger notre propre modèle.

Parce que la négo­ciation avec Israël a échoué : 20 ans après les accords d'Oslo (1993), le soi disant pro­cessus de paix n'a débouché que sur plus de colo­ni­sation. Le rythme auquel nous perdons nos terres a été mul­tiplié par cinq ! Il y a en Cis­jor­danie un rem­pla­cement silen­cieux de la popu­lation pales­ti­nienne par des Israéliens.

Et parce qu'il n'était pas question, pour nous, de la lutte armée. Cela ne marche pas ! Les attentats suicide de la seconde Intifada (2002) nous ont causéénor­mément de tort, en per­mettant à Israël de vendre l'idée qu'il y a un lien entre la lutte des Pales­ti­niens pour leurs droits et le ter­ro­risme global.

Notre vision, c'est de refonder un mou­vement de résis­tance de la société civile, sur le terrain, loin des uni­ver­si­taires, des ONG ou des diri­geants qui dis­cutent dans des hôtels cinq étoiles.

Quel écho rencontrez-​​vous en Palestine ?

À ce jour, il existe une tren­taine de Comités de résis­tance popu­laire dans des villes et vil­lages de Cis­jor­danie. Mais la scène pales­ti­nienne reste dominée par le Fatah –dont je suis membre– et le Hamas. À ce stade, ils n'ont pas repris notre modèle à leur compte.

Pourtant, cette lutte non vio­lente nous permet d'impliquer les femmes –on ne se prive plus de la moitié de la société pales­ti­nienne !– et elle suscite une soli­daritéà l'étranger, là où les attentats pro­vo­quaient la répro­bation. Elle rétablit une vérité : c'est que les vic­times de ce conflit, ce sont les Palestiniens.

Nous misons beaucoup sur l'écho inter­na­tional. La pression inter­na­tionale a été déter­mi­nante dans la chute de l'apartheid en Afrique du Sud.

Depuis 2009, vous avez passé au total deux ans en prison. Vous seriez une menace pour Israël ?

Rien qu'à Nabi Saleh, il y a eu 138 arres­ta­tions, dont 38 de mineurs. Deux >mani­fes­tants ont été tués, 400 blessés, dont 40 enfants. Toute les maisons ont eu les vitres brisées, les réser­voirs d'eau sur les toits sont sys­té­ma­ti­quement visés, et 13 ordres de démo­lition ont étéémis pour nous intimider.

Les Israé­liens veulent briser notre modèle parce qu'il rend leur supé­riorité maté­rielle –je veux dire mili­taire et écono­mique– beaucoup moins opé­rante. Parce que le pouvoir moral est de notre côté.

Quel est l'objectif de cette résistance populaire ?

Des médias israé­liens qua­li­fient notre mou­vement d' « Intifada blanche ». C'est bien de cela qu'il s'agit ! Nous voulons démasquer le grand men­songe israélien, selon lequel la Palestine serait une terre sans peuple, alors que nous sommes un peuple privé de sa terre.

Nous voulons faire cesser le rem­pla­cement silen­cieux de la popu­lation pales­ti­nienne par des Israé­liens dans les zones de Cis­jor­danie sous contrôle de l'armée israélienne.

Notre objectif n'est pas le déman­tè­lement de telle ou telle colonie, c'est la fin de toute l'occupation.

Autrement dit, le retrait d'Israël sur les lignes de 1967 ?

Mal­heu­reu­sement, je crois qu'il est trop tard. Israël a tué la solution à deux États sur le terrain, en ins­tallant partout des colonies, des routes réservées, des check points…

Per­son­nel­lement, je crois main­tenant à une solution à un seul État, dans lequel nous serions égaux et où chacun pourrait faire valoir ses droits. Cela per­met­trait de sur­monter des ques­tions inso­lubles telles que le droit au retour des réfugiés, l'établissement de la fron­tière, le partage de Jéru­salem… Il y a des tas d'Etats mul­ti­com­mu­nau­taires qui fonc­tionnent sur la planète.

Et puis, il y a une raison toute simple. Mes enfants rêvent d'aller à la plage… S'il y a des bar­rières entre eux et leur rêve, le conflit continuera.

Si nous croyons dans le même Dieu, si nous nous consi­dérons les uns et les autres comme des êtres humains, si nous avons le sens des valeurs et des res­pon­sa­bi­lités. Nous devons construire un État modèle sur la terre sainte.

Note : cette interview est parue, ce 15 juin, en version abrégée et éditée dans Dimanche Ouest-​​France. Je la res­titue ici en version originale.

Publié par le blog Glob­ser­vateur


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