« Les pratiques d'Israël envers le Peuple palestinien violent-elles l'interdiction internationale de l'apartheid ? »
(Le Cap – Afrique du Sud – 5 et 6 novembre 2011)
Après les sessions de Barcelone (mars 2010) sur la responsabilité de l'Union européenne et de ses États Membres dans la poursuite de l'occupation des Territoires palestiniens, et celle de Londres (novembre 2010) sur les complicités des entreprises multinationales dans le développement de la colonisation (voir rubrique sur le site de l'AFPS, www.france-palestine.com), le Tribunal Russell sur la Palestine (TRP) vient de tenir sa troisième session au Cap, en Afrique du Sud, sur le thème “Les pratiques d'Israël envers le Peuple palestinien violent-elles l'interdiction internationale de l'apartheid ? ».
Elle s'est déroulée dans un lieu hautement symbolique, le musée du 6e district de la ville du Cap, district multiculturel et multiracial jusqu'en 1966 où il a été déclaré « zone blanche » (« white groupe area »), ses 60 000 habitants non-blancs « relocalisés » dans de lointaines zones ethniques, et leurs habitations détruites. Une fresque sur un mur du musée, représentant la destruction d'une de ces maisons par un bulldozer, résonne étrangement avec des scènes vues en Palestine.
Au vu des rapports d'experts juristes spécialisés en droit international et des témoignages concordants, le jury, composé de personnalités internationales connues pour leur intégrité morale, a conclu à l'existence d'un régime systématique et institutionnalisé de domination d'un groupe racial sur un autre, incluant des actes inhumains commis à l'encontre du groupe dominé, et qualifié d'apartheid selon les critères définis par le Droit international. Ce régime prend des formes et des intensités différentes selon les lieux de résidence des Palestiniens mais il est constitué à l'égard de tous (Israël, Territoires Occupés/TO, dont Gaza, et réfugiés). Son maintien interdit au peuple palestinien d'exercer son droit à l'autodétermination. Le jury a également retenu la commission du crime de persécution, défini comme une privation intentionnelle et grave des droits fondamentaux d'un groupe identifiable, dans le cadre d'attaques larges et systématiques contre des populations civiles.
Le Tribunal a donc appelé l'Etat d'Israël à démanteler ce système d'apartheid, à mettre fin aux lois et pratiques discriminatoires et à arrêter la persécution des Palestiniens. Il a appelé tous les Etats à user de tous moyens à leur disposition, y compris l'imposition de sanctions, pour mettre fin à cette situation illégale ; le Procureur de la Cour pénale internationale à recevoir la plainte déposée par l'Autorité palestinienne sur les crimes constatés ; la Palestine à adhérer au statut de Rome de la Cour pénale internationale ; l'Assemblée générale des Nations Unies à réactiver le Comité spécial contre l'apartheid ; et le Comité pour l'élimination des discriminations raciales à mettre l'apartheid à l'ordre du jour de son examen d'Israël en 2012. Il a enfin appelé la société civile à développer la solidarité, notamment en faisant connaître ces conclusions à ses Parlements nationaux et par le moyen de la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS).
- Le jury siégeant au musée du 6eme district
- Desmond Tutu
Cette décision a conclu une session riche en informations tant théoriques que factuelles mais aussi en émotions. Elle a été ouverte par Pierre Galand, Stéphane Hessel, Ambassadeur de France et Président d'honneur du TRP et Mgr Desmond Tutu, archevêque émérite du Cap, prix Nobel de la Paix. Celui-ci nous a fait part avec beaucoup d'émotion de qu'il avait vécu en Afrique du Sud et de ce dont il a été témoin lors de ses voyages en Palestine. Il a parlé, non en homme politique mais en tant qu'être humain et nous a exprimé sa profonde tristesse, sa douleur, son angoisse, devant la répétition en d'autres lieux, d'actes déshumanisants.
Des experts en Droit international sont ensuite venus spécifier le cadre juridique de référence (rapports sur http://www.russelltribunalonpalesti...) au travers notamment de deux textes essentiels, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965 (signée par Israël) et la Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid de 1973, qui s'applique à tous (erga omnes), signataires et non signataires, comme une norme impérative reconnue et acceptée par l'ensemble de la communauté internationale (jus cogens). La liste des critères caractérisant le crime d'apartheid telle qu'elle est donnée par cette dernière convention est indicative et il n'est pas exigé que tous ces critères soient remplis pour caractériser le crime. L'Afrique du Sud elle-même, ne les satisfaisait d'ailleurs pas tous à l'époque. Les notions de « race » et de « discrimination raciale » ont également été définies, le groupe racial étant un groupe humain identifiable, davantage sociologique que biologique, et pouvant impliquer une auto-identification. Il a été établi que l'on pouvait identifier comme deux groupes raciaux distincts, les « Juifs israéliens » et les « Palestiniens ».
John Dugard, Sud-Africain, professeur de Droit international, qui a été rapporteur spécial sur les droits humains dans les territoires palestiniens à l'ONU, et rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme de l'ONU et de la Commission de Droit international, a défini les trois piliers de l'apartheid : la discrimination, l'oppression et la fragmentation du territoire, qui tous trois sont présents en Israël et dans les TO.
C'est dans ce cadre qu'ont été ensuite entendus de nombreux témoins, témoignant des textes et des faits susceptibles de caractériser les crimes d'apartheid et de persécution envers les Palestiniens, dans les TO comme en Israël : entraves à la liberté, la dignité et la justice, destructions de toutes sortes, refus d'accès à la terre et aux ressources naturelles, restriction d'accès aux éléments de base de la vie (électricité, nourriture, eau, santé, éducation, logement), entraves à la circulation des biens et des personnes, transferts de population, assassinats à large échelle ou ciblés, torture et traitements dégradants des prisonniers, privation systématique des droits humains, empêchant les Palestiniens, y compris les réfugiés, d'exercer leurs droits politiques, économiques, sociaux et culturels, fragmentation territoriale, création de réserves et d'enclaves qui séparent les Palestiniens et les Israéliens, application d'une législation différente aux deux groupes raciaux aussi bien en Israël que dans les TO.
Il apparaît que toutes ces mesures ne constituent pas un ensemble de mesures disparates et plus ou moins indépendantes, mais qu'elles forment au contraire un corpus coordonné, initié au plus haut niveau de l'état (« politique démographique » par ex.) depuis la création de l'Etat d'Israël et mis en œuvre par des corps étatiques ou semi-étatiques (dont l'armée dans les TO ou l'Agence juive, le Fond national juif, les municipalités en Israël). Il s'agit donc bien d'une politique systématique et institutionnalisée de discrimination, de domination et de persécutions.
John Dugard a relevé, s'agissant des TO, que le régime d'apartheid d'Afrique du Sud discriminait parmi ses propres nationaux pour les séparer tandis que le régime d'occupation israélien discrimine un peuple sur un territoire étranger, qu'il contrôle. Mais son expérience l'amène à considérer qu'en pratique, les situations sur le terrain sont très comparables. Il signale aussi que l'apartheid sud-africain, assumé, était mis en œuvre par des lois brutales mais transparentes, au contraire des TO où il repose sur des lois militaires, non ou peu écrites, dissimulées, ce qui le rend beaucoup plus difficile à caractériser. S'agissant des Palestiniens d'Israël, Haneen Zoabi, députée arabe à la Knesset, a fait valoir que le traitement discriminatoire qui leur est fait est la preuve que la domination raciale d'Israël n'est pas seulement liée à l'occupation mais fait partie intégrante du système idéologique d'Israël, le sionisme, dont la base est la judéité. Le système ne ressemble à une démocratie qu'en apparence. Il y a une citoyenneté pour les Juifs d'Israël et un statut de résident pour les non-Juifs. Ils ont un passeport israélien, mais leur origine y est indiquée (nationalité). Tout un ensemble de textes législatifs permet de traiter de façon différente les Juifs et les autres, sur le plan foncier comme pour tous les privilèges réservés aux Juifs (souvent liés à l'exécution du service militaire, que ne font pas les Palestiniens). De façon poignante, elle nous explique qu'on veut lui imposer un serment d'allégeance à un « Etat juif », qui ne la définit que comme une non-juive n'ayant pas sa place dans cet Etat qui est pourtant sa patrie (« homeland »).
Jeff Halper (Israélien - ICADH) a souligné que l'apartheid, en Israël est officiellement pratiqué par l'utilisation du mot hébreu « hafrada » qui signifie « acte de séparer » appliqué à de nombreux textes et pratiques, dont le mur, au sein d'une entité où les Israéliens ne voient pas de frontières, de la Méditerranée au Jourdain, entité qu'il convient de « judaïser ».
L'élément clé qui est ressorti de tous ces témoignages est le rôle central de la notion de « caractère juif de l'Etat d'Israël », étendu aussi aux TO (Gaza non compris) au moyen d'un arsenal juridique variable, lois militaires et discriminatoires dans les TO, lois au profit d'une nationalité juive pour les Juifs du monde entier en Israël, autour de laquelle s'articulent les droits – et les non-droits – des non-Juifs, particulièrement des Palestiniens.
En outre, lors d'une intervention remarquable, Marianne Blume (professeure belge ayant travaillé dix ans à l'Université Al Azhar de Gaza), a mis en évidence que, au-delà des faits eux-mêmes, qui peuvent ressortir du crime d'apartheid, il s'agit en réalité d'une politique délibérée et coordonnée de destruction d'un groupe dans toutes ses dimensions, politiques, sociales, économiques, familiales, culturelles, caractérisant un « sociocide ».
Cette mise en perspective des pratiques discriminatoires, de domination et de persécution à l'encontre des Palestiniens, non pas comme un objectif en soi, mais comme un instrument destiné à leur extinction en tant que groupe racial, ayant aussi été abordée par d'autres témoins, nous, signataires, nous permettons de regretter que le jury n'ait pas jugé pertinent de la reprendre dans ses conclusions. Cela n‘aurait en rien disqualifié le crime d'apartheid.
Invité à participer à cette session et à se défendre, le gouvernement israélien n'a pas jugé utile de répondre à cette invitation.
Cette dernière séance a été marquée par deux incidents, le piratage du site web du Tribunal d'une part et, d'autre part et surtout, la menace de retrait de la citoyenneté israélienne à Haneen Zoabi par ses propres collègues de la Knesset. Le jury a prié le gouvernement sud-africain, en sa qualité d'hôte du TRP, de s'assurer qu'aucune forme de représailles ne soit exercée par l'Etat d'Israël contre les témoins présents lors de ses travaux.
La session finale du TRP aura lieu à New York et aura pour objet d'examiner la responsabilité des Etats-Unis et celle des Nations Unies dans la poursuite de l'occupation des Territoires palestiniens et la commission des crimes retenus à la charge de l'Etat d'Israël. Finalement, le Jury se réunira pour faire la synthèse de l'ensemble des sessions et en tirer les conclusions. Celles-ci constitueront la contribution des opinions publiques internationales à la solution d'une situation injuste et illégale à l'égard d'un peuple afin de tenter de forcer le cours de l'Histoire.
La session du Cap du TRP a été en grande partie financée par le reversement de droits d'auteur de Stéphane Hessel pour son petit livre « Indignez-vous ». Pour la quatrième session, nous ne pourrons pas bénéficier de cet avantage, et nous devrons compter sur les dons des militants. Nous vous appelons à y contribuer en adressant vos chèques à vos groupes locaux qui transmettront.