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La Palestine et le droit à l'Etat souverain

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Texte de l'intervention de Bernard Ravenel au forum sur la Palestine de l'Université d'été d'EELV d'août 2013à Marseille

Ce qui frappe d'abord dans la question pales­ti­nienne ou plutôt dans l'absence de son règlement poli­tique est l'énorme contraste entre sa durée et la sim­plicité de la solution connue du monde entier.

Nous sommes en face du plus long pro­cessus de déco­lo­ni­sation tel qu'il s'est affirmé tout au long du XXe siècle et qui a permis l'affranchissement, avant tout poli­tique, de la vaste partie du monde qui avait été soumise aux puis­sances occi­den­tales (Europe et Etats-​​Unis).

Il s'agit donc fon­da­men­ta­lement ici d'une crise de déco­lo­ni­sation mais d'une crise rendue plus dif­ficile à résoudre dans la mesure où nous sommes en face de deux mou­ve­ments natio­na­listes, certes de nature très dif­fé­rente, qui se dis­putent la même terre. Toute l'histoire poli­tique de ce conflit ter­ri­torial est la longue marche des Pales­ti­niens vers l'Etat ter­ri­torial sur une terre à se réap­pro­prier mais aussi à partager

Le mou­vement national pales­tinien doit réa­liser une dis­so­ciation poli­tique com­plète, assurant une coha­bi­tation de deux Etats indé­pen­dants, accep­table par une majorité de Pales­ti­niens et d'Israéliens, pré­servant une pers­pective de réconciliation.

Ce qui suppose au préa­lable une sépa­ration. C'était d'une cer­taine manière, l'idée de Rabin pour les accords d'Oslo ; elle s'est imposée à lui en termes poli­tiques du fait de l'Intifada qui avait démontré la volonté d'indépendance nationale pales­ti­nienne dans les fron­tières de 1967 ; elle s'est imposée en termes « sécu­ri­taires » aussi en raison des attentats du Hamas. L'objectif fon­da­mental était le maintien d'Israël comme Etat juif et démocratique.

En fait ce pro­cessus poli­tique qui lui fut imposé par la résis­tance popu­laire essen­tiel­lement non-​​violente qui a carac­térisé la pre­mière Intifada n'a abouti qu'à une dis­so­ciation poli­tique par­tielle car restée trop marquée par la conception sécu­ri­taire de cette sépa­ration qui aboutit au maintien de la pré­émi­nence d'Israël en Cis­jor­danie et à Gaza, en clair le contrôle mili­taire des Pales­ti­niens et de toutes leurs fron­tières. Certes un Etat pales­tinien était envisagé, mais cet objectif était trop éloigné et incertain. Pendant ce temps, la colo­ni­sation pouvait se pour­suivre… D'où la non-​​solution…

Le partage réel qu'acceptaient les Pales­ti­niens sup­posait la fin des colonies et le retrait de l'armée. C'est pré­ci­sément la non-​​réalisation de ces deux condi­tions après l'échec de Camp David II en 2000, qui explique la seconde Intifada qui, se mili­ta­risant, fut vio­lemment écrasée… Aujourd'hui, avec la résis­tance popu­laire non-​​violente, c'est une troi­sième Intifada qui est en marche avec pour objectif la dis­jonction totale entre deux espaces poli­tiques sou­ve­rains, c'est-à dire deux Etats indé­pen­dants, sur la base de la seule ligne de réfé­rence qu'est la fron­tière issue des lignes d'armistice de 1949 (que l'on qua­lifie aussi « fron­tières de 1967)

Par consé­quent aujourd'hui les voies de la paix ne sont plus celles d'Oslo qui se sont tra­duites par une mul­ti­pli­cation de ghettos enfermant les Pales­ti­niens sans leur recon­naître autre chose qu'un modeste pouvoir admi­nis­tratif, sur­veillé par un système sécu­ri­taire piloté par les Amé­ri­cains et assuré par une col­la­bo­ration poli­cière israélo-​​palestinienne issue d'Oslo… sans oublier les colons armés. La paix ne pourra s'établir, se fonder, qu'à partir de la recon­nais­sance du droit à l'existence en terre pales­ti­nienne d'un Etat pales­tinien dis­posant de toutes les pré­ro­ga­tives qui lui reviennent, donc poli­ti­quement sou­verain et ter­ri­to­ria­lement uni­taire et non réduit en une quel­conque « entité» plus ou moins mutilée et fragmentée.

Le droit ou la guerre

Le droit ou la guerre, telle est et reste en effet l'alternative. La façon dont le droit a étéévacué dans les négo­cia­tions qui n'ont jamais permis de déboucher sur une solution poli­tique démontre que le droit de la force a tou­jours prévalu sur la force du droit, au détriment du plus faible, de la victime des vio­la­tions du droit, c'est-à-dire les Palestiniens.

Tout le monde le sait, pour réussir, toute négo­ciation devra se rap­porter à ce qui est devenu la réfé­rence commune de la société mon­diale, et qui engage tous les Etats qui les ont rati­fiées, à savoir :

1°) D'abord les conven­tions sur les droits de l'homme et le droit huma­ni­taire. Ces textes inva­lident la colo­ni­sation israé­lienne, le refus du retour des Pales­ti­niens, les bouclages,etc. Je citerai un seul point de ce corpus qui com­prend la 4e Convention de Genève de 1949 sur le droit huma­ni­taire « La Puis­sance occu­pante ne pourra pro­céder au transfert d'une partie de sa propre popu­lation civile dans le ter­ri­toire occupé par elle. »

2°) Ensuite la question de la sou­ve­raineté : elle se règle en se fondant sur le droit des peuples à dis­poser d'eux-mêmes, principe central du droit moderne, la dif­fi­cultéétant de fixer juri­di­quement la com­pa­ti­bilité entre l'application de ce principe au peuple pales­tinien et l'effectivité de l'existence d'Israël, ce que les Pales­ti­niens sont dis­posés à faire dès lors que leur Etat sou­verain est acquis. (Depuis le mandat bri­tan­nique les Pales­ti­niens sont les seuls titu­laires de la sou­ve­raineté sur le ter­ri­toire de la Palestine mandataire)

3°) Enfin c'est la question ter­ri­to­riale qui concerne l'ensemble des ter­ri­toires occupés, y compris Jéru­salem. Ici la norme qui s'applique est l'inadmissibilité de l'acquisition de ter­ri­toires par la force (article 24 de la Charte des Nations unies)

Pour finir je vou­drais donner quelques éléments de réponse à cer­taines objec­tions qui ont été faites dans le débat concernant la pos­si­bilité et même la nécessité de deux Etats.

D'abord je note que toutes les com­po­santes du mou­vement national pales­tinien, après avoir été en faveur d'un seul Etat démo­cra­tique pour toute la Palestine man­da­taire, ont par réa­lisme poli­tique et mili­taire, accepté en 1974, le principe de consti­tution d'un Etat pales­tinien sur une partie seulement du ter­ri­toire pales­tinien, et n'ont pas aban­donné cette position. Le mou­vement inter­na­tional de soli­darité s'est logi­quement situé sur cette position. Et tant que le mou­vement national dans ses grandes com­po­santes ne modifie pas cette reven­di­cation de construction d'un Etat pales­tinien à côté d'Israël dont, de fait, on a, en 1988, reconnu le droit à l'existence étatique, nous n'avons aucune raison de modifier notre attitude. S'il s'avère que le mou­vement national pales­tinien estime néces­saire de changer de position et de stra­tégie, il nous reviendra de décider col­lec­ti­vement d'en prendre acte et de nous situer en consé­quence. On n'en est pas là.

De ce point de vue face au pes­si­misme et même au désespoir de cer­tains mili­tants pales­ti­niens qui , vu l'impossibilité actuelle d'arrêter la colo­ni­sation de leur terre, finissent par retourner à la reven­di­cation d'un seul Etat comme si on se disait « puisqu'on n'a pas obtenu les 22% de notre ter­ri­toire on demande alors 100% ! » Donc on efface tout, on entérine tout ce qu'Israël a fait et on se battra à l'intérieur de l'Etat d'Israël devenu un Etat d'apartheid…en espérant changer la majorité interne et alors ins­tituer un seul Etat sur toute la Palestine historique…Une aber­ration poli­tique qui ne peut masquer la défaite irré­ver­sible du projet national pales­tinien et l'abandon de ses acquis. Or il faut rap­peler ces acquis : toutes les colonies sont reconnues illé­gales par toutes les ins­tances poli­tiques et juri­diques du monde ; et les fron­tières de 1967 (y compris Jérusalem-​​Est) sont aussi reconnues par le monde entier comme celles séparant l'Etat d'Israël de l'Etat de Palestine. Vouloir aujourd'hui un seul Etat c'est sortir du droit inter­na­tional et des réso­lu­tions de l'ONU ; qui alors peut sou­tenir cette reven­di­cation ? Ce ne serait plus Israël qui serait isolé comme aujourd'hui mais un mou­vement pales­tinien vaincu pour longtemps…

En fait si on peut être pour un Etat bina­tional, je pense comme l'a reconnu Edward Saïd à la fin de sa vie (interview réa­lisée par Sylvain Cypel dans le Monde) que l'Etat pales­tinien dans les fron­tières de 1967 est une étape néces­saire, libre ensuite aux peuples des deux Etats sou­ve­rains de décider de moda­lités de rap­pro­chement et de coopé­ration éventuels.

En même temps je com­prends l'inquiétude de cer­tains Pales­ti­niens qui s'interrogent for­tement sur les condi­tions d'une coexis­tence pos­sible et durable entre les deux Etats. En par­ti­culier ils ont raison de contester la notion d'Etat juif car il fonde un régime de dis­cri­mi­nation des Pales­ti­niens en Israël. C'est pour cela qu'il faut sou­tenir la bataille menée par les Pales­ti­niens de l'intérieur (qui sont en faveur, comme le Parti Balad, de deux Etats démo­cra­tiques et laïques), pour l'égalité des droits de tous les citoyens de l'Etat d'Israël, bataille sou­tenue par Gush Shalom et autres démo­crates juifs israéliens.

Glo­ba­lement je crois que la coexis­tence entre les deux peuples n'est pos­sible que si en Israël s'engage, pro­gres­si­vement, un pro­cessus de dés­io­ni­sation de l'Etat (en par­ti­culier sur les ques­tions de la citoyenneté et de la natio­nalité, de la Loi du retour, etc.) pour tendre vers un Etat post-​​sioniste comme le défend Abraham Burg.

Mais cette évolution sera d'autant plus faci­litée si se constitue en Palestine un Etat démo­cra­tique et laïque per­mettant à tous ses citoyens de jouir de tous les droits fon­da­mentaux, y compris pour les mino­rités qui y vivraient. Les Pales­ti­niens ont été souvent en avance dans le mou­vement natio­na­liste arabe dans la pensée poli­tique, en matière démo­cra­tique, en garan­tissant un plu­ra­lisme poli­tique, en se pro­nonçant dès 1969 pour un Etat démo­cra­tique, en recon­naissant des droits poli­tiques aux Juifs d'Israël, en assurant des élec­tions libres, en pra­ti­quant une résis­tance popu­laire non-​​violente démo­cra­ti­quement gérée, bref en étant à l'avant-garde de ce qui est aujourd'hui le mou­vement démo­cra­tique révo­lu­tion­naire qui tra­verse le monde arabe​.et qui, point important, prend sérieu­sement en compte la question des minorité non arabes ( Kurdes, Coptes, etc.) Israël ne peut plus se vanter d'être la seule démo­cratie (eth­nique) au Moyen-​​Orient.

Si bien que le mou­vement national pales­tinien, par son his­toire, par sa réflexion déjà ancienne, par la situation des Pales­ti­niens d'Israël, est amenéà sortir des schémas tra­di­tionnels au Moyen-​​Orient et à penser l'Etat-nation non exclu­si­vement fondé sur la natio­nalité, la terre, le sang, l'ethnie, la religion, mais à partir du droit de tous ceux qui vivent dans ses fron­tières de béné­ficier de tous les droits fon­da­mentaux du citoyen moderne Il sera en état de pro­poser à Israël des formes confé­dé­rales de citoyenneté trans­na­tionale remettant en question la sépa­ration sur des bases eth­niques. Ce qui permet de repenser et de ré-​​élaborer la formule rituelle des « deux Etats pour deux peuples » et de re-​​situer la pro­blé­ma­tique des deux Etats dans une pers­pective plus exaltante…

Bien sûr on n'en est pas là, mais la révo­lution démo­cra­tique arabe ouvre cette pers­pective qui obligera Israël à choisir de s'intégrer démo­cra­ti­quement dans un monde arabe démo­cra­tique ou à dis­pa­raître plus ou moins brutalement. ..


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