Quantcast
Channel: Association France Palestine Solidarité
Viewing all articles
Browse latest Browse all 26648

Le combat des titans

$
0
0

Ce n'est pas sim­plement une lutte entre Israël et les États-​​Unis. Et ce n'est pas non plus une lutte entre la Maison Blanche et le Congrès. C'est aussi une bataille entre des titans intellectuels.

D'un côté on trouve les deux pro­fes­seurs réputés, Stephen Walt et John Mear­sheimer. De l'autre, l'imposant intel­lectuel inter­na­tional Noam Chomsky.

Tout cela pour savoir si le chien bouge la queue ou si c'est la queue qui fait bouger le chien.

IL Y A SIXANS les deux pro­fes­seurs avaient choqué les États Unis (et Israël) lorsqu'ils avaient publié un livre, “Le Lobby israélien et la poli­tique étrangère des États-​​Unis” dans lequel ils affir­maient que la poli­tique étrangère des États-​​Unis d'Amérique, au moins au Moyen-​​Orient, était en pra­tique sous le contrôle de l'État d'Israël.

Pour para­phraser ces ana­lystes, Washington DC est en effet une colonie israé­lienne. Le Sénat comme la Chambre des Repré­sen­tants sont des ter­ri­toires sous occu­pation israé­lienne, tout comme Ramallah et Naplouse.

Cela est com­plè­tement à l'opposé de l'affirmation de Noam Chomsky selon laquelle Israël est un pion des États-​​Unis, utilisé par l'impérialisme amé­ricain pour pro­mouvoir ses intérêts.

(J'avais expliquéà l'époque que les deux parties avaient raison, et qu'il s'agissait là d'une relation unique chien-​​queue. J'avais même cité la vieille plai­san­terie juive sur le rabbin qui déclare au plai­gnant qu'il a raison puis déclare ensuite la même chose à l'accusé. “Mais ils ne peuvent pas avoir raison tous les deux !” lui reproche sa femme. “Tu as raison, aussi !” répond-​​il.)

DESTHÉORIESINTEL­LEC­TUELLES peuvent rarement être sou­mises à un test de labo­ra­toire. Mais pour celle-​​ci c'est possible..

C'est ce qui se passe en ce moment. Entre Israël et les États-​​Unis une crise s'est déve­loppée, et elle s'est mani­festée au grand jour.

C'est à propos de la bombe nucléaire ira­nienne sup­posée. Le Pré­sident Obama est déterminéàéviter un conflit mili­taire. Le Premier ministre Ben­jamin Néta­nyahou est déterminéàéviter un compromis.

Pour Néta­nyahou, le pro­gramme nucléaire iranien est devenu une question fon­da­mentale, et même une obsession. Il en parle sans cesse. Il a déclaré qu'il s'agit d'une menace “exis­ten­tielle” pour Israël, qu'elle ouvre la pos­si­bilité d'un second Holo­causte. L'an dernier il s'est fait remarquer à la réunion de l'Assemblée Générale des Nations unies avec son dessin enfantin de la bombe.

Des cyniques disent que ce n'est qu'une astuce, un truc efficace pour détourner l'attention du monde de la question pales­ti­nienne. Et en effet, depuis main­tenant des années, la poli­tique israé­lienne d'occupation et de colo­ni­sation s'est déve­loppée tran­quillement, sans attirer l'attention.

Mais en poli­tique, une astuce peut servir plu­sieurs objectifs à la fois. Néta­nyahou est sérieux au sujet de la bombe ira­nienne. La preuve : sur cette question il est prêt à faire ce qu'aucun Premier ministre israélien n'a osé faire jusqu'à présent : mettre en danger les rela­tions israélo-​​américaines.

C'est une décision capitale. Israël dépend des États-​​Unis dans presque tous les domaines. Les États-​​Unis paient à Israël un tribut d'au moins trois mil­liards de dollars, et en fait de beaucoup plus. Ils nous four­nissent des maté­riels mili­taires dernier cri de la tech­nique amé­ri­caine. Leur véto nous protège de la censure du Conseil de Sécurité des Nations unies, quoi que nous fassions.

Nous n'avons aucun autre ami incon­di­tionnel dans le monde, à l'exception, peut-​​être, des Iles Fidji.

S'il y a une chose sur laquelle pra­ti­quement tous les Israé­liens sont d'accord, c'est cette question là. Une rupture avec les États-​​Unis est impen­sable. La relation israé­lienne avec les États-​​Unis est, pour employer une formule chère à Néta­nyahou, “le rocher de notre existence”.

Alors, que pense-​​t-​​il être en train de faire ?

NETA­NYAHOU a étéélevé aux États-​​Unis. C'est là qu'il est allé au lycée et à l'université. C'est là qu'il a com­mencé sa carrière.

Il n'a pas besoin de conseillers pour ce qui concerne les États-​​Unis. Il se considère lui-​​même comme l'expert le plus avisé de tous.

Il n'est pas fou. Ce n'est pas non plus un aven­turier. Il s'appuie sur des éva­lua­tions solides. Il pense qu'il peut gagner cette bataille.

Vous pourriez dire qu'il adhère à la doctrine Walt-​​Mearsheimer.

Son com­por­tement actuel se fonde sur l'estimation que, dans un affron­tement direct entre le Congrès et la Maison Blanche, c'est le Congrès qui l'emportera. Obama, déjà affaibli par d'autres affaires, sera battu, même écrasé.

C'est vrai, Néta­nyahou, on l'a vu, s'était trompé la der­nière fois qu'il a tenté quelque chose de ce genre. Lors des der­nières élec­tions pré­si­den­tielles, il a ouver­tement soutenu Mitt Romney. L'idée était que les Répu­bli­cains étaient assurés de l'emporter. Le baron de casino juif, Sheldon Adelson, avait investi de l'argent dans leur cam­pagne, finançant en même temps un quo­tidien israélien à grand tirage à seule fin de sou­tenir Nétanyahou.

Romney “ne pouvait pas perdre” – mais il a perdu. Cela aurait du être une leçon pour Néta­nyahou, mais il ne l'a pas entendue. Il joue main­tenant le même jeu, mais pour des enjeux beaucoup plus importants.

NOUSSOMMES main­tenant en pleine bataille, et il est encore trop tôt pour en prédire l'issue.

Le lobby juif pro-​​Israël, AIPAC, soutenu par d'autres orga­ni­sa­tions juives et évan­gé­liques, est en train de ras­sembler ses forces sur la colline du Capitole. C'est une mani­fes­tation impressionnante.

Sénateur après sénateur, membre du Congrès après membre du Congrès s'avancent pour apporter leur soutien au gou­ver­nement israélien contre leur propre pré­sident. Ceux-​​là même qui bon­dis­saient comme des marion­nettes lors du dernier dis­cours de Néta­nyahou devant les deux chambres du Congrès, cherchent à se sur­passer l'un l'autre dans l'affirmation de leur loyauté indé­fec­tible à l'égard d'Israël.

Cela se fait main­tenant au grand jour, dans une démons­tration d'impudence. Plu­sieurs séna­teurs et membres du Congrès déclarent publi­quement qu'ils ont reçu des ins­truc­tions des ser­vices secrets israé­liens et qu'ils leur font plus confiance qu'aux ser­vices secrets des États-​​Unis. Aucun n'a dit le contraire.

Cela aurait été impen­sable s'il s'était agi de tout autre pays, par exemple l'Irlande ou l'Italie dont sont ori­gi­naires beaucoup d'Américains. L'“État juif” est un cas unique, une sorte d'anti-sémitisme à l'envers.

En effet, cer­tains com­men­ta­teurs israé­liens ont déclaré en plai­santant que Néta­nyahou croit aux Pro­to­coles des Sages de Sion, le fameux – et infâme – document fabriqué par la police secrète du Tsar. Il pré­tendait révéler une sinistre conspi­ration des Juifs pour diriger le monde. Cent ans plus tard, la prise de pouvoir sur les États-​​Unis res­semble à cela.

Les séna­teurs et les repré­sen­tants ne sont fous (pas tous, en tout cas). Ils ont un objectf clair : se faire réélire. Ils savent de quel côté sont beurrées leurs tar­tines. L'AIPAC a fait la preuve, dans plu­sieurs cas témoins, qu'il peut ren­verser n'importe quel sénateur ou membre du Congrès qui ne res­pecte pas la droite ligne israé­lienne. Une seule phrase de cri­tique implicite de la poli­tique israé­lienne suffit à faire condamner un candidat.

Les hommes poli­tiques pré­fèrent la honte et le ridicule public au suicide poli­tique. Il n'y a pas de pilotes kami­kazes au Congrès.

Ce n'est pas une situation nou­velle. Elle dure depuis au moins plu­sieurs décennies. Ce qui est nouveau c'est qu'elle apparaît main­tenant au grand jour, sans fioritures.

ILEST dif­ficile de savoir, pour le moment, dans quelle mesure la Maison Blanche est inquiète de cette évolution.

Obama et son Secré­taire d'État John Kerry savent que l'opinion publique amé­ri­caine est tota­lement opposée à toute nou­velle guerre au Moyen-​​Orient. Un com­promis avec l'Iran est dans l'air. Cela a le soutien de presque toutes les puis­sances du monde. Même les colères des Français, qui n'ont semble-​​t-​​il pas d'autres buts que de mani­fester leur pré­tendue impor­tance, ne sont pas sérieuses.

Le Pré­sident François Hol­lande a été reçu en Israël cette semaine comme le pré­curseur du Messie. Si l'on fermait les yeux, on pouvait ima­giner que les anciens jours heureux d'avant de Gaulle étaient de retour, lorsque la France armait Israël, lui four­nissait son réacteur ato­mique mili­taire et où les deux pays menaient des équipées ensemble (la mal­en­con­treuse aventure de Suez en 1956).

Mais si Obama et Kerry restent fermes sur leur position concernant l'Iran, le Congrès peut-​​il imposer une position contraire ? Cela pourrait-​​il conduire à la crise ins­ti­tu­tion­nelle la plus sérieuse de l'histoire des États-​​Unis ?

En guise de déri­vatif, Kerry poursuit ses efforts pour imposer à Néta­nyahou une paix dont il ne veut pas. Le Secré­taire d'État a réussi à pousser Néta­nyahou à des “négo­cia­tions de statut final” (per­sonne n'a osé pro­noncer le mot paix, à Dieu ne plaise), mais per­sonne en Israël ou en Palestine ne croit qu'il va en sortir quelque chose. Sauf, bien entendu, si la Maison Blanche met toute la puis­sance des États-​​Unis dans la balance – et cela semble plus qu'improbable.

Kerry a alloué neuf mois à l'entreprise, comme s'il s'agissait d'une gros­sesse normale. Mais les chances de voir un bébé en sortir à la fin sont pra­ti­quement nulles. Au cours des trois pre­miers mois, les parties n'ont pas avancé d'un pouce.

Alors, qui va gagner ? Obama ou Nétanyahou ? Chomsky ou Walt/​Mearsheimer ?

Comme aiment à dire les commentateurs : le temps le dira.

En attendant, faites vos paris.

Article écrit en hébreu et en anglais, publié sur le site de Gush Shalom le 23 novembre 2013 – Traduit de l'anglais « The Battle of the Titans » pour l'AFPS : FL


Viewing all articles
Browse latest Browse all 26648

Trending Articles