La poursuite de la colonisation, qui empoisonne les négociations de paix, relance la thèse d'un État binational où les Juifs pourraient être minoritaires.
L'accord historique arraché le mois dernier à Genève sur le nucléaire iranien a fait renaître un mince espoir chez les Palestiniens : celui de voir l'inextricable conflit israélo-palestinien revenir en tête des priorités de la communauté internationale en vue d'un règlement diplomatique. Le camouflet infligé par les États-Unis à Israël en privilégiant pour la première fois leurs intérêts au Moyen-Orient aux dépens de ceux de leur allié indéfectible, a autant surpris Ramallah qu'il a agacé Tel-Aviv.
Mais l'Iran n'est pas la Palestine. Si le secrétaire d'État américain John Kerry a pesé de tout son poids pour que reprennent les négociations de paix entre les deux voisins fin juillet, celles-ci sont aujourd'hui au point mort. Elles avaient pourtant débuté sous de bons auspices. En octobre, Israël a décidé de libérer 26 prisonniers palestiniens, tandis que l'Autorité palestinienne s'est engagée à ne pas saisir les instances internationales pour faire respecter ses droits. Mais les discussions achoppent désormais sur un point central : la poursuite de la colonisation. Ainsi, la multiplication des annonces de nouvelles constructions en territoire occupé a même provoqué la démission de l'équipe de négociateurs palestiniens en novembre.
Ressources naturelles accaparées
"Depuis 1967, la politique d'Israël a été guidée par un seul objectif : s'emparer du maximum de territoire palestinien avec le minium de Palestiniens, en rendant leur vie si insupportable qu'ils sont directement ou indirectement forcés de partir", s'insurge Muhammad Shtayyeh, négociateur démissionnaire, dans les colonnes du quotidien israélien Haaretz. "Ce processus de colonisation, un crime dans le droit international, est le plus grand obstacle à la réussite de la solution à deux États, qui est née d'un consensus international."
Autre sujet de désaccord, la volonté d'Israël de conserver des soldats dans la vallée du Jourdain. Une demande inacceptable pour les Palestiniens, qui autoriseraient en revanche la présence d'une force internationale. "La conclusion d'un accord de paix suppose la fin de l'occupation par les Israéliens qui, dans la vallée du Jourdain, s'accaparent l'essentiel des ressources naturelles de la Palestine", souligne une source diplomatique régionale.
Dialogue vouéà l'échec
En dépit de ces insurmontables divergences, Mahmoud Abbas a promis de poursuivre les neuf mois de discussions jusqu'à leur terme, c'est-à-dire en avril 2014. "John Kerry emploie d'immenses efforts dans ces négociations et le monde entier nous a demandé d'y participer, répétant que c'est le seul moyen de résoudre le conflit", confie la source diplomatique. "Nous voulons nous montrer coopératifs afin de ne pas être blâmés par la suite, il revient désormais à la communauté internationale d'assumer ses responsabilités."
Pourtant, une source régionale bien informée prédit d'ores et déjà l'échec du processus. "Clairement, des deux côtés, il est important de maintenir l'illusion d'un processus de négociations. Côté israélien, afin de poursuivre la colonisation, et côté palestinien, pour conserver un semblant de légitimité pour une génération de responsables dépassés, sans pour autant devoir payer le fardeau d'un accord inacceptable aux yeux de l'opinion publique palestinienne.""Le gouvernement de Netanyahou souhaite que le processus de paix se poursuive afin de maintenir un statu quo, sans pour autant qu'il aboutisse", convient Denis Charbit, professeur de sciences politiques à l'Université ouverte d'Israël.
Absence de pression internationale
À Ramallah, on avoue être soumis à une énorme pression de la rue palestinienne, mais on explique l'engagement de Mahmoud Abbas par l'attente d'un changement d'attitude à l'égard d'Israël de la part des États-Unis ou de la communauté internationale. "Le gouvernement israélien n'est pas pousséà agir en raison de la grande disparité de puissance entre Israël et la Palestine ainsi que de la puissance du lobby pro-israélien au Congrès américain, qui soutient entièrement les positions israéliennes", souligne l'ex-négociateur Muhammad Shtayyeh dans Haaretz. Avant de dresser un parallèle avec le nucléaire iranien : "Si le cadre multilatéral des accords de Genève a fonctionné, pourquoi ne serait-ce pas le cas pour la Palestine ?"
Le secrétaire d'État américain a eu beau se livrer en novembre à une rare critique de la politique de colonisation israélienne, il paraît difficile aujourd'hui de l'imaginer faire avaler "une seconde couleuvre"à l'allié israélien, comme le souligne le politologue Denis Charbit. "Après la débâcle de Genève, nous ne permettrons pas au secrétaire d'État Kerry de nous forcer à un autre mauvais accord", a d'ailleurs prévenu jeudi le vice-ministre israélien de la Défense Danny Danon.
Cri d'alarme
Pour convaincre Israël de lâcher du lest, John Kerry est arrivé jeudi à Jérusalem avec des "idées" et des "propositions" en matière de sécurité, notamment une réduction au maximum de la présence militaire israélienne dans la vallée du Jourdain, grâce à la fourniture de systèmes de défense sophistiqués. "Les États-Unis ont décidé de présenter au préalable à Israël les arguments sécuritaires qu'ils seraient prêts à leur accorder, avant de leur demander ce à quoi ils sont prêts à renoncer", analyse Denis Charbit. Une stratégie jugée inacceptable par l'ex-négociateur palestinien Muhammad Shtayyeh. "Pour parvenir à un accord, les Israéliens et les Palestiniens doivent s'entendre sur un texte final (…). Cette exigence la plus fondamentale des négociations fait défaut."
Le temps est pourtant compté. À la veille de l'arrivée de John Kerry au Proche-Orient, un ancien responsable israélien a lancé un cri d'alarme aux dirigeants de son pays. "Les implications de la non-résolution du conflit israélo-palestinien sont bien plus existentielles pour notre avenir comme peuple et comme État que le nucléaire iranien", a souligné Youval Diskin. L'ancien patron du Shin Beth (les services de sécurité intérieurs de l'État hébreu) de 2005à2011 s'en est vivement pris à Benyamin Netanyahou, qu'il a accusé d'avoir privilégié les considérations de politiques intérieures plutôt que la sécurité d'Israël en libérant des prisonniers palestiniens ayant participéà des attentats plutôt que de suspendre les constructions dans les colonies.
"Geler des implantations aurait été possible vis-à-vis de l'opinion publique, souligne le politologue Denis Charbit, mais Netanyahou ne voulait pas se mettre à dos une partie de sa coalition pour des raisons idéologiques.""Nous avons besoin d'un accord maintenant, a averti Youval Diskin, avant que ne soit atteint un point de non-retour qui rendra la solution à deux États impossibles." En effet, la poursuite tous azimuts de la colonisation en Cisjordanie, pendant qu'elle met géographiquement en péril la viabilité d'un hypothétique État palestinien, rend de plus en plus probable l'hypothèse d'un État binational allant de la Méditerranée aux rives du Jourdain, où cohabiteraient les deux peuples. Or, la croissance démographique des Palestiniens étant plus élevée que celle des Israéliens, ces derniers pourraient rapidement s'y retrouver minoritaires.