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Racisme et liberté d'expression : ne pas se tromper d'ennemi

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Il est à la fois néces­saire, affirme l'ancien député com­mu­niste Jean-​​Claude Lefort, pré­sident d'honneur de l'Association France Palestine Soli­darité, d'«éclairer poli­ti­quement la signi­fi­cation » de la “que­nelle” si l'on veut « rendre lisible et accep­table par la société toute mesure (…) visant à en réduire l'usage », mais aussi de mettre fin à« la confusion entre anti­sé­mi­tisme et action poli­tique qui est au cœur même de la cir­cu­laire Alliot-​​Marie » contre le boycott de pro­duits israéliens.

Le ferme débat engagé contre les paroles et les actes de Dieu­donné peut être salu­taire, à condition d'éviter tout rac­courci, ou pire : les amalgames.

Les ques­tions posées sont sérieuses. Elles doivent être l'occasion d'opérer des cla­ri­fi­ca­tions néces­saires, tant existent des volontés de brouiller les cartes aujourd'hui. Ceci dans un seul but – qui devrait ras­sembler : prendre des mesures pour que les deux termes de l'équation, la lutte contre toute forme de racisme, d'une part, et, d'autre part, la pro­tection de la liberté d'expression, en sortent renforcées.

Pour qui­conque suit objec­ti­vement les faits, les gestes et les propos de Dieu­donné, la chose ne peut prêter à aucun doute pos­sible : son anti­sé­mi­tisme est patent. Il n'est pas accep­table. Le racisme, redisons-​​le avec force, n'est pas une opinion mais un délit. Nous le condamnons par principe, absolu et non dis­cu­table, mais aussi par nécessité poli­tique : il nuit ter­ri­blement à la cause du peuple pales­tinien dont Dieu­donné fait mine de se réclamer.

Ses propos ont été condamnés par la justice à de nom­breuses reprises. Et la loi doit s'appliquer sans la moindre mansuétude.

Mais les actes de Dieu­donné, et plus spé­cia­lement sa « que­nelle », doivent être éclairés si on veut rendre lisible et accep­table par la société toute mesure poli­tique ou autre visant à en réduire l'usage jusqu'à l'anéantir. De ce point de vue, beaucoup de per­sonnes, spé­cia­lement les jeunes, ne sont pas au dia­pason des condam­na­tions jus­tement for­mulées contre cette hon­teuse « que­nelle » dont le sens est pourtant indiqué par Dieu­donné en per­sonne et dont je m'interdis de le rap­peler ici tel­lement c'est ignoble. De nom­breux jeunes n'y voient pourtant qu'un simple geste à signi­fi­cation « anti­système » d'autant que Dieu­donné joue de l'ambiguïté.

D'aucuns y voient la résur­gence, sous une autre forme, du salut hit­lérien, lequel n'est pas pas­sible des rigueurs de la loi en France alors que le port public de signes nazis est interdit et sanc­tionné. Comme en écho direct avec le procès de Nuremberg. Faudra-​​t-​​il modifier ou cla­rifier la loi sur ce point ? Tâche cer­tai­nement très dif­ficile, car ce n'est pas un salut nazi stricto sensu, alors qu'en Alle­magne et en Autriche une loi existe contre lui.

En tout cas, il faut éclairer poli­ti­quement la signi­fi­cation de ce geste qui n'a rien de banal ni d'antisystème afin d'isoler ses pro­ta­go­nistes et d'anéantir autant qu'il est pos­sible son uti­li­sation dont s'enorgueillit ave jubi­lation l'extrême droite. Le fait qu'il soit souvent produit devant des lieux de mémoire qui concernent direc­tement les Juifs doit être mis en exergue sans ater­moie­ments ni la moindre hésitation.

Mais il faut être clair : ce ne sont pas seulement les Juifs qui sont concernés par ce sujet et ce combat car c'est toute notre civi­li­sation qui est visée ainsi que les valeurs de la démo­cratie et de la Répu­blique. Ce n'est pas un combat à sanc­tua­riser. Il touche à l'universel.

Nous sommes donc, dans ce cas, dans le cadre de la lutte conte le racisme qui, encore une fois, n'est pas une opinion mais un délit. La liberté d'expression est jus­tement encadrée. Et comme le rap­pelle avec constance la Cour euro­péenne des droits de l'homme, « tout ce qui n'est pas interdit est autorisé. »

A cet égard, le débat ouvert à propos du cas Dieu­donné peut être salu­taire. Car en vérité d'aucuns veulent s'en prendre non plus au racisme, et ren­forcer nos ins­tru­ments juri­diques, mais cherchent à« pro­fiter » de cette situation pour interdire la cri­tique et l'action contre la poli­tique des diri­geants israé­liens. Ils veulent par­venir à ce que la cri­tique de cette poli­tique devienne taboue et relève du « racisme ». Et là, non ! On glisse plus que dan­ge­reu­sement. On rend inau­dible et on dévalue, sinon on délé­gitime, le combat évoqué qui est à mener contre toutes les formes de racisme.

C'est pourtant ce qu'a fait en son temps une cer­taine ministre de la justice, Michèle Alliot-​​Marie qui, dans une cir­cu­laire tou­jours actuelle, a purement et sim­plement assimilé l'appel au boycott des pro­duits issus des colonies israé­liennes ou en pro­ve­nance d'Israël comme un appel à la « dis­cri­mi­nation » raciale. Elle a dévoyé, pour cela, l'article 24 de la loi de 1881 et l'article 225 et sui­vants du Code pénal. Ces lois sont fort per­ti­nentes qui péna­lisent jus­tement les actes ou appels contre « un individu ou un groupe d'individus »à raison de leur appar­te­nance à une « race, une nation, une ethnie », etc. Contre une ou des per­sonnes et non pas contre un ou des produits.

Le boycott a été lancéà l'appel de la société civile pales­ti­nienne vers l'opinion publique mon­diale dans une optique unique et claire qui ne peut souffrir d'aucune autre jus­ti­fi­cation : il s'agit d'agir de manière paci­fique contre la poli­tique d'occupation des diri­geants israé­liens. Et ceci non pas pour toute l'éternité, comme si Israël était intrin­sè­quement pervers, mais durant un temps précis et déterminé : jusqu'à ce que les diri­geants israé­liens appliquent le droit inter­na­tional. C'est clair et net et ne peut avoir pour nous d'autre fondement.

Il n'y a donc rien, de toute évi­dence, de raciste ou d'antisémite dans ce cas. C'est purement et sim­plement poli­tique. Ou alors il fau­drait qu'on dise que les mêmes lois auraient dû s'abattre, durant le très long combat contre l'apartheid, contre les tenants du boycott contre l'Afrique du Sud. Qui oserait affirmer aujourd'hui que ce fut un boycott anti-​​blanc, en quelque sorte ? Ce fut un combat contre un système et non contre des indi­vidus. Et à l'époque aussi, d'aucuns étaient pour cette action de boycott et d'autres étaient contre.

C'était une question d'appréciation et de posi­tion­nement poli­tiques. Mais ce fut un beau combat poli­tique, un combat utile et décisif ainsi qu'il a été rappelé par les auto­rités fran­çaises au moment de la dis­pa­rition de Nelson Mandela.

On ne peut laisser sans danger per­durer la confusion entre anti­sé­mi­tisme et action poli­tique qui est au cœur même de la cir­cu­laire Alliot-​​Marie. On ne saurait admettre que l'antisémitisme soit ins­tru­men­talisé pour dis­qua­lifier et cri­mi­na­liser ces appels au boycott dès lors qu'ils sont clairs et ne concernent que la situation poli­tique au Proche-​​Orient.

Si on ne prêtait pas l'attention néces­saire à ce sujet – et si devait encore courir la cir­cu­laire Alliot-​​Marie – alors, c'est la lutte contre l'antisémitisme elle-​​même qui en serait atteinte. On ne voit que trop à quel point le soutien absolu et sys­té­ma­tique porté par d'aucuns à la poli­tique israé­lienne nuit au combat contre l'antisémitisme. Des voix s'élèvent en ce sens. Car il s'agit de deux choses abso­lument dif­fé­rentes qu'on ne peut mélanger, sauf à retirer au concept d'antisémitisme toute portée réelle. Consi­dérer qu'Israël est ou serait un Etat à part et dif­férent des autres, hors toute cri­tique poli­tique pos­sible, serait en ce sens aussi, très gravissime.

C'est pourquoi le débat actuel fournit l'occasion d'une saine et ferme clarification.

Une nou­velle cir­cu­laire de la Garde des sceaux s'impose qui vienne enfin cla­rifier et ren­forcer la lutte contre toutes les formes de racisme en garan­tissant la liberté d'expression dont doivent jouir tous les citoyennes et les citoyens dans notre République.

C'est un vœu – et même plus que cela – que je formule au seuil de l'année nouvelle.


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