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L'Égypte étend la « guerre contre le terrorisme »à Gaza

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Stratégies innovantes ou vieilles recettes ?

Le ren­ver­sement de Mohamed Morsi a eu d‘importantes consé­quences sur la bande de Gaza et ses diri­geants. D'allié pri­vi­légié, le Hamas est, du jour au len­demain, devenu la cible à abattre. La stra­tégie de l'armée égyp­tienne consiste àétouffer éco­no­mi­quement le Mou­vement de la résis­tance isla­mique et à sou­tenir poli­ti­quement ses adver­saires. Pourtant, malgré la des­truction des tunnels, la poli­tique des généraux égyp­tiens ne semble pas radi­ca­lement dif­fé­rente de celle conduite à l'époque par Hosni Mou­barak, qui visait àéviter que l'effondrement du Hamas ne pèse sur la sta­bilité de l'Égypte.

Un tunnel à Rafah. Marius Arnesen, 14 avril 2009.

Depuis la chute de Mohamed Morsi le 3 juillet 2013, les diri­geants du Hamas s'attachent à démentir toute ingé­rence dans les affaires inté­rieures de l'Égypte. Ils rap­pellent le droit des Égyp­tiens à mettre en œuvre les condi­tions néces­saires pour assurer leur sécurité et pré­server leurs intérêts nationaux. Pourtant, ces mêmes diri­geants avaient déclaré offi­ciel­lement que le ren­ver­sement du pré­sident Morsi consti­tuait un « coup d'État » (inqilâb) mili­taire. Face à ces propos contra­dic­toires, le général Abdel Fattah Al-​​Sissi a choisi de porter un coup sévère au mou­vement isla­miste pales­tinien. La des­truction de la quasi-​​totalité des tunnels de contre­bande reliant le ter­ri­toire pales­tinien à l'Égypte, la fer­meture du point de passage de Rafah et l'interdiction for­melle de tout dépla­cement des diri­geants du Hamas consti­tuent autant de mesures témoi­gnant d'une volonté acharnée d'affaiblir, voire ren­verser le pouvoir actuel à Gaza.

En asphyxiant plus d'un million sept cent mille habi­tants, les mili­taires égyp­tiens s'attendent à ce que l'ensemble de la popu­lation de Gaza se retourne contre ses diri­geants. Dans ce combat, le général Al-​​Sissi sou­tient éga­lement les concur­rents poli­tiques du Hamas et n'exclut pas la pos­si­bilité d'une inter­vention mili­taire limitée dans la bande de Gaza dans le cas où l'évolution de la situation interne sur ce ter­ri­toire mena­cerait la sécurité de l'Égypte. Cette stra­tégie rap­pelle celle des années 2006-​​2007 lorsque, à la suite de la vic­toire élec­torale du Hamas, les membres du Quartet (États-​​Unis, Russie, Union euro­péenne, Nations unies) avaient imposé un blocus dans l'espoir que l'étouffement éco­no­mique mènerait à l'effondrement poli­tique. La prise de Gaza par la force en juin 2007 par le Hamas était la consé­quence de ten­ta­tives de putsch, opérées par le Fatah, qui se pré­pa­raient déjà depuis la capitale égyptienne.

Collaboration avec Al-​​Qaida

Alors que l'un des objectifs de Mohamed Morsi avait été de convaincre les États-​​Unis de retirer le Hamas de leur liste des orga­ni­sa­tions ter­ro­ristes, c'est désormais la confrérie des Frères musulmans elle-​​même qui a été désignée comme telle par le nouveau gou­ver­nement égyptien. Iden­tifié aux Frères puisque appar­tenant à la même famille idéo­lo­gique, le Hamas subit la même assi­mi­lation. Le 9 décembre 2013, Mahmoud Al-​​Zahar déclarait que les rela­tions entre le Hamas et l'Égypte étaient rompues. Ce même diri­geant s'était défendu au cours d'un entretien accordé au journal égyptien Al-​​Watan, en affirmant qu'aucun membre du Hamas ne s'était jamais impliqué dans les affaires inté­rieures de l'Égypte.

Pourtant, l'armée égyp­tienne accuse expli­ci­tement le mou­vement isla­miste pales­tinien de sou­tenir des mili­tants liés à Al-​​Qaida cou­pables d'attentats au Caire et dans d'autres villes. Notamment de l'attaque du 8 juillet 2013 dans le Sinaï. Cer­tains diri­geants du Hamas seraient d'ailleurs détenus dans les prisons du Caire [1]. Cette thèse est éga­lement défendue par plu­sieurs diri­geants du Fatah, comme Yasser Abd Al-​​Rabbo qui reproche au Hamas de sou­tenir les dji­ha­distes dans le Sinaï. Le pré­sident Mahmoud Abbas aurait même fourni à l'Égypte un certain nombre de docu­ments prouvant la culpa­bilité du Hamas.

Il est dif­ficile de vérifier la véracité de ces accu­sa­tions. On peut néan­moins sou­ligner que la « guerre » déclarée contre le Hamas permet à l'armée égyp­tienne de réins­crire sa lutte contre les Frères musulmans en Égypte dans une pers­pective régionale afin de lui donner davantage de cré­di­bilité. En mettant en avant la « col­la­bo­ration » entre la confrérie égyp­tienne et le Hamas, il tente ainsi d'agiter l'épouvantail d'une dan­ge­reuse conspi­ration isla­miste, voire terroriste.

Asphyxier l'économie

En 2007, le Hamas avait réussi à contourner le blocus imposé par Israël et l'Égypte grâce aux tunnels de contre­bande. L'administration égyp­tienne de l'époque tolérait en effet la pré­sence de ces tunnels pour éviter une crise huma­ni­taire. Ce com­merce sou­terrain assurait près de 80 % des besoins de la bande de Gaza et consti­tuait pour le Hamas une source impor­tante de revenus grâce au pré­lè­vement de taxes [2]. La volonté de détruire de manière sys­té­ma­tique ces tunnels ne date pas de juillet 2013. Elle s'était mani­festée par le passéà dif­fé­rentes périodes, et s'est accé­lérée avec le départ d'Hosni Mou­barak : une pre­mière vague de des­truc­tions a eu lieu à l'été2012 [3], une seconde au début de l'année 2013 par leur inon­dation inten­tion­nelle. L'armée repro­chait à Mohamed Morsi de favo­riser Gaza au détriment des intérêts de l'Égypte et pré­co­nisait des mesures puni­tives à l'égard du Hamas.

La dif­fé­rence, depuis le mois de juillet 2013 tient à l'ampleur du phé­nomène puisque c'est près de 90 % des 1200 tunnels exis­tants qui auraient été détruits. D'après le ministre de l'économie Ala Al-​​Rafati, la fer­meture des tunnels depuis le mois de juillet aurait fait perdre plus de 230 mil­lions de dollars au Hamas qui serait au bord de la faillite.

Tou­tefois, il semble qu'au-delà de cet accrois­sement des des­truc­tions, un certain réa­lisme prévale : il s'agit d'asphyxier le Hamas sans pour autant pro­voquer de crise huma­ni­taire dans la bande de Gaza. Bien qu'ayant choisi de détruire la majeure partie des tunnels, les mili­taires égyp­tiens auraient récemment fermé les yeux sur le transfert d'importantes sommes d'argent en direction de Gaza. Tout comme Mahmoud Al-​​Zahar avait été autorisé par la douane égyp­tienne en novembre 2006à trans­porter plu­sieurs valises contenant près de vingt mil­lions de dollars jusqu'à Gaza, cer­tains diri­geants du Hamas seraient récemment par­venus à faire tran­siter des fonds, et ce pour la pre­mière fois depuis juillet 2013.

Parrainer des tentatives de putsch

Paral­lè­lement à la des­truction de l'immense majorité des tunnels de contre­bande, Le Caire se rap­proche des concur­rents poli­tiques du Hamas. Cette pra­tique n'est pas nou­velle ; elle s'inscrit dans le pro­lon­gement d'une tra­dition poli­tique de l'armée égyp­tienne favo­risant le Fatah au détriment du Hamas. En juin 2007, la prise de Gaza par le Hamas apparaît comme une réponse aux ten­ta­tives de putsch qui se pré­pa­raient depuis Le Caire au profit du Fatah. Ceci explique d'ailleurs pourquoi de nom­breux diri­geants du Hamas consi­dèrent cet évé­nement comme une « seconde libé­ration », après celle de l'évacuation israé­lienne de Gaza en 2005, et pri­vi­lé­gient l'appellation hassem (lit­té­ra­lement « prendre une mesure radicale dans un moment décisif ») à celle d'inqilâb (coup d'État) pour évoquer cet épisode. En novembre 2007 le mou­vement publiait le livre blanc (al-​​kitâb al-​​abyad) avec un titre par­ti­cu­liè­rement explicite : Pas d'autre choix que la force.

La conver­gence de l'Égypte et du Fatah est éga­lement dénoncée par le Hamas au moment de l'opération « Plomb durci » en décembre 2008-​​janvier 2009. Mahmoud Abbas, qui aurait été mis au courant de l'attaque contre Gaza est pré­senté comme l'allié d'Israël et de l'Égypte dans cette guerre. Le Hamas fustige la pré­sence de Tzipi Livni [4] au Caire quelques heures avant le déclen­chement de l'opération. D'après Fawzi Barhoum, porte-​​parole du mou­vement, c'est à partir de la ren­contre entre Hosni Mou­barak et la ministre israé­lienne que la menace de la des­truction de Hamas a pris forme [5].

À d'autres occa­sions, le Fatah aurait tenté de mettre fin à la domi­nation du Hamas sur la bande côtière. Le 15 mars 2011, lors de la mobi­li­sation popu­laire demandant la « fin de la division » (inha al-​​inqisam), le Fatah aurait profité de cette conjoncture pour trans­former la mani­fes­tation en une contes­tation visant essen­tiel­lement le Hamas. Bien que le premier ministre Ismaël Haniyeh ait donné son accord pour la tenue d'une mani­fes­tation sur la place du Soldat inconnu, les mani­fes­tants se sont tournés, munis de dra­peaux du Fatah, vers la place Katiba, pro­vo­quant la colère des diri­geants du Hamas et la répression du mou­vement par la force.

Alors que Le Caire affiche plus que jamais son ani­mositéà l'égard du Hamas, le Fatah y voit une nou­velle oppor­tunité pour se ren­forcer depuis l'Égypte. Une pre­mière mobi­li­sation du mou­vement de rébellion pales­tinien, éga­lement nommé tamarrod suivant le modèle égyptien était prévue à Gaza pour le 11 novembre 2013, date de l'anniversaire de la mort de Yasser Arafat ; mais celle-​​ci a fina­lement été annulée. D'après le porte-​​parole du mou­vement qui a nié toute impli­cation des ser­vices de ren­sei­gnement égyp­tiens ou de l'Autorité de Ramallah [6], ils auraient préféré ajourner la mobi­li­sation pour éviter un bain de sang à Gaza. Pour le Hamas en revanche, l'absence de mani­fes­tation ce jour-​​là prouve bien qu'il n'existe pas à Gaza de mou­vement de contes­tation, qu'il n'est qu'une invention des ser­vices de ren­sei­gnement euro­péens et arabes, un « complot » contre la résistance.

Les membres du tamarrod pales­tinien appellent à une nou­velle mobi­li­sation pour le 21 mars 2014. Récemment, les forces de police de Gaza ainsi que les bri­gades Al-​​Qassam ont défilé dans les rues, lançant un signal fort pour montrer la déter­mi­nation du Hamas à répondre par la force à toute agression contre son pouvoir.


[1] Le porte-​​​​parole du Hamas Abou Zouhri nie la pré­sence de membres du Hamas dans les prisons en Égypte (Centre pales­tinien d'information, 4 sep­tembre 2013)

[2] D'après Nicolas Pelham, ces taxes repré­sen­te­raient environ 20 % de la valeur des mar­chan­dises (« Diary in Gaza », London Review of books, vol. 31, n °20, 22 octobre 2009).

[3] L'attentat du poste fron­tière de Kerem Shalom le 5 août 2012 avait pro­voqué la fer­meture tem­po­raire des tunnels et du passage de Rafah. L'armée égyp­tienne avait accusé des membres du Hamas d'avoir par­ticipéà cette attaque.

[4] Alors ministre des affaires étran­gères et vice-​​​​premier ministre du gou­ver­nement israélien.

[5] Falistin al-​​​​Muslima, janvier 2010.

[6] Ahmad Assaf, porte-​​​​parole du Fatah, nie éga­lement toute impli­cation du Fatah. Voir Al-​​​​Masry al-​​​​Youm du 11 novembre.


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