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Gil Hilel dénonce le vrai visage de l'occupation israélienne en Palestine

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Il y a vingt ans jour pour jour, la ville d'Hébron était ébranlée par le mas­sacre du Tombeau des Patriarches. Divisée en deux zones, elle sym­bolise l'impossible coha­bi­tation entre Israé­liens et Pales­ti­niens. Plu­sieurs mil­liers de soldats assurent leur pénible coexis­tence. Gil Hilel a servi trois ans dans cette ville fantôme. Aujourd'hui membre de l'association Breaking the silence, elle brise les tabous et témoigne de la réalité de l'occupation israé­lienne en Palestine.

“Le premier jour de mon service, je pensais accomplir quelque chose de bien pour mon pays. J'étais très fière !” Gil Hilel a servi entre 2001 et 2003 dans l'unité“Sahlav” en charge du maintien de l'ordre à Hébron. En Israël, le service mili­taire est obli­ga­toire pour les femmes comme pour les hommes, pendant trois ans. “L'armée, nous en par­lions beaucoup à l'école, elle devait marquer une étape, celle du passage à l'âge adulte”, explique Gil. Devait…

Rapi­dement, Gil est confrontéà la réalité de l'occupation. La ville est divisée en deux sec­teurs : H1, admi­nistré par les auto­rités pales­ti­niennes, et H2, contrôlé par l'armée israé­lienne. Une consé­quence directe du mas­sacre du Tombeau des Patriarches, survenu le 25 février 1994. Ce matin-​​là, Barouch Gold­stein, un médecin israélien de 37 ans, ouvre le feu sur les fidèles musulmans pales­ti­niens en prière. Bilan : 29 morts et 125 blessés. Aujourd'hui, un grillage sépare cer­taines rues empruntées par les Pales­ti­niens des maisons israé­liennes en sur­plomb. L'objectif : pro­téger les pas­sants des pro­jec­tiles lancés par les colons. Avec ses 177000 habi­tants, Hébron est la ville la plus peuplée de Cis­jor­danie et la seule ville pales­ti­nienne au centre de laquelle vivent des colons israé­liens. Pour per­mettre cette coha­bi­tation, près de 3000 mili­taires patrouillent nuit et jour pour assurer la pro­tection de quelque 700 Israéliens.

Stratégie de persécution

“Occuper, c'est ins­taurer la peur”, résume Gil. Les soldats patrouillent en per­ma­nence, encerclent des maisons choisies au hasard au milieu de la nuit, réveillent ses habi­tants, séparent les hommes et les femmes, véri­fient leurs papiers d'identité et fouillent toutes les pièces dans un vacarme inouï. Tout le quartier doit savoir que l'armée est partout, tout le temps et qu'elle peut surgir à n'importe quel moment. L'occupation repose sur cette stra­tégie de per­sé­cution. “Pour mon premier jour sur le terrain, mon com­mandant nous a emmenés dans un quartier pales­tinien d'Hébron. Il a arrêté un homme qui mar­chait dans la rue et l'a roué de coups.” De retour à la base, Gil demande pourquoi : “C'est lui ou moi, il doit avoir peur de moi, sinon il me tuera, c'est comme ça que tu res­teras en vie Hilel”, répond son supé­rieur. On lui interdit de reposer la question, sous peine d'être sanc­tionnée. Or être puni, c'était risquer de ne pas rentrer chez soi pendant deux mois. “Alors je suis rentrée dans le rang”, soupire-​​t-​​elle. Plus les mois ont passé, plus les jus­ti­fi­ca­tions de l'armée ont fini par faire sens :

“J'étais en per­ma­nence au contact des Pales­ti­niens, pourtant je ne les voyais plus comme des êtres humains, ils étaient de poten­tiels terroristes.”

Gil apprend la langue de l'occupation : ordres et contre-​​ordres pour sou­mettre l'ennemi. Elle pouvait tout exiger, obliger un homme à rester debout, sans eau ni nour­riture pendant plu­sieurs heures devant elle parce qu'elle estimait qu'il lui avait manqué de respect, lui demander de s'asseoir, puis de se relever et de s'asseoir encore, 50 fois de suite si elle le sou­haitait. “On pouvait faire ce que l'on voulait. Et quand on avait passé une bonne journée, on se mon­trait parfois plus clément”, raconte-​​t-​​elle. Très mesurée et réfléchie, la jeune femme n'a pas peur des silences, elle prend son temps et cherche ses mots.

Gil Hilel se sou­vient d'un regard, un regard qu'elle n'a pas compris à l'époque et qui la hante aujourd'hui.

“Un jour, une jeune Pales­ti­nienne que je connais bien passe devant mon check point. Je l'arrête, lui demande sa pièce d'identité et l'interroge sur sa des­ti­nation, alors que je sais qu'elle va à l'école. La petite demande pourquoi je l'arrête aujourd'hui encore, je lui réponds sèchement : ‘Parce que !'“

Gil s'interrompt, elle a du mal à ras­sembler ses sou­venirs. “Je décide de la punir pour son imper­ti­nence. Je l'ai forcée à rester debout devant moi pendant toute la durée de mon service. Il y avait tant de haine dans son regard, dans ses yeux d'enfants. Je n'ai compris la signi­fi­cation de ce regard qu'une fois rede­venue civile. Comment pouvais-​​je lui demander de me voir comme un être humain quand je ne la voyais que comme un ennemi, un arabe ?” se sou­vient Gil.

“Je ne veux pas savoir ce que tu fais là-​​bas”

Le week-​​end suivant, Gil retourne chez ses parents et, toute fière, raconte cet épisode. Un silence gêné s'installe. “Je ne veux pas savoir ce que tu fais là-​​bas, reviens moi juste saine et sauve”, lui répond sa mère. Gil réfléchit à ce silence, mais rapi­dement le quo­tidien reprend ses droits. “Je n'avais pas le temps de penser à tout ça. Huit heures sur le terrain, huit heures de corvées à la base, je dormais quelques heures et je repartais pour huit heures sur le terrain. C'était une routine très dure, la seule chose que je voulais c'était avoir mes quelques jours de repos pour rentrer chez moi“, explique-​​t-​​elle.

Aujourd'hui, Gil à31 ans et termine son master “Action sociale”. Elle veut se lancer dans la poli­tique pour changer les choses de l'intérieur et mettre un terme à l'occupation. Elle anime des confé­rences et des visites d'Hébron avec Breaking the silence, l'association de vétérans israé­liens qui a recueilli son témoi­gnage. Créée il y a près de dix ans, Breaking the silence a ras­semblé plus de 900 récits qui des­sinent le vrai visage de l'occupation.

“Chaque mois, j'attends ces rendez-​​vous avec impa­tience, par­tager mon expé­rience avec des jeunes qui viennent de ter­miner leur service mili­taire, c'est dif­ficile et très émo­tionnel, mais c'est tel­lement gra­ti­fiant”, Gil glisse quelques mots en hébreu, se reprend et formule, hési­tante : “Je n'arrive pas à exprimer tout ce que je ressens… Aujourd'hui j'ai vraiment le sen­timent de faire quelque chose de bien pour ma communauté.”

“Tout a changé quand je suis redevenue civile”

La jeune femme ne regrette pas ses années de service, c'était la réalité du terrain, une réalité avec laquelle il fallait apprendre à com­poser si l'on voulait sur­vivre. Aujourd'hui, elle veut changer les choses, mettre un terme à l'occupation morale, à cette stra­tégie de la peur. Gil a attendu dix ans avant de témoigner. “Quand j'étais soldat, j'étais très fière de ce que l'on faisait. J'obéissais aux ordres. Tout a changé quand je suis rede­venue civile, je me suis dit : ‘mais putain, qu'est qu'on a fait ?' Au fur et à mesure, j'ai com­mencéà poser des ques­tions sur l'action de mon gou­ver­nement”, explique-​​t-​​elle. Et une question en entraînant une autre, toutes ses croyances ont étéébranlées. “Témoigner est un acte patrio­tique, il faut que la com­mu­nauté israé­lienne sache ce qu'il se passe sur le terrain, qu'elle connaisse le prix à payer pour sa sécurité”, affirme-​​t-​​elle.

Elle vit “au bout du monde” dans un kiboutz au nord du pays. Elle tra­vaille d'arrache-pied pour valider son année, depuis qu'elle a com­mencé ses études, elle n'a plus une minute à elle. “C'est mon service aca­dé­mique !”, plai­sante la jeune femme. Quand elle n'est pas dans ces livres, elle débat avec son petit ami, ensei­gnant, à qui elle voue un véri­table culte. Sa voix éraillée hésite : “Je sais que le pro­cessus que j'ai initié ne se ter­minera jamais, c'est une remise en cause permanente”.

Publié par Les Inrocks


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