“Pouf” est le bruit que fait l'air sortant d'un ballon. C'est une bonne expression, parce que le “processus de paix” n'était depuis le départ rien de plus qu'un ballon rempli d'air chaud. Un exercice de simulation.
PAUVREJOHN Kerry. Il a émis cette semaine un son plus expressif que des pages de verbiage diplomatique.
Au cours de sa déposition devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat, il a expliqué comment les actions du gouvernement israélien avaient torpillé le “processus de paix”. Les Israéliens ont rompu leur engagement de libérer des prisonniers palestiniens, et dans le même temps annoncé l'agrandissement d'un plus grand nombre de colonies à Jérusalem Est. Les efforts de paix on fait “pouf”.
“Pouf” est le bruit que fait l'air sortant d'un ballon. C'est une bonne expression, parce que le “processus de paix” n'était depuis le départ rien de plus qu'un ballon rempli d'air chaud. Un exercice de simulation.
ONNEPEUT pas en faire porter la responsabilitéà John Kerry. Il a pris toute la chose au sérieux. C'est un homme politique sérieux, qui a fait tous les efforts possibles pour réaliser la paix entre Israël et la Palestine. Nous devrions lui être reconnaissants de ses efforts.
L'ennui c'est que Kerry n'avait pas la moindre idée de ce dans quoi il mettait les pieds.
L'ensemble du “processus de paix” repose sur un malentendu fondamental. D'aucuns diraient : un mensonge fondamental.
C'est-à-dire que nous nous trouvons en face de deux parties égales dans un conflit. Un conflit sérieux. Un vieux conflit. Mais un conflit qui peut trouver une solution si des gens raisonnables des deux parties s'asseyent ensemble autour d'une table pour en débattre, sous la conduite d'un arbitre bienveillant et impartial.
Pas une seule de ces hypothèses n'était vraiment réalisée. L'arbitre n'était pas impartial. Les dirigeants n'étaient pas raisonnables. Et, plus important, les deux parties n'étaient pas àégalité.
L'équilibre des pouvoirs entre les deux parties n'est pas de 1 contre 1, même pas de 1 contre 2 ou 1 contre 10. Dans chaque dimension concrète – militaire, diplomatique, économique – c'est plutôt du genre un contre mille.
Il n'y a pas d'égalité entre un occupant et un occupé, un oppresseur et un opprimé. Un geôlier et un prisonnier ne peuvent pas négocier àégalité. Lorsque l'une des parties exerce un pouvoir absolu sur l'autre, contrôle chacun de ses déplacements, est installée sur sa terre, contrôle ses flux financiers, arrête les gens à son gré, bloque son accès aux Nations unies et aux tribunaux internationaux, il n'est pas question d'égalité.
Si les deux parties aux négociations sont à ce point en position inégale, le seul moyen de remédier à la situation est le soutien du médiateur à la partie la plus faible. C'est exactement le contraire qui se passe : le soutien américain à Israël est massif et sans limite.
Au cours des “négociations” les États-Unis n'ont rien fait pour arrêter l'activité de colonisation qui a créé de plus en plus de faits accomplis sur le terrain – le terrain même dont l'avenir était tout l'objet des négociations.
UNECONDITIONPRÉALABLEà des négociations fructueuses est que toutes les parties aient au moins une compréhension élémentaire non seulement des intérêts et des exigences de l'autre, mais plus encore de l'univers mental de chacun des autres, de leur situation et de la représentation qu'ils se font d'eux-mêmes. A défaut, toute manœuvre est inexplicable et semble irrationnelle.
Boutros Boutros-Ghali, l'une des personnes les plus intelligentes qu'il m'ait été donné de rencontrer, m'a dit un jour : “Vous avez en Israël les experts les plus intelligents sur le monde arabe. Ils ont lu tous les livres, tous les articles, le moindre mot écrit à son sujet. Ils savent tout et ne comprennent rien. Parce qu'ils n'ont jamais vécu un seul jour dans un pays arabe.
Cela est vrai aussi des experts américains, mais à un degré très supérieur. À Washington DC on respire l'air raréfié d'un sommet himalayen. Vu des palais pompeux de l'administration, dans lesquels se décide le sort du monde, les peuples étrangers paraissent petits, primitifs et dépourvus d'intérêt. Ici et là se cachent quelques vrais experts, mais en réalité personne ne les consulte.
L'homme d'État américain moyen n'a pas la moindre idée de l'histoire, de la vision du monde, des religions et des mythes arabes ni des traumatismes qui déterminent les comportements arabes, sans parler de la lutte palestinienne. Il ne supporte pas ces aberrations primaires.
LA compréhension américaine d'Israël est apparemment bien meilleure. Mais pas réellement.
La moyenne des hommes politiques et des diplomates américains en connaissent un rayon sur les Juifs. Beaucoup d'entre eux sont juifs. Il semblerait que Kerry lui-même ait des racines juives. Son équipe de paix comprend de nombreux Juifs, même des sionistes, dont le responsable actuel des négociations, Martin Indyk, qui a travaillé dans le passé pour l'AIPAC. Sont nom lui-même est Yiddish (et signifie dindon).
On suppose que les Israéliens ne sont pas très différents des Juifs américains. Mais c'est totalement faux. Israël peut bien se proclamer “l'État-Nation du Peuple Juif”, mais ce n'est qu'un instrument pour exploiter la diaspora juive et mettre des obstacles au “processus de paix”. En réalité il y a très peu de ressemblance entre les Israéliens et la diaspora juive, guère plus qu'entre un Allemand et un Japonais.
Martin Indyk peut bien éprouver des affinités avec Tzipi Livni, la fille d'un combattant de l'Irgoun (ou d'un “terroriste” selon les Britanniques), mais c'est une illusion. Les mythes et les traumatismes qui ont formé Tzipi sont très différents de ceux qui ont formé Martin, éduqué en Australie.
Si Barack Obama et Kerry en savaient davantage, ils auraient pris conscience depuis le début que la situation politique israélienne actuelle rend tout à fait impossible toute évacuation israélienne des colonies, tout retrait de la Cisjordanie et tout compromis sur Jérusalem.
TOUTCELA est vrai pour la partie palestinienne, aussi.
Les Palestiniens ont la conviction de connaître Israël. Après tout, ils sont sous occupation israélienne depuis des décennies. Beaucoup ont passé des années dans les prisons israéliennes et s'expriment parfaitement en hébreu. Mais ils ont commis des erreurs dans leurs relations avec les Israéliens.
La dernière était de croire qu'Israël libérerait le quatrième contingent de prisonniers. Cela était presque impossible. Tous les médias israéliens, y compris les modérés, parlent de la libération de “meurtriers palestiniens”, pas de militants ou de combattants palestiniens. Les partis de droite rivalisent entre eux, et avec les “victimes de la terreur”à droite, pour dénoncer ce scandale.
Les Israéliens ne comprennent pas la profondeur des émotions produites par la non-libération des prisonniers – les héros nationaux du peuple palestinien, bien qu'Israël lui-même ait échangé dans le passé un millier de prisonniers arabes contre un seul Israélien, citant le commandement religieux juif de “rachat des prisonniers”.
On a dit que les Israéliens vendent toujours une “concession” trois fois : une fois lors de sa promesse, une fois en signant un accord officiel à son sujet et une troisième fois lors de la tenue effective de l'engagement. C'est ce qui s'est produit lorsque le temps était venu d'effectuer le troisième retrait de Cisjordanie prévu dans les Accords d'Oslo, retrait qui ne s'est jamais effectué.
Les Palestiniens ne savent rien de l'histoire juive telle qu'elle est enseignée dans les écoles israéliennes, très peu de choses sur l'Holocauste, et encore moins sur les racines du sionisme.
LESNÉGOCIATIONSRÉCENTES ont débuté en tant que “pourparlers de paix”, se sont poursuivies sur un “cadre” pour la poursuite de négociations et maintenant les pourparlers ont dégénéré en pourparlers à propos de pourparlers à propos de pourparlers.
Personne n'a envie de mettre fin à la farce, parce que les trois parties ont peur de l'alternative.
La partie américaine a peur d'une attaque générale du bulldozer siono-évangélico-républicano-Adelsonien sur l'administration Obama lors des prochaines élections. Déjà le Département d'État tente frénétiquement de prendre ses distances avec le “pouf” de Kerry. Il n'a pas voulu dire qu'Israël était le seul à blâmer, fait-il valoir, la faute incombe aux deux parties. Le geôlier et le prisonnier sont également blâmables.
Comme d'habitude, le gouvernement israélien nourrit de nombreuses craintes. Il craint l'explosion d'une troisième intifada, doublée d'une campagne mondiale de délégitimation et de boycott d'Israël, particulièrement en Europe.
Il craint aussi que les Nations unies, qui reconnaissent actuellement la Palestine seulement comme État non-membre, continuent de rechercher de plus en plus l'amélioration de ce statut.
La direction palestinienne, elle aussi, a peur d'une troisième intifada qui pourrait conduire à un soulèvement sanglant. Bien que tous les Palestiniens parlent d'une “intifada non-violente”, bien peu y croient vraiment. Ils se souviennent que la dernière intifada aussi avait démarré de façon non-violente, mais que l'armée israélienne avait réagi en déployant des snipers pour tuer les meneurs des manifestations, et une recrudescence des attentats-suicides était devenue inévitable.
Le président Mahmoud Abbas (Abou Mazen) a réagi à la non-libération des prisonniers, qui constituait une humiliation personnelle, par la signature des documents nécessaires pour la participation l'État Palestinien à15 conventions internationales. Le gouvernement israélien a explosé de colère. Comment osent-ils ?
En pratique, cet acte a peu de signification. L'une des signatures signifie que la Palestine adhère à la Convention de Genève, une autre concerne la protection des enfants. Ne devrions-nous pas nous en féliciter ? Mais le gouvernement israélien craint que cela ne soit un pas de plus vers la reconnaissance de la Palestine comme membre de la Cour Pénale Internationale, et vers l'inculpation d'Israéliens pour crimes de guerre.
Abbas prépare aussi des démarches de réconciliation avec le Hamas et la tenue d'élections palestiniennes, pour renforcer sa position intérieure.
SIVOUSétiez le pauvre John Kerry, que diriez-vous de tout cela ? “Pouf” semble vraiment le minimum.
Article écrit en hébreu et en anglais, publié sur le site de Gush Shalom le 12 avril 2014 – Traduit de l'anglais « In One Word : Poof ! » pour l'AFPS : FL