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Des mots, des mots, des mots

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Ima­ginons qu'une guerre éclate entre Israël et la Jor­danie. En deux ou trois jours l'armée israé­lienne occupe la totalité du ter­ri­toire du Royaume hachémite. Quelle est la pre­mière action de l'autorité d'occupation ?

Installer une colonie à Pétra ? Exproprier des terres près d'Aqaba ?

Non. La toute pre­mière chose sera de décréter que le ter­ri­toire sera doré­navant connu sous le nom de “Galaad et Moab”.

Tous les médias auront ordre d'utiliser le nom biblique. Tous les docu­ments du gou­ver­nement et de la justice l'adopteront. À l'exception de la gauche radicale, per­sonne ne fera plus état de la Jor­danie. Toutes les requêtes des habi­tants devront être adressées au gou­ver­nement mili­taire de Galaad et Moab.

POURQUOI ? PARCEQUE l'annexion commence par des mots.

Les mots véhi­culent des idées. Les mots ins­crivent des concepts dans l'esprit de ceux qui les entendent et de ceux qui les pro­noncent. Une fois qu'ils sont soli­dement implantés, tout le reste suit.

Les auteurs de la Bible savaient déjà cela. Ils ensei­gnaient que “ La mort et la vie dépendent du langage, qui l'affectionne pourra manger de son fruit.” Depuis combien d'années main­tenant mangeons-​​nous le fruit de “Judée et Samarie” ?

Lorsque Vla­dimir Poutine a repris la semaine der­nière l'ancien nom de “Nou­velle Russie” pour le ter­ri­toire de l'est de l'Ukraine, il ne s'agissait pas d'un simple chan­gement séman­tique. Il s'agissait d'une reven­di­cation d'annexion, plus puis­sante qu'une salve de coups de canon.

RÉCEMMENT j'ai écouté un dis­cours d'une femme poli­tique de gauche, et j'ai été gêné lorsqu'elle a parlé en long et en large de son combat pour un “accord poli­tique” avec les Palestiniens.

Lorsque je le lui en ai fait le reproche, elle s'est excusée. Elle s'était mal exprimée. Ce n'était pas ce qu'elle voulait dire.

En poli­tique israé­lienne, le mot “paix” est devenu un poison. “Accord poli­tique” est devenu le mot en vogue. Il vou­drait dire la même chose. Mais ce n'est évi­demment pas le cas

“La paix” signifie beaucoup plus que la fin for­melle de la guerre. Il com­porte des élé­ments de récon­ci­liation, une part de spi­rituel. En hébreu et en arabe, shalom/​salaam implique bien-​​être, sécurité et sert de formule de salu­tation. “accord poli­tique” n'a d'autre signi­fi­cation que celle de document établi par des juristes et signé par des hommes politiques.

La “Paix de West­phalie” mit fin à30 ans de guerre et changea la vie de l'Europe. On peut se demander si un “accord poli­tique de West­phalie” aurait produit le même effet.

La Bible nous enjoint : “Recherche la paix et poursuis-​​la !” (Psaumes 34, 15). Elle ne dit pas “Recherche un accord poli­tique et poursuis-​​le.”

Lorsque la gauche israé­lienne aban­donne le mot Paix, ce n'est pas une retraite tac­tique. C'est une déroute. La paix est une vision, un idéal poli­tique, un com­man­dement reli­gieux, une idée enthou­sias­mante. Un accord poli­tique est un objet de discussion.

LAPAIX N'EST pas la seule victime du ter­ro­risme séman­tique. La Cis­jor­danie en est, bien sûr, une autre.

Toutes les chaînes de télé­vision ont reçu du gou­ver­nement l'ordre de ne pas uti­liser cette appel­lation. La plupart des jour­na­listes de la presse écrite leur emboitent aussi le pas. Ils l'appellent “Judée et Samarie”.

“Judée et Samarie” signifie que le ter­ri­toire appar­tient à Israël, même si son annexion offi­cielle doit être dif­férée pour des raisons poli­tiques. “Cis­jor­danie” signifie qu'il s'agit d'un ter­ri­toire occupé.

En soi, il n'y a rien de sacré dans le mot “Cis­jor­danie”, adopté par le pouvoir jor­danien lorsqu'il incorpora cette région au nouveau royaume élargi. Cela se fit en secret avec la com­plicité de David Ben-​​Gourion, le Premier Ministre des débuts d'Israël, qui voulait effacer de la carte le nom de “Palestine”. La base légale en fut une confé­rence bidon de “notables” pales­ti­niens à Jéricho.

Le roi Abdallah de Jor­danie divisa son fief en Rive Orientale (du Jourdain) et Rive Occi­dentale (Cisjordanie).

Alors pourquoi voulons-​​nous abso­lument employer ce mot ? Parce qu'il exprime le fait qu'il ne s'agit pas d'une partie d'Israël, mais d'un ter­ri­toire arabe qui appar­tiendra – comme la Bande de Gaza – à l'État de Palestine lorsqu'adviendra la paix (pardon, un Accord Politique).

Jusqu'à présent, la bataille séman­tique demeure incer­taine. La plupart des Israé­liens parlent de la “Cis­jor­danie”. “Judée et Samarie” est resté, en langage courant, le domaine des colons.

LESCOLONS, naturellement, sont le sujet d'une bataille sémantique semblable.

En hébreu, il y a deux mots : Mit­na­halim et Mitya­shvim. Ils signi­fient essen­tiel­lement la même chose. Mais, dans le langage courant, les gens emploient Mit­na­halim pour désigner les colons des ter­ri­toires occupés et Mitya­shvim lorsqu'ils parlent des colons établis en Israël à pro­prement parler.

La bataille entre ces deux mots se poursuit quo­ti­dien­nement. C'est un combat pour ou contre la légi­timité de la colo­ni­sation au-​​delà de la Ligne Verte. Jusqu'à présent, notre parti semble avoir le dessus. La dis­tinction demeure intacte. Si quelqu'un emploie le mot (Mitya­shvim, il est auto­ma­ti­quement classé poli­ti­quement à droite.

La Ligne Verte elle-​​même est, bien entendu, le concept de la gauche. Elle dis­tingue clai­rement Israël à pro­prement parler des ter­ri­toires occupés. La couleur vient du fait que cette fron­tière – en réalité la ligne d'armistice de 1948-​​ a tou­jours figuré en vert sur les cartes. Jusqu'à…

Jusqu'à ce que le ministre du Travail (de gauche), Ygal Alon, décida que doré­navant la Ligne Verte ne serait plus indiquée sur aucune carte. D'après une vieille loi remontant au mandat bri­tan­nique, le gou­ver­nement détient le copy­right pour toutes les cartes imprimées dans le pays, et le ministre du Travail en avait la responsabilité.

Les choses demeu­rèrent en l'état jusqu'à une action de Gush Shalom contre le gou­ver­nement devant la Cour Suprême. Notre argument était que, du fait que des lois dif­fé­rentes s'appliquaient de part et d'autre de cette ligne, les citoyens devaient dis­poser d'une carte leur indi­quant quelle loi ils devaient res­pecter à un endroit donné. Le ministère céda et promit à la cour qu'il ferait imprimer des cartes où figu­rerait la Ligne Verte.

À défaut d'alternative, tous les Israé­liens emploient l'expression “Ligne Verte”. Bien que les gens de droite ne recon­naissent abso­lument pas cette ligne, ils n'ont pas inventé de mot de rem­pla­cement. Pendant quelque temps ils ont essayé l'expression “ligne de jonction”, mais cela n'a pas pris.

UNELIGNE entre quoi ? Dans les débuts de l'occupation, la question se posa du nom à donner aux régions qui venaient d'être conquises.

Nous autres du camp de la paix les avons appelées, natu­rel­lement, “ter­ri­toires occupés”. La droite les a appelées “ter­ri­toires libérés” et lancé le slogan “les ter­ri­toires libérés ne seront pas rendus”, une formule entraî­nante en hébreu. Le gou­ver­nement les a appelées “ter­ri­toire admi­nistrés” et plus tard “ter­ri­toires contestés”.

L'opinion publique se contenta d'opter pour “les ter­ri­toires” – et c'est l'expression uti­lisée aujourd'hui par tous ceux qui n'ont aucun souci de mettre l'accent sur leur conviction poli­tique chaque fois qu'il est question de ces régions.

CELASOULÈVE la question du mur.

Lorsque le gou­ver­nement décida de mettre en place un obs­tacle phy­sique entre Israël et les Ter­ri­toires Occupés – en partie pour des raisons d'expansion ter­ri­to­riale, en partie pour de vraies raisons de sécurité – il fallut un nom. Il est construit prin­ci­pa­lement sur des ter­ri­toires occupés, annexant en pra­tique des sur­faces impor­tantes. Il s'agit d'une bar­rière en pleine cam­pagne et d'un mur dans les zones construites. Alors nous avons sim­plement parlé du “Mur” ou de la “Bar­rière” et nous avons com­mencéà mani­fester toutes les semaines.

Le “Mur/​Barrière” est devenu odieux dans le monde entier. Alors l'armée a cherché un mot à réso­nance non-​​idéologique et a choisi “obs­tacle de sépa­ration”. Cependant, ce mot n'apparaît actuel­lement que dans les docu­ments officiels.

AVECQUI sommes-​​nous en train de négocier l'Accord Poli­tique ? Ah, voilà le hic.

Pendant des géné­ra­tions, le mou­vement sio­niste et l'État d'Israël ont nié l'existence même d'un peuple pales­tinien. Dans les accords d'Oslo de 1993, cette pré­tention stupide a été aban­donnée et nos avons reconnu l'OLP comme le “repré­sentant du peuple pales­tinien”. Mais il n'était pas fait mention de l'État pales­tinien, et jusqu'à ce jour notre gou­ver­nement a horreur des mots “État Pales­tinien” ou “État de Palestine”.

Encore aujourd'hui le mot “Pales­ti­niens” suscite un rejet conscient ou incons­cient. La plupart des com­men­ta­teurs parlent d'un accord poli­tique avec “nos voisins” – qui ne sont pas à leurs yeux les Égyp­tiens, les Jor­da­niens, les Syriens ou les Libanais, mais vous savez qui.

Dans les Accords d'Oslo, les négo­cia­teurs de l'OLP insis­taient pour que leur nouvel État-​​en-​​cours-​​de-​​contruction s'appelle “Autorité Nationale Pales­ti­nienne”. La partie israé­lienne s'est vigou­reu­sement opposée au mot “National”. Par consé­quent l'accord (en réalité une “Décla­ration de Prin­cipes”) l'appelle “Autorité Palestinienne”et les Pales­ti­niens eux-​​mêmes l'appellent “Autorité Nationale Pales­ti­nienne”. Les Pales­ti­niens qui ont besoin d'un trai­tement médical d'urgence dans des hôpitaux israé­liens sont refoulés s'ils pré­sentent des docu­ments finan­ciers portant la signature de l'“Autorité Nationale Palestinienne”.

C'ESTAINSIQUELE combat se poursuit sur le front séman­tique. Pour moi, l'élément vraiment crucial est le combat pour le mot Paix. Nous devons le remettre en position cen­trale dans notre voca­bu­laire. Clai­rement, d'une voix forte, fièrement.

Comme l'exprime l'hymne du mou­vement de la paix (écrit par Yankele Rotblit comme appel aux vivants de ceux qui sont tombés) :

“C'est pourquoi, chante un chant à la paix /​ Ne murmure pas une prière /​ Chante un chant à la paix /​ En un cri puissant !”

Article écrit en hébreu et en anglais, publié sur le site de Gush Shalom le 26 avril 2014 – Traduit de l'anglais « Words, Words, Words » pour l'AFPS : FL


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