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Quatre anciens responsables militaires israéliens, jugés depuis 2012 par contumace en Turquie, ont été condamnés lundi 26 mai par une cour criminelle d'Istanbul, qui a demandéà Interpol d'émettre un « bulletin rouge » pour leur arrestation. Ils étaient jugés pour leur implication en 2010 dans un assaut contre une flottille qui tentait de briser le blocus de la bande de Gaza. L'attaque contre le navire Mavi-Marmara avait coûté la vie à neuf militants turcs.
L'affaire du Mavi-Marmara avait ouvert une grave crise diplomatique entre Israël et la Turquie, qui entretenaient des relations de coopération assez étroites, notamment sur le plan militaire.
En mai 2013, un dégel a été amorcé. Les excuses présentées à la Turquie par le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, ont ouvert la voie à des négociations pour une normalisation de leurs relations.
Un accord entre les deux pays, prévoyant l'abandon des poursuites judiciaires en échange de compensations versées aux familles par Israël, était jugé imminent en mai.
L'assaut israélien contre le Mavi Marmara
- AP
A l'aube du 31 mai 2010, les commandos israéliens avaient abordé par hélicoptère et dans les eaux internationales le Mavi-Marmara, navire amiral d'une flottille internationale partie pour briser le blocus israélien de la bande de Gaza. Les commandos avaient ouvert le feu, tuant neuf militants et faisant de nombreux blessés.
Huit navires composaient la flottille, avec à leur bord plus de 700 personnes de 36 nationalités différentes. Ils transportaient également 10000 tonnes de vivres, médicaments, vêtements, maisons préfabriquées et aires de jeu pour enfants, notamment. La flottille avait été affrétée par l'ONG turque IHH (la Fondation d'aide humanitaire), une organisation islamique proche du gouvernement turc et du Hamas palestinien.
Une enquête israélienne conclut à la légalité de l'arraisonnement En janvier 2011, une commission israélienne chargée de statuer sur la conformité au droit international du blocus maritime de Gaza et de l'arraisonnement en avait sans surprise affirmé la légalité. Une enquête de l'ONU avait abouti en septembre 2011à des conclusions juridiques similaires, considérant le blocus comme une « mesure de sécurité légitime », mais dénonçant un recours à la force « excessif et déraisonnable » lors de l'assaut.
Un rapport officiel israélien, publié le 13 juin 2012, a toutefois critiqué la gestion du dossier par le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, pointant des « manquements significatifs dans le processus de prise de décision. »
La rupture des relations bilatérales
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Déjà tendues depuis l'opération israélienne « Plomb durci » dans la bande de Gaza (décembre 2008-janvier 2009), les relations entre la Turquie et Israël, alliés stratégiques depuis les années 1990, se sont brutalement dégradées après l'affaire du Mavi-Marmara. Tel-Aviv ayant refusé de présenter des excuses et d'indemniser les familles des neuf victimes.
Ankara a abaissé le niveau de sa représentation diplomatique en Israël, dont il a expulsé l'ambassadeur, et suspendu la coopération militaire en septembre 2011, après la publication de l'enquête de l'ONU.
Avant cette rupture, les autorités turques et israéliennes échangeaient des renseignements et procédaient à des manœuvres militaires conjointes. Les pilotes israéliens s'entraînaient notamment à des vols longs dans le ciel turc dans l'optique d'un éventuel recours à la force pour mettre fin au programme nucléaire iranien. Tel-Aviv a en outre été chargée d'importants projets de modernisation de l'armée turque.
Un procès par contumace devant la justice turque
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A la suite de plaintes déposées par les familles des victimes, le procès de quatre anciens chefs de l'armée israélienne accusés d'avoir ordonné l'assaut meurtrier contre le Mavi-Marmara s'est ouvert le 6 novembre 2012à Istanbul, en l'absence des accusés. Près de cinq cents personnes, dont une cinquantaine d'étrangers, ont demandéà se constituer partie civile.
Le ministère public turc a requis la prison à vie contre l'ex-chef d'état-major de l'armée israélienne Gabi Ashkenazi, les ex-chefs de la marine et de l'aviation Eliezer Alfred Marom et Avishai Levi, et l'ex-chef des services secrets Amos Yadlin. Les quatre hommes, aujourd'hui à la retraite, ont été inculpés en tant que « commanditaires de meurtres avec brutalité ou actes de cruauté». Une procédure dénoncée et qualifiée de « spectacle » par Israël.
La CPI ouvre un examen préliminaire sur des crimes contre l'humanité
La procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé le 14 mai 2013 l'ouverture d'un examen préliminaire portant sur des crimes contre l'humanité et crimes de guerre présumés commis par les forces israéliennes.
Mme Fatou Bensouda a précisé avoir été saisie de l'affaire par le gouvernement des Comores, un Etat partie au Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI, et par ailleurs pays auprès duquel était enregistré le Mavi-Marmara.
« Les actions des forces de défense israéliennes étaient la manifestation d'un plan ou d'une politique qui consistait à utiliser la violence afin de dissuader les flottilles humanitaires », ont soutenu les avocats des Comores, qualifiant ce plan de « délibéré». Ils ont en outre pointé du doigt les traitements « dégradants » et « inhumains » ainsi que les intimidations qu'ont subi, selon eux, les personnes interpellées par Israël.
Les conditions d'une normalisation
- AP/Charles Dharapak
Benyamin Nétanyahou et Barack Obama, en 2009à Washington. A la demande pressante du président américain, Barack Obama, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a présenté fin mars 2013, ses excuses à la Turquie lors d'un échange téléphonique avec le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan. Le dernier contact entre les deux chefs de gouvernement remontait à octobre 2011. L'instabilité qui règne dans la région, la guerre civile en Syrie et les inquiétudes suscitées par le programme nucléaire iranien ont accéléré le rapprochement entre les anciens alliés.
« Tous deux ont convenu de normaliser les relations entre les deux pays, y compris le retour des ambassadeurs », selon un communiqué officiel israélien. « Le premier ministre Nétanyahou a présenté ses excuses au peuple turc pour toute erreur ayant pu conduire à la perte de vies et accepté l'indemnisation » des victimes, assurant que « les résultats tragiques de la flottille du “Mavi-Marmara” n'étaient pas intentionnels », selon le texte. M. Erdogan a accepté ces excuses « au nom du peuple turc » et les deux dirigeants « sont convenus de la conclusion d'un accord pour une indemnisation » des familles des victimes, selon un communiqué de ses services.
Des négociations ont été ouvertes pour parvenir à un accord. La Turquie a émis trois conditions à la normalisation des relations bilatérales : des excuses israéliennes, des compensations financières pour les familles des neuf victimes et la levée du blocus sur la bande de Gaza.
En échange, Israël réclame que la Turquie renonce à poursuivre en justice les soldats et officiers impliqués dans l'interception de la flottille et veut une normalisation des relations entre les deux pays qui aille au-delà du simple retour des ambassadeurs.
Le 29 avril 2014, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé qu'un accord avait été trouvé sur les indemnisations. En février, le quotidien israélien Haaretz avait révélé que l'Etat hébreu a offert une enveloppe de 20 millions de dollars (environ 15 millions d'euros) pour les victimes turques.
Selon le journal israélien, l'argent ne sera pas versé directement aux familles des neuf morts et des blessés, mais déposé dans un fonds humanitaire et réparti aux victimes et à leur famille en fonction de critères bien définis.
M. Erdogan a également révélé qu'un accord avait été trouvé avec Israël sur un allégement du blocus sur la bande de Gaza – en lieu et place de la levée totale qu'il réclamait jusqu'alors –, et sur l'amélioration de la situation humanitaire dans le territoire palestinien.
En mars, le ministre de la défense israélien, Moshé Yaalon, a approuvé l'importation à Gaza de matériaux de BTP, d'équipements électriques, de télécommunications et de plomberie destinés à la construction d'un hôpital turc dans l'enclave palestinienne.
Le premier ministre turc a estimé que la normalisation des relations bilatérales était « une question de jours, de semaines ». Mi-mai, les commentateurs jugeaient imminente la signature d'un accord.
Vers un abandon des poursuites judiciaires ?
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Selon les termes des négociations, la Turquie s'est engagée à prendre les mesures légales nécessaires pour mettre un terme aux procédures judiciaires engagées contre les quatre anciens responsables militaires israéliens en échange de l'indemnisation des familles. La traduction de cet engagement dans un accord écrit implique également de restreindre le droit des particuliers à porter plainte devant la justice internationale.
Le 26 mai, l'IHH a rappelé qu'elle n'abandonnerait pas les poursuites judiciaires contre les militaires israéliens dans le cadre d'un éventuel accord d'indemnisation. Un des avocats des familles turques, Cihat Gokdemir, a par ailleurs affirmé que même si le Parlement turc ratifiait l'accord – une procédure requise pour qu'il acquière valeur internationale –, les poursuites ne pouvaient être abandonnées, aux termes des lois.
« En principe, le pouvoir judiciaire est indépendant et nous devons penser que la procédure judiciaire avancera indépendamment du processus diplomatique », a pour sa part commenté l'ancien ambassadeur Özdem Sanberk, représentant la Turquie au sein d'une commission d'enquête mise en place par l'ONU sur l'affaire.
Publié par Le Monde