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Le pape au Proche-​​Orient : un diable d'homme. Retour sur une visite

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Le pape François, le pré­sident israélien Shimon Pérès et le pré­sident pales­tinien Mahmoud Abbas ont prié ensemble pour la paix dimanche 8 juin au soir. Cette ren­contre est le résultat de la visite du pape en Terre sainte, durant laquelle il a navigué au plus près entre obli­ga­tions diplo­ma­tiques et reli­gieuses et volonté d'exprimer ses vues sur le conflit et l'occupation de la Palestine.

Les pour­parlers de paix entre Israé­liens et Pales­ti­niens viennent, une fois de plus d'échouer ; la com­mu­nauté chré­tienne de Palestine connaît un déclin inexo­rable ; les chré­tiens arabes d'Israël sont incités par Tel-​​Aviv à accepter des avan­tages qui les dif­fé­ren­cieront, quant à leurs droits, des autres Pales­ti­niens d'Israël ; la construction de nou­velles colonies dans les ter­ri­toires pales­ti­niens a été confirmée. C'est dans ce contexte que le pape François [1] a effectué une visite en Jor­danie, Palestine et Israël du 24 au 26 mai dernier. Si ses tri­bu­la­tions n'ont pas eu la signi­fi­cation poli­tique qui était attendue, leur dosage n'a pas été exac­tement le même en Israël et en Palestine. Et le pape a même fait montre d'originalité.

Le Proche-​​Orient n'est pas le seul lieu où idéo­logies poli­tiques et croyances reli­gieuses sont inti­mement liées. Mais c'est là que les reven­di­ca­tions reli­gieuses et les posi­tions natio­na­listes se mêlent ou s'affrontent de la façon la plus paroxys­tique et la plus per­ni­cieuse. Nulle « bar­rière de sépa­ration » n'y dis­tingue ce qui relève du domaine privé et ce que reven­dique le domaine public. Le politico-​​militaire s'alimente du reli­gieux. Le reli­gieux fait de la poli­tique ou s'en affranchit en prenant sa place. Les miracles n'ont plus cours. C'est regret­table. Peut-​​être auraient-​​ils pu convaincre les poli­tiques et les reli­gieux à s'engager dif­fé­remment pour la paix entre les peuples.

C'est dans ces chemins mille fois par­courus que le pape François a mis ses pas. Que pouvait-​​il pro­poser de plus que ses trois pré­dé­ces­seurs, dont on a aussi attendu qu'ils trans­cendent le reli­gieux ? [2]

En terres « ceintes »

Aller direc­tement de Jor­danie en Palestine sem­blera anodin pour ceux qui ne connaissent la région qu'au travers d'une carte géo­gra­phique. Après tout, les deux pays sont fron­ta­liers. Mais c'est ignorer la pré­sence, entre eux, de l'armée israé­lienne qui autorise ou interdit le passage d'un pays à l'autre. En choi­sissant d'atteindre direc­tement le ter­ri­toire pales­tinien, le pape François a «échappé» au contrôle mili­taire israélien. La signi­fi­cation est claire : la Palestine est un État « indé­pendant ». On doit pouvoir s'y rendre sans sol­li­citer l'autorisation de son occupant. Le pape a d'ailleurs pris soin de confirmer les posi­tions du Vatican sur la question de Palestine : la solution au conflit passe par la pleine recon­nais­sance des droits et des aspi­ra­tions du peuple pales­tinien, par le respect de la légalité inter­na­tionale et des réso­lu­tions du Conseil de sécurité des Nations unies. Il a redit que les colonies et le mur de sépa­ration étaient des obs­tacles à la coha­bi­tation des deux peuples. « La Terre sainte n'a pas besoin de murs mais de ponts. » L'offre du pape François aux pré­si­dents israélien et pales­tinien à venir ensemble prier « dans sa maison de Rome » le dimanche 8 juin a étonné mais a été acceptée par Mahmoud Abbas et Shimon Pérès [3].

Ce jésuite qui se pré­sente comme un homme de terrain, peu sou­cieux de porter la mitre sertie d'or ou la tiare cou­ronnée de pierres pré­cieuses, n'a pas manqué d'approcher les plus démunis des Pales­ti­niens. Il a pris un repas avec des familles affectées par le conflit et visité deux camps de réfugiés pales­ti­niens : Dheisheh [4] et Aida [5] où il a su émouvoir. Son parler vrai a donné le sen­timent qu'il était en adé­quation avec les attentes popu­laires pales­ti­niennes. Le pape François n'est pas le pape de tous les éclats. Ses dis­cours sont directs et dis­crets, au point de le faire res­sembler parfois aux pré­di­ca­teurs laïcs que ses pré­dé­ces­seurs ont régu­liè­rement frappés d'interdit.

Son geste le plus spec­ta­cu­laire aura été sa visite sur­prise à Bethléem près du mur de sépa­ration qui coupe désormais la ville de la zone qui s'étend jusqu'à Jéru­salem quelques kilo­mètres plus loin. Le pape y a prié comme s'il s'agissait d'un lieu où l'on vient tra­di­tion­nel­lement sol­li­citer une man­suétude divine, dans la posture qu'il a ensuite adoptée au mur des Lamen­ta­tions. À n'en pas douter, c'est cette image qui sera retenue lorsque sera évoqué le premier voyage du pape François en Terre sainte. Le conten­tement que cette visite a suscité du côté pales­tinien n'a évi­demment pas eu le même écho en Israël.

Donnant-​​donnant

Cette halte devant un ouvrage pré­senté comme un moyen de pré­vention contre la vio­lence pales­ti­nienne a aus­sitôt été rééqui­librée, du côté israélien, par une visite impromptue, à Jéru­salem, au Mémorial pour les vic­times du ter­ro­risme et à la tombe du fon­dateur du sio­nisme, Theodor Herlz. Le premier ministre Benyamin Néta­nyahou aurait exigé cette étape non prévue, jugeant que la visite au mur de sépa­ration était un cadeau média­tique de trop de poids offert aux Pales­ti­niens (Eran Lerman, chef adjoint du Conseil national de sécurité, a même considéré que l'initiative papale valait « ten­tative d'incitation »à la vio­lence). Cela méritait com­pen­sation. La visite au Mémorial et au Mont Herzl a été le prix du dédom­ma­gement. Péda­gogue, le premier ministre a expliqué que le mur de sépa­ration était une nécessité pro­vi­soire que jus­ti­fiait la vio­lence des Pales­ti­niens. Adepte de l'amalgame, il n'a pas manqué de men­tionner la fusillade inter­venue au même moment dans le musée juif de Bruxelles [6]. Savant, il a avancé devant le pape que Jésus parlait l'hébreu, alors qu'il aurait été plus juste de dire que sa langue mater­nelle était l'araméen mais qu'il lisait l'hébreu, ce que le pape n'a pas manqué de lui rétorquer.

Dans ses entre­tiens avec les res­pon­sables israé­liens (le pré­sident Pérès, le premier ministre Néta­nyahou, des res­pon­sables reli­gieux) le pape a parlé, sans sur­prise, de paix, de la nécessité de renoncer à la vio­lence, de rejeter l'antisémitisme, de donner un libre accès à tous les lieux saints et de faire cesser les dis­cri­mi­na­tions à l'égard des chré­tiens d'Orient. Il n'est pas douteux qu'il pensait autant aux chré­tiens arabes d'Israël qu'aux chré­tiens arabes d'une autre citoyenneté [7].

Modération politique

Le pape a soutenu la reprise des négo­cia­tions pour aboutir à l'émergence d'un État pales­tinien à un moment où la défiance à l'égard du « pro­cessus de paix » est plus grande que jamais. Mais il a pris soin de n'offrir aucune piste poli­tique, donnant le sen­timent que sa mission n'était que spi­ri­tuelle [8]. Sa ligne diplo­ma­tique était balisée. Il l'a res­pectée. Ses propos étaient conformes à la légalité inter­na­tionale et aux habi­tuelles posi­tions diplo­ma­tiques du Vatican. [9]. Leur absence aurait été perçue comme un sacrilège poli­tique et une inflexion de la diplo­matie du Vatican. On ne peut tou­tefois s'empêcher de per­cevoir de la ruse dans l'action du pape. Il connaît si bien son bré­viaire diplo­ma­tique qu'il improvise sans cesse, jusqu'au moment où il sait pouvoir sur­prendre. La halte au mur est cer­tai­nement l'illustration de sa capacitéà inter­venir à la dérobée dans le jeu diplomatique.

L'officiel qui se rend en Palestine et/​ou en Israël sait qu'il aura à franchir plu­sieurs obs­tacles. Soit il est suf­fi­samment habile pour sortir sans drame d'un par­cours poli­ti­quement miné, soit il ne peut, ou ne veut, éviter les écueils qui auront été dressés devant lui. La déam­bu­lation de Jacques Chirac dans la vieille ville de Jéru­salem, en 1996, est l'exemple-type d'une visite offi­cielle chargée de lourdes signi­fi­ca­tions poli­tiques.]]. Le pape François n'a pas commis d'impair. Ses décla­ra­tions n'ont pas suscité de rejet. Il est vrai qu'il a pu béné­ficier des expli­ca­tions données aux médias par l'un de ses amis d'Argentine, le rabbin Avraham Skorka, qui a su dépouiller ses gestes et ses propos de toutes leurs aspé­rités réelles ou res­senties. Avec habileté, le rabbin Skorka a « dépo­litisé» la visite au mur à Bethléem en affirmant qu'« il n'a fait que prier pour qu'advienne le moment où il sera pos­sible d'abattre le mur » et apaisé l'opinion publique israé­lienne sur le sens et la portée de la visite du pape [10]

Relative indifférence populaire en Israël

Hormis quelques mani­fes­ta­tions d'extrémistes reli­gieux contestant la visite, la popu­lation israé­lienne a marqué peu d'intérêt pour son dépla­cement. Une sym­pathie de bon aloi était tou­tefois pal­pable, contrastant avec la méfiance qui avait entouré la venue de Benoît XVI, son pré­dé­cesseur, dont chacun savait qu'il avait appartenu aux Jeu­nesses hit­lé­riennes, même s'il n'en avait été qu'un « membre obligé», dif­férent donc de ceux qui étaient volontaires.

D'un point de vue poli­tique, le dépla­cement du pape François n'ajoutera rien à la panoplie des solu­tions dis­po­nibles pour résoudre le conflit israélo-​​palestinien. Il serait vain d'attendre de la prière conjointe, à Rome, de Mahmoud Abbas et de Shimon Pérès qu'elle revi­vifie un quel­conque désir de négo­cia­tions selon la formule d'Oslo. Leur souffle est éteint depuis long­temps. Elle ne pourra même pas faire changer d'avis ceux qui, en Israël, jugent qu'Abbas n'est pas un par­te­naire de paix qui n'acceptera jamais de recon­naître la légi­timité de l'État d'Israël.

En défi­nitive, le séjour du pape François en Terre sainte a surtout contribuéà pré­ciser les contours de ce que l'on savait déjà de lui. Clas­sique par le naturel de son com­por­tement, par la sim­plicité de ses propos, doté d'un réel sens de l'humain, le pape possède un cha­risme empreint de retenue. Dénigré par les tra­di­tio­na­listes qui dénoncent son moder­nisme et cri­tiqué par les conser­va­teurs popu­listes (comme ceux du Tea Party amé­ricain) le pape François a toutes les qua­lités pour titiller diplo­mates et politiques.


[1] « Le Car­dinal Jorge Mario Ber­goglio, jésuite et ori­gi­naire d'Argentine, a étéélu pape mer­credi 13 mars 2013. Il a choisi le nom de François et a été ins­tallé mardi 19 mars 2013, place Saint-​​​​Pierre à Rome. »http://​www​.eglise​.catho​lique​.fr/act…

[2] La visite du pape François était la qua­trième visite d'un chef de l'Église catho­lique romaine en Terre sainte après Paul VI en 1964, Jean-​​​​Paul II en 2000 et Benoît XVI en 2009

[3] Shimon Pérès devrait quitter ses fonc­tions pré­si­den­tielles cet été

[4] Le camp de réfugiés pales­ti­niens de Dheisheh est situé au sud de Bethléem. Ses rési­dents avaient pro­testé contre la venue à Bethléem du pré­sident Barack Obama en mars 2013. L'article de Mouna Hamzeh-​​​​Muhaisen, « Jours ordi­naires dans le camp de Dheisheh », paru dans Le Monde Diplo­ma­tique de novembre 2000 montre que rien n'y a changé depuis des décennies.

[5] Le camp est situé au nord de Bethléem. Il a été créé en 1950. De dimension réduite, 200 x 400m, il abrite environ 5000 réfugiés.

[6] « Fusillade mor­telle : la police fédérale publie les photos de l'auteur », La Libre Bel­gique, 24 mai 2014.

[7] Les Israé­liens arabes chré­tiens — les Pales­ti­niens chré­tiens d'Israël — sont actuel­lement l'objet de la sol­li­citude des auto­rités israé­liennes. Cer­tains res­pon­sables poli­tiques israé­liens militent pour qu'une plus grande dis­tinction soit faite entre eux et les Pales­ti­niens d'Israël. C'est notamment le cas de Yariv Levin, membre du Par­lement. Un amen­dement de la loi sur l'égalité des chances vient de passer en ce sens. Cer­tains militent même pour que les Israé­liens chré­tiens puissent intégrer les rangs de l'armée.

[8] Sébastien Maillard, « En Terre sainte, le pape François a fait de la poli­tique, en reli­gieux », La Croix, 27 mai 2014.

[9] En 2012, le Vatican a endossé la réso­lution de l'Assemblée générale des Nations unies accordant à l'Autorité pales­ti­nienne le statut « d'État non membre »

[10] Jeremy Sharon, « Rabbi Skorka : Pope didn't take sides in Mid East conflict », The Jeru­salem Post, 28 mai 2014.


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