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Confession d'un optimiste

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Le pes­si­misme est une attitude confor­table. Il vous permet même d'être méprisant avec les opti­mistes, qui luttent encore pour un monde meilleur.

JE SUIS un optimiste. Point.

Pas de si. Pas de mais. Pas de peut-​​être.

Il se peut que ce soit géné­tique. Mon père était un opti­miste. Même quand, à l'âge de 45 ans, il dut fuir son Alle­magne natale pour un petit pays pri­mitif du Moyen-​​Orient, son moral resta élevé. Il devait s'adapter à un nouveau pays, un climat chaud, un travail phy­si­quement dur et une misère noire, et il était heureux. Au moins avait-​​il sauvé sa femme et quatre enfants, dont j'étais le plus jeune.

Aujourd'hui, 64e anni­ver­saire de l'État d'Israël (selon le calen­drier hébraïque), je suis encore un optimiste.

IL Y A QUELQUE TEMPS, je suis tombé sur l'écrivain Amos Oz à un mariage et nous avons parlé de cette ori­gi­nalité, mon opti­misme. Il m'a dit qu'il était un pes­si­miste. Être pes­si­miste, disait-​​il est une situation gagnante-​​gagnante. Si les choses tourne au mieux, vous êtes heureux. Si les choses tournent au pire, vous êtes encore heureux, car vous avez eu raison depuis le début.

L'ennui avec le pes­si­misme, lui ai-​​je dit, c'est qu'il ne conduit nulle part. Le pes­si­misme vous enlève toute envie de faire quelque chose. Si les choses vont empirer de toute façon, à quoi bon ? Le pes­si­misme est une attitude confor­table. Il vous permet même d'être méprisant avec les opti­mistes, qui luttent encore pour un monde meilleur. L'optimisme est pour les naïfs.

Mais c'est exac­tement de cela qu'il s'agit. Seuls les opti­mistes peuvent se battre ? Si vous ne croyez pas en un monde meilleur, un pays meilleur, une société meilleure, vous ne pouvez pas lutter pour eux. Vous ne pouvez que vous asseoir dans votre fau­teuil devant la télé­vision, pestant en entendant les stu­pi­dités de l'espèce humaine, et en par­ti­culier de votre propre peuple, et vous sentir supérieur.

Chaque fois que j'avoue être un opti­miste, je suis considéré avec mépris. Est-​​ce que je ne vois ce qui se passe autour de moi ? Etait-​​ce l'État que vous ima­giniez le 14 mai 1948 quand vous écoutiez le dis­cours de Ben-​​Gourion à la radio et vous pré­pariez à la bataille nocturne ?

Non, je n'imaginais pas un État comme celui-​​ci. Mes cama­rades et moi envi­sa­gions un État très dif­férent. Et néan­moins je suis optimiste.

EN PARLANT de ceci, il me revient tou­jours à l'esprit un certain moment de ma vie.

C'était en octobre 1942, et le monde était ébranlé.

En Russie, les troupes nazies avaient atteint Sta­lingrad et le combat tita­nesque était engagé. Il n'y avait aucun doute que les Alle­mands pren­draient la ville et avanceraient.

Plus au sud, l'invincible Wehr­macht avait fait une percée au Caucase. De là, une ligne droite conduisait à travers la Turquie et la Syrie à la Palestine.

Le célèbre Africa Korps d'Erwin Rommel avait rompu les lignes bri­tan­niques et atteint le village égyptien d'El Alamein, à 106 km d'Alexandrie. Aller de là en Palestine était une question de jours.

Déjà un an aupa­ravant, les nazis avaient occupé la Crète dans la pre­mière invasion aéro­portée de l'Histoire.

Pour celui qui regardait une carte, la situation était claire. Du nord, de l'ouest et du sud, le colosse mili­taire nazi avançait inexo­ra­blement vers la Palestine, avec l'objectif d'y détruire le semi-​​État juif. L'antisémitisme fou d'Adolf Hitler n'aboutissait à aucune autre conclusion.

Nos maîtres bri­tan­niques pen­saient aussi évidemment la même chose. Ils avaient déjà envoyé leurs femmes et enfants en Irak. Eux-​​mêmes, disait-​​on, étaient assis sur leurs valises, prêts à s'enfuir à la pre­mière alerte d'une percée alle­mande en Égypte.

La Hagana, notre prin­cipale orga­ni­sation mili­taire secrète, faisait des pré­pa­ratifs fré­né­tiques. Comme les héros de Massada il y a quelque 1900 ans, qui se sui­ci­dèrent col­lec­ti­vement plutôt que de tomber entre les mains des Romains, nos com­bat­tants se ras­sem­ble­raient sur le Mont Carmel, là ils com­bat­traient et ven­draient leur vie chè­rement. Je venais juste d'avoir 19 ans, et vivais à Tel-​​Aviv, une ville que per­sonne n'envisageait même de défendre. Nous savions que c'était la fin.

Après la fin de la guerre avec l'effondrement total de l'Allemagne nazie, beaucoup de livres sur le dérou­lement de la guerre appa­rurent. Il en res­sortait que la crise déses­pérée d'octobre 1942 n'existait que dans nos imaginations.

L'invasion aéro­portée de la Crète, loin d'être une brillante vic­toire, fut en réalité un désastre. Les pertes alle­mandes étaient si élevées qu'Hitler interdit toute répé­tition. Ne le sachant pas, les Bri­tan­niques lan­cèrent vers la fin de la guerre leur propre opé­ration aéro­portée en Hol­lande qui fut aussi un désastre total.

Les troupes alle­mandes qui avaient atteint le Caucase étaient tota­lement épuisées et ne pou­vaient plus avancer vers le sud. De la loin­taine Palestine ils ne pou­vaient pas même rêver.

Et, le plus important pour nous, Rommel avait atteint El Alamein avec ses der­nières gouttes d'essence. Hitler, qui consi­dérait toute la cam­pagne nord-​​africaine comme une trop coû­teuse diversion du prin­cipal effort de guerre – la Russie – refusait d'y gas­piller ses rares réserves d'essence. Il se fichait bien de la Palestine. (Même dans le cas contraire, il n'y avait aucune pos­si­bilité d'obtenir de l'essence à travers la Médi­ter­ranée. Les Bri­tan­niques avaient déchiffré le code naval italien et ils connais­saient chaque bateau qui quittait un port italien.)

La morale de l'histoire : Même au milieu d'une situation com­plè­tement déses­pérée, on ne connaît pas suf­fi­samment les faits pour perdre l'espoir.

MAIS ON N'A pas besoin de revenir 70 ans en arrière. Il suffit de regarder les événe­ments récents.

Est-​​ce que l'un quel­conque d'entre nous croyait il y a un an que l'indifférente, “je m'en fou­tiste” jeu­nesse de notre pays se sou­lè­verait soudain dans un mou­vement social sans pré­cédent ? Si quelqu'un avait dit ceci une semaine avant sa sur­venue, il aurait été tourné en ridicule.

La même chose serait arrivée à qui­conque au début de l'année der­nière aurait prédit que les Égyp­tiens (tous les Égyp­tiens !) se sou­lè­ve­raient et chas­se­raient leur dic­tateur. Un prin­temps arabe ? Ha-​​ha-​​ha !

Quand il m'arrive de donner une confé­rence en Alle­magne, je demande tou­jours : “Si l'un d'entre vous croyait la veille du jour où c'est arrivé que le mur de Berlin tom­berait au cours de sa vie – s'il vous plait levez la main…” Je n'ai jamais vu une main se lever.

Et le plus grand événement de tous, l'implosion de l'Union sovié­tique – qui l'a vu venir ? Ni les États-​​Unis, avec leur énorme appareil de ren­sei­gnement mul­ti­mil­liar­daire. Ni notre Mossad, avec ses nom­breux col­la­bo­ra­teurs juifs soviétiques.

Aucun d'eux n'avait non plus prévu la révolution iranienne qui chassa le shah.

On peut dire la même chose des nom­breuses catas­trophes pro­vo­quées de la main de l'homme sur­venues au cours de ma vie ; de l'Holocauste à Hiroshima.

QUE CELA prouve-​​t-​​il ? Rien, sinon que rien ne peut être prévu avec cer­titude. Les événe­ments humains sont façonnés par des êtres humains, les êtres humains façonnent les événe­ments humains. Cela peut être une bonne raison pour le pes­si­misme, mais aussi pour l'optimisme.

Nous pouvons empêcher les désastres. Nous pouvons amener un avenir meilleur. Et pour cela nous avons besoin d'optimistes qui croient que cela peut être fait. De beaucoup d'optimistes.

Le jour du 64e anni­ver­saire de l'Indépendance, la situation semble sombre. La paix est un gros mot ; La plupart des Israé­liens disent : “La paix serait mer­veilleuse. Je payerais n'importe quel prix pour la paix. Mais mal­heu­reu­sement la paix est impos­sible. Les Arabes ne nous accep­teront jamais. Donc la guerre existera toujours.”

C'est un pes­si­misme très commode, nous dis­pensant de toute culpa­bilité, nous per­mettant de ne rien faire.

La “solution des deux États”, la seule vraie solution, est en train de s'éloigner de notre horizon. Le régime d'apartheid qui est déjà établi dans le ter­ri­toire pales­tinien occupé est en train de se répandre en Israël même. Dans quelques années nous aurons un apar­theid à part entière dans toute la Palestine his­to­rique, avec une minorité juive traitant de haut une majorité arabe palestinienne.

Dans l'hypothèse impro­bable où Israël serait obligé d'accorder les droits civils aux Pales­ti­niens, l'État juif dans tout le pays his­to­rique devien­drait rapi­dement un État arabe dans tout le pays historique.

Les États-​​Unis, le seul allié qui reste à Israël, est en déclin, len­tement et sûrement. La puis­sance émer­gente, la Chine, n'a aucun sou­venir de l'Holocauste.

L'inégalité sociale est ram­pante en Israël, plus que dans tous les pays déve­loppés. Cela est aussi loin que pos­sible des idéaux de l'Israël du début.

Les fon­de­ments démo­cra­tiques de la “seule démo­cratie du Moyen-​​Orient” sont ébranlés. La Cour suprême est sous un siège tenace d'un gang de semi-​​fascistes niché dans notre gou­ver­nement ; la knesset en en train de devenir une triste cari­cature de Par­lement ; Les télé­vi­sions et les médias papier deviennent len­tement mais sûrement des Geich­schaltung (désolé, il n'y a pas de mot équi­valent en anglais)1

Cette situation peut-​​elle empirer ? Dans ma longue vie, j'ai appris qu'aucune situation n'est si mau­vaise qu'elle ne puisse empirer. Et aucun leader n'est si détes­table que son suc­cesseur ne puisse l'être encore plus

Cela dit, il peut y avoir de puis­santes forces au travail, qu'on ne voit pas et qu'on ignore, qui chan­geront les choses pour le meilleur. C'est comme une digue sur une rivière. Der­rière elle, l'eau monte, silen­cieu­sement, sans être remarquée. Un jour la digue saute, très sou­dai­nement, et l'eau sub­merge le paysage.

Ceci n'arrivera pas sans que nous jouions notre rôle. Ce que nous faisons, ou ne faisons pas, fait partie du chan­gement de scé­nario. Espérer et croire n'est pas suf­fisant. Faire et agir est essentiel.

Donc nous sommes là, les incorrigibles optimistes.

1 Ndt – …ni en français. Il signifie “mis au pas”

Article écrit en hébreu et en anglais, publié sur le site de Gush Shalom le 26 avril 2012 – Traduit de l'anglais "Confession of an Optimist" pour l'AFPS : SW


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