Pour la crédibilité du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et celle de son ministre de la défense, Ehoud Barak, il y aura sans doute un avant et un après 29 avril. Leur sévère mise en cause par Youval Diskin, ancien chef du Shin Bet, le service de renseignement intérieur, dont les propos ont été rapportés dimanche par la presse israélienne, va bien au-delà du débat politique sans fioritures à l'israélienne : à Washington et dans d'autres capitales, l'idée selon laquelle les propos très va-t-en-guerre contre l'Iran de MM. Nétanyahou et Barak émanent de personnalités "messianiques" va faire son chemin.
Car cette lourde charge, ce discrédit probablement sans précédent visant un premier ministre en exercice, n'est pas isolée : elle est à l'unisson des propos de Meir Dagan, ancien patron du Mossad, le service de renseignement extérieur, devenu le censeur féroce de M. Nétanyahou. Plus récemment, le général Benny Gantz, chef d'état-major des armées, a pris ses distances avec le ton belliciste adopté par le premier ministre, lequel contraste fort avec la prudence adoptée à la Maison Blanche s'agissant d'une attaque préventive contre l'Iran.
La critique tous azimuts de M. Diskin vise à démontrer que Benyamin Nétanyahou n'est pas fiable. "Je n'ai aucune confiance dans l'actuel leadership, qui doit nous conduire pendant des événements comme une guerre contre l'Iran ou une guerre régionale", assène celui qui a dirigé le Shin Bet de 2005 à 2011. "Je n'ai pas confiance en des hommes, insiste-t-il en parlant de MM. Nétanyahou et Barak, qui prennent des décisions sur la base de sentiments messianiques." Ils trompent le public sur la question iranienne, poursuit-il : "Ils disent que si Israël agit, l'Iran n'aura pas de bombe nucléaire. C'est faux. En réalité, bien des experts estiment qu'une attaque israélienne accélérera la course nucléaire de l'Iran."
L'hostilité de Youval Diskin à des frappes militaires préventives d'Israël n'est pas isolée. Il est de notoriété publique que, outre le général Benny Gantz, Tamir Pardo, actuel patron du Mossad, le général Aviv Kochavi, chef du renseignement militaire, et Yoram Cohen, chef du Shin Bet, ont les plus grandes réserves face à un tel scénario, et que le général Gabi Ashkenazi, prédécesseur du général Gantz, était sur la même longueur d'onde.
EFFET DES SANCTIONS INTERNATIONALES
La semaine dernière, le général Gantz s'était attiré une volée de bois vert de la part d'Ehoud Barak pour avoir estimé que les dirigeants de Téhéran étaient "des gens très rationnels" qui ne prendront probablement pas la décision de franchir les dernières étapes menant à une bombe nucléaire. En estimant que les sanctions internationales contre Téhéran commencent à agir, le général Gantz a pris le contre-pied des certitudes affichées par M. Barak, et surtout par Benyamin Nétanyahou, pour qui ceux qui refusent de voir la menace iranienne "n'ont rien appris de la Shoah".
C'est cette propension du premier ministre à faire un amalgame entre les régimes nazi et iranien -une "comparaison déplacée", selon le président israélien Shimon Pérès - qui lui vaut cette épithète de personnalité "messianique". Mais le procès en règle dressé par un homme dont l'entourage du premier ministre a immédiatement souligné la "frustration" et l'"irresponsabilité" est peut-être encore plus virulent et dommageable s'agissant des négociations avec les Palestiniens.
Depuis plus d'un an, M. Nétanyahou s'efforce de convaincre l'opinion israélienne et l'administration américaine que Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne, refuse de s'asseoir à la table des négociations. "Ne croyez plus les histoires qu'ils vous vendent selon lesquelles Abou Mazen ne veut pas parler", insiste Youval Diskin.
Le gouvernement israélien "ne parle pas aux Palestiniens parce qu'il n'éprouve aucun intérêt à leur parler. J'étais là jusqu'à il y a un an, je sais de quoi je parle : très vraisemblablement, [le gouvernement] n'éprouve aucun intérêt à résoudre quoi que ce soit avec les Palestiniens". Le premier ministre, explique-t-il, sait que s'il fait le moindre pas en avant, sa coalition éclatera, "c'est aussi simple que cela".
Pour dévastatrice qu'elle apparaisse, il est peu probable que la diatribe de M. Diskin parvienne, dans l'immédiat, à entamer la forte popularité de M. Nétanyahou et de son parti, le Likoud. Elle donne cependant des munitions à ses adversaires, qui se préparent à la perspective, de plus en plus probable, d'un avancement des élections parlementaires, prévues théoriquement en novembre 2013.
Publié par [www.lemonde.fr]