Après le rejet d'un projet légalisant des colonies, l'Etat juif accepte de nouvelles constructions
C'est une victoire en trompe-l'oeil que le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, vient de remporter sur le lobby des colons. Factuellement, c'est vrai, le projet de loi prévoyant de légaliser de façon rétroactive les petites implantations juives établies en Cisjordanie - souvent sur des terres privées palestiniennes - a été nettement repoussé, par 69 députés contre 22, mercredi 6 juin. Aucun ministre ne s'est désolidarisé du gouvernement, et pour cause : M. Nétanyahou avait annoncé que tout rebelle devrait renoncer à son poste.
Le premier ministre a-t-il " maté " à cette occasion les éléments les plus radicaux de sa majorité, dont la surenchère lui permet depuis trois ans d'expliquer à la communauté internationale que s'il ne se décide pas à faire des concessions pour relancer le processus de négociation avec les Palestiniens, c'est parce qu'il est prisonnier de ses extrémistes ?
Dans le quotidien Yediot Aharonot, Sima Kadmon assure que cette victoire " n'est pas seulement numérique : elle est aussi morale, parce qu'elle enseigne aux colons une leçon importante sur les limites de leur pouvoir ". L'éditorialiste aurait sans doute eu raison si le vote de la Knesset (le Parlement israélien) n'avait été immédiatement suivi de l'annonce de dispositions destinées à adoucir le dépit des colons, notamment une relance spectaculaire des constructions en Cisjordanie : le gouvernement va lancer plusieurs programmes de logement totalisant 851 unités.
Les promoteurs de la loi avaient pour souci immédiat d'empêcher l'éviction des 30 familles qui habitent la colonie d'Oulpana, près de Bet El, au nord-est de Ramallah. Ces habitations ont été construites sur des terres privées palestiniennes - à la suite d'une falsification des titres de propriété -, comme l'a reconnu la Cour suprême, qui a exigé l'éviction des colons qui y habitent avant le 1er juillet.
Ils le seront, mais en prenant des gants : ces cinq petits immeubles seront transplantés, un à un, par des grues et des camions, moins d'un kilomètre plus au sud, sur des terres publiques, à un coût estimé à près de 20 millions de shekels (4,12 millions d'euros). La raison : éviter à tout prix des images de bulldozers israéliens démolissant les maisons de colons israéliens ! A titre de compensation, 300 nouveaux logements vont être construits à Bet El, et 551 autres dans les " blocs de colonies " et ailleurs en Cisjordanie.
Protection juridique
M. Nétanyahou a annoncé qu'un comité ministériel, et non plus le seul ministre de la défense, Ehoud Barak, décidera dorénavant de l'approbation de nouveaux logements dans les colonies. Les colons en attendent une dilution de l'autorité de M. Barak. Enfin, le gouvernement va mettre au point un mécanisme permettant d'apporter aux colons une protection juridique face aux actions en justice des Palestiniens. Ces dispositions sont conformes à l'esprit de la déclaration du premier ministre, qui, le 3 juin, avait indiqué : " Pour tout logement que nous évacuons, nous construirons dix nouveaux logements. "
La décision de la Cour suprême sur l'illégalité d'Oulpana rendait très difficile le vote d'une loi rétroactive, risquant d'entraîner une condamnation unanime de la communauté internationale. M. Nétanyahou l'a d'autant plus compris qu'il dispose d'une majorité très élargie depuis l'entrée du parti Kadima (centre droit) dans sa coalition gouvernementale, qui lui permet, dans une certaine mesure, d'être moins dépendant du lobby des colons.
Enfin, le contexte international, et singulièrement la campagne présidentielle américaine, rendait possible une relance de la colonisation en toute impunité. Certes, les condamnations ont fusé de Washington, New York et Paris, mais, selon le quotidien Jerusalem Post, le gouvernement israélien est persuadé que cette mini-tempête internationale passera, comme les précédentes.
Publié par Le Monde