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Les Arabes d'Israël : une citoyenneté en conflit

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Salim Joubran, citoyen arabe et juge à la Cour suprême d'Israël, a pro­voqué une contro­verse en s'abstenant d'entonner l'hymne israélien au cours d'une céré­monie offi­cielle et en se contentant durant celui-​​ci de se lever. Pour l'extrême droite, ce silence a été perçu comme un acte de tra­hison. Le député David Rotem, pré­sident de la com­mission consti­tution, droit et justice de la Knesset, a demandé son limo­geage. Les citoyens pales­ti­niens d'Israël, au contraire, ont applaudi Joubran, seul juge arabe à la Cour suprême, pour ce qu'ils consi­dèrent comme un geste de défi à l'égard de cet important symbole étatique. Le premier ministre Neta­nyahou, pour sa part, l'a défendu avec autant de retenue que pos­sible. Il a dit com­prendre que Joubran demeure silen­cieux lorsque ses col­lègues chantent un hymne évoquant l'âme juive. Sans tou­tefois s'attaquer à la racine du pro­blème et au fait que l'hymne national devrait sans doute répondre aux aspi­ra­tions de tous, y compris des citoyens pales­ti­niens, afin qu'ils aient le désir de l'entonner eux aussi.

Les rela­tions entre la majorité juive et la minorité arabe en Israël n'ont cessé de se dété­riorer depuis 2000. La pre­mière perçoit la seconde comme le cheval de Troie de la résis­tance pales­ti­nienne, dont la crois­sance démo­gra­phique menace à terme la per­sis­tance d'une majorité juive en Israël Les Arabes d'Israël, vic­times d'inégalités écono­miques, sociales, cultu­relles et reli­gieuses, sont de plus en plus mar­gi­na­lisés et ont le sen­timent d'être des citoyens de seconde zone. Il leur est devenu très dif­ficile d'accepter un système perçu comme injuste, sen­timent qui ali­mente leur désir de favo­riser le chan­gement par la contestation.

Il n'existe pas de solution facile ou rapide. Israël doit prendre des mesures d'intégration pour éviter une radi­ca­li­sation. Sur le long terme, il est indis­pen­sable que la question qui a divisé les Juifs israé­liens et le mou­vement national pales­tinien depuis 1948, lors de l'établissement d'Israël et du dépla­cement de cen­taines de mil­liers de pales­ti­niens, soit résolue : quel est le caractère de l'Etat d'Israël, et de quels droits ses citoyens arabes doivent-​​ils bénéficier ?

Ces der­niers se tournent désormais vers l'extérieur, leurs voisins arabes et la com­mu­nauté inter­na­tionale, pour obtenir un soutien moral et poli­tique. Ils affirment ouver­tement leur identité pales­ti­nienne et expriment leur méfiance à l'égard de la vie poli­tique israé­lienne. Leur par­ti­ci­pation aux élec­tions s'est ainsi consi­dé­ra­blement affaiblie, et ceux qui se rendent encore aux urnes pré­fèrent accorder leur voix aux partis arabes plutôt qu'aux tra­di­tionnels partis sionistes.

Le rap­pro­chement entre les citoyens arabes et les ennemis de l'Etat a aggravé la méfiance de la majorité juive à l'égard d'une com­mu­nauté qu'elle perçoit comme une cin­quième colonne. Cette hos­tilité se mani­feste à travers des efforts légis­latifs visant à ren­forcer le caractère juif de l'Etat et les mul­tiples ten­ta­tives d'interdire les partis arabes. Ce qui pour la com­mu­nauté pales­ti­nienne est une lutte légitime pour ses droits est perçu en Israël comme un déni du natio­na­lisme juif. Ce qui est perçu par la majorité juive comme une com­plicité avec ses ennemis n'est pour les Pales­ti­niens d'Israël que l'expression d'affinités cultu­relles, reli­gieuses et lin­guis­tiques avec des "frères".

Ces res­sen­ti­ments sont ali­mentés par l'échec d'un pro­cessus de paix depuis long­temps au point mort. La question des Arabes israé­liens a long­temps été consi­dérée comme une affaire israé­lienne interne et l'inclusion de ce sujet dans les négo­cia­tions israélo-​​palestiniennes comme un facteur de com­plexité sup­plé­men­taire. Pourtant, ces deux ques­tions sont intrin­sè­quement liées : Israël exige que l'Organisation de la libé­ration de la Palestine (OLP) recon­naisse le caractère juif de l'Etat, ce qui aurait for­cément des impli­ca­tions pour la minorité arabe. Les diri­geants pales­ti­niens et israé­liens ne peuvent pas se per­mettre d'ignorer la situation de cette der­nière, dont le soutien à un accord de paix est indis­pen­sable pour satis­faire plei­nement les reven­di­ca­tions pales­ti­niennes et résoudre le conflit autour de l'identité d'Israël.

Un pro­cessus en trois étapes semble pos­sible. D'abord, une admi­nis­tration poli­tique plus juste – et plus démo­cra­tique – des droits des citoyens pales­ti­niens, donc une meilleure inté­gration dans le pays, pourrait apaiser les ten­sions. Quant à eux, les citoyens pales­ti­niens devraient éviter un dis­cours trop intran­si­geant, et recon­naître l'attachement his­to­rique du peuple juif à la terre d'Israël/Palestine historique.

Ensuite, l'ouverture d'un dia­logue d'abord intra-​​communautaire, puis inter­com­mu­nau­taire, pourrait leur per­mettre d'adopter une position claire sur leurs demandes res­pec­tives. Les Pales­ti­niens d'Israël, s'ils comptent obtenir l'égalité absolue, devront sûrement céder et recon­naître le droit du peuple juif à constituer la majorité nationale en Israël. En échange, le gou­ver­nement israélien pourrait leur accorder le statut de minorité nationale, qui leur confè­rerait des droits col­lectifs en tant que com­mu­nauté, aux­quels s'ajouteraient des droits indi­vi­duels inalié­nables. Enfin, dans le cadre d'une solution à deux Etats, les deux com­mu­nautés pour­raient dis­cuter des droits et devoirs de chacun et de la meilleure manière de les faire coexister.

La pers­pective de trouver un com­promis sur le caractère de l'Etat d'Israël reste néan­moins peu pro­bable alors que la solution à deux Etats s'éloigne. Pourtant, après des décennies de négo­cia­tions vaines et de dété­rio­ration des rela­tions inter­com­mu­nau­taires, existe-​​t-​​il une autre solution ?

Publié par Le Monde


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