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A Susiya, leurs bras et leur voix contre l'expulsion

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Susiya (Cis­jor­danie), envoyé spécial. Pour annexer des pans entiers de la Cis­jor­danie, le gou­ver­nement israélien envoie des avis de démo­lition des habi­ta­tions et des tentes tout en accé­lérant la colo­ni­sation. Reportage au sud d'Hébron, dans le village de Susiya.

Malgré ses quatre-​​vingt-​​cinq ans Hadj Khalil a gardé un regard d'enfant. Des yeux d'un bleu un peu délavé, tout ronds, qui scrutent le monde avec une curiosité tou­jours renou­velée. Pourtant, pour ce Pales­tinien de Susiya, dans le sud de la Cis­jor­danie, ce monde est tout ce qu'il y a de plus res­treint. À ses côtés, à l'ombre bien­fai­sante de sa tente qui doit beaucoup à la culture bédouine, dans le souffle refroidi du vent et au milieu du vol exas­pérant de cen­taines de mouches, on mesure l'aridité du lieu. Le début d'un désert fait de roches et de cavernes. Juste de quoi pour­suivre l'élevage de moutons et élever quelques poules. Pour le reste, le quo­tidien d'Hadj Khalil se résume à assister à la colo­ni­sation crois­sante de ces terres pales­ti­niennes et à l'intrusion per­ma­nente des colons.

Une colonisation sournoise

Offi­ciel­lement, le gou­ver­nement israélien ne donne des auto­ri­sa­tions que pour l'expansion des colonies exis­tantes, sous pré­texte de «  crois­sance natu­relle  ». De fait, le taux de fécondité dans les colonies est par­ti­cu­liè­rement élevé. Mais la véri­table colo­ni­sation se passe d'autorisation. Quelques colons placent un ou deux mobile homes sur le sommet d'une colline et prennent pos­session des lieux avec l'accord tacite des auto­rités, qui parlent «  d'avant-postes illégaux  » (comme si les colonies, elles, étaient légales). L'armée les protège, ils se branchent sur les réseaux d'eau et d'électricité et le tour est joué. On les voit, comme des che­nilles pro­ces­sion­naires, d'Hébron à Susiya, autour de la moindre enclave pales­ti­nienne, prêtes à les engloutir. Il ne suffit plus alors que d'empêcher les Pales­ti­niens de cultiver leurs terres qui se trouvent en contrebas, de brûler les arbres, de les attaquer. «  L'autre jour, deux d'entre eux sont arrivés. On a lancé des pierres pour qu'ils s'en aillent, se sou­vient Hadj Khalil. Ils nous ont dit “pré­parez vos cou­teaux, on va revenir”. C'est ce qu'ils ont fait, accom­pagnés de soldats qui ont pointé leurs armes vers moi.  » Il sait de quoi ces colons sont capables. L'an dernier, son épouse, Waddah, a voulu déloger les moutons de ces colons qui venaient manger le peu d'herbe qui poussait. Mal lui en a pris  ! Les Israé­liens l'ont battue. Elle s'en est tirée avec sept points de suture. «  Deux soldats étaient là, ils n'ont rien fait  », raconte-​​t-​​elle.

Ce har­cè­lement israélien a com­mencé en 1986, avec la «  décou­verte  » par des archéo­logues israé­liens d'une syna­gogue antique. Hasard, trois ans aupa­ravant avait été créée la colonie de Susiya, près du hameau pales­tinien portant le même nom. Mais, en 1986, les Pales­ti­niens ont été déplacés. «  Mon père m'a pris dans ses bras pendant que les bull­dozers détrui­saient nos maisons et blo­quaient les grottes dans les­quelles nous vivions, se sou­vient Nasser Nawaj'ah, qui avait quatre ans à l'époque. Nous nous sommes dis­persés sur nos terres agri­coles, autour du village. Les adultes espé­raient que nous revien­drons un jour dans nos grottes, mais une clôture a été dressée autour du village, qui a été trans­formé en site archéo­lo­gique. Aujourd'hui, nous vivons tou­jours sur nos terres agri­coles et je peux voir l'endroit où je suis né, mais je ne peux pas y aller. Les Israé­liens et les étrangers du monde entier peuvent pénétrer sur le site, mais pas moi.  » Un témoi­gnage fort que cet homme, qui tra­vaille avec l'organisation israé­lienne des droits de l'homme, B'Tselem, a publié en hébreu sur le site du journal à grand tirage Yediot Aha­ronot. Pour que les Israé­liens ne puissent pas dire qu'ils ne savaient pas.

Le har­cè­lement et l'intimidation n'ont pas fait plier les Pales­ti­niens. Hadj Khalil évoque ces moments où l'occupant arrive, les force à monter dans des camions avec leurs affaires pour les déplacer vers Yata, la ville qui se trouve à quelques kilo­mètres. Il revoit l'humiliation de cette benne qui se lève et laisse glisser les sacs et ce qu'ils ont pu emmener, comme s'il s'agissait de détritus. À quel moment parle-​​t-​​on de net­toyage eth­nique, d'ailleurs  ? Le vieil homme et sa femme, ses enfants, et tous les habi­tants de la zone n'abdiquent pas. Ils reviennent inlas­sa­blement sur leurs terres. Il sort de sa poche un papier. Le premier ordre d'expulsion que les Israé­liens lui ont envoyé. Il date du 5 mai 1997. Alors que l'affaire était devant la Cour, les soldats ont détruit les cavernes natu­relles et les tentes. Mais rien n'y fait. Depuis, une orga­ni­sation israé­lienne d'extrême droite, Regavim, a déposé une pétition devant la Haute Cour pour demander la des­truction de Susiya. L'administration a délivré des avis de démo­lition pour 52 struc­tures et tentes dont une cli­nique médicale, un jardin d'enfants, un bâtiment d'énergie solaire qui fournit l'électricité pour la région et même les sani­taires  ! «  Le jour qui est passé est meilleur que celui qui vient  », lâche, phi­lo­sophe, Mohammed Nawaja qui a, lui aussi, reçu un avis de démo­lition. «  J'ai soixante-​​six ans, je suis plus vieux que l'État d'Israël. On m'empêche même d'avoir une tente alors qu'un colon peut venir de n'importe quel endroit du monde et construire sa maison avec tous les ser­vices y affé­rents. Mais moi, on me dit que je repré­sente un danger pour la sécurité d'Israël  !  »

En réalité, Tel-​​Aviv veut tout sim­plement annexer cette partie de la Cis­jor­danie. C'est pourquoi elle ne construit pas là ce fameux mur censé pro­téger Israël contre «  les attaques ter­ro­ristes  », envoie des avis de démo­lition et expulse des cen­taines de Bédouins cou­pables d'être établis dans ce qui devrait devenir une zone d'exercice mili­taire. «  On mourra ici, avec notre fierté  », pré­vient Mohammed Nawaja.

Constructions touristiques dans les colonies

Le gou­ver­nement israélien franchit une nou­velle étape dans la colo­ni­sation des ter­ri­toires pales­ti­niens. Évidemment, offi­ciel­lement, il ne s'agit pas de ça. Les auto­rités expliquent de façon ingénue que la capacité hôte­lière de Jéru­salem ne peut répondre aux nom­breuses demandes tou­ris­tiques. En consé­quence de quoi, il a été décidé d'autoriser et de financer la construction d'hôtels. Pas à Jérusalem-​​Ouest. Pas non plus dans la partie orientale occupée de la ville. 
Non, pour la pre­mière fois, ces infra­struc­tures tou­ris­tiques seront érigées dans des colonies. Il s'agit de Maala Adumim, colonie gigan­tesque qui empêche toute conti­nuité entre Jérusalem-​​Est 
et Jéricho, ainsi que du Gush Etzion, colonie chargée là encore 
de s'opposer à une conti­nuité ter­ri­to­riale avec la Cis­jor­danie. 
Israël pourra ainsi rendre de plus en plus «  nor­males  » ces colonies 
qui seront même visitées par les tou­ristes du monde entier. Honteux  !

Publié par L'Humanité.fr


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