Visite historique du chef en exil du mouvement islamiste Khaled Mechaal, soutenu par le Qatar, se veut pragmatique
On attendait Mahmoud Abbas. Des rumeurs insistantes affirmaient que, dans la foulée de son triomphe aux Nations unies, le président de l'Autorité palestinienne se rendrait à Gaza, un territoire qu'il n'a pas visité depuis que le Hamas y a pris le pouvoir par la force en 2007.
Mais c'est finalement son principal rival, Khaled Mechaal, le chef en exil du mouvement islamiste palestinien, qui a créé l'événement dans l'étroite bande de sable. Vendredi 7 décembre, après avoir traversé le terminal de Rafah, à la frontière avec l'Egypte, l'ex-ennemi public numéro un de l'Etat israélien, celui que le Mossad avait échouéàéliminer en 1997, dans les rues d'Amman, a foulé le sol de l'enclave palestinienne, pour la première fois de sa vie.
Officiellement, Khaled Mechaal vient participer à la célébration du vingt-cinquième anniversaire du Mouvement de la résistance islamique, fondé en décembre 1987, peu après le démarrage de la première Intifada. Les festivités, prévues samedi, devaient prendre la forme d'un immense rassemblement à la gloire de la branche militaire du Hamas, sortie gagnante, dit-on sur place, de la dernière guerre avec Israël, à la mi-novembre. Une réplique géante d'une des roquettes qui sont tombées sur Jérusalem et Tel-Aviv trône depuis quelques jours déjà sur la grand-place de Gaza.
Dès dimanche, M. Mechaal repartira en direction de Doha, au Qatar, son nouveau port d'attache depuis qu'il a rompu en début d'année avec le régime du président syrien Bachar Al-Assad, désormais infréquentable.
Mais sur place, la signification politique de cette brève visite ne fait aucun mystère. Auréolé du soutien du richissime Qatar, qui a promis des centaines de millions de dollars à Gaza et surtout de l'appui de l'Egypte, dont la médiation auprès d'Israël lui a permis d'annoncer un cessez-le-feu inespéré après huit jours de bombardements dévastateurs, le chef du Hamas vient étrenner sa nouvelle stature. " C'est le moment Mechaal, dit Omar Chaaban, directeur d'un think tank à Gaza. Il vient démontrer qu'il est le chef du mouvement islamiste, à l'extérieur comme à l'intérieur, et qu'il a les atouts nécessaires pour guider la cause palestinienne. "
A grands renforts de bains de foule et d'embrassades avec tout ce que la bande de Gaza compte de responsables politiques et de notables, le natif de Silouad - un village de Cisjordanie qu'il a quittéà11 ans avec ses parents, en 1967, pour s'installer au Koweït - espère faire progresser sa ligne, en rupture de plus en plus nette avec la doxa du Hamas.
Il s'est rangé depuis quelques années déjàà l'idée d'un Etat palestinien sur les frontières de 1967, ne reconnaît pas explicitement l'existence de l'Etat d'Israël mais admet qu'en tant que chef de l'OLP, Mahmoud Abbas mène des négociations avec lui, et plaide en faveur de la réconciliation avec le Fatah, qui tient les zones autonomes de Cisjordanie.
Autant de positions qui provoquent des tiraillements au sein du Hamas mais suscitent l'intérêt grandissant des chancelleries arabes et occidentales, même si ces dernières persistent à boycotter ce qu'elles considèrent comme un mouvement terroriste. Signe qui ne trompe pas, le chef du gouvernement israélien, Benyamin Nétanyahou, ne s'est pas opposéà la venue à Gaza de Khaled Mechaal, alors qu'il a signifiéà l'Egypte que le chef du Jihad islamique, Ramadan Abdallah Challah, était persona non grata. C'est pourtant le même Nétanyahou, qui en 1997, à l'époque de son premier mandat de premier ministre, avait ordonné au Mossad d'éliminer M. Mechaal. L'opération avait lamentablement échoué, conférant à ce dernier une étoffe d'ennemi public numéro un d'Israël, qui paraît un rien désuète aujourd'hui.
" Mechaal suit les traces de Yasser Arafat, fait remarquer le politologue Mehdi Abdel Hadi. Il s'écarte peu à peu de la doctrine originelle de son mouvement pour se doter d'une envergure internationale. " Une évolution stimulée par le contexte des révolutions arabes, estime Robert Blecher, analyste à l'International Crisis Group : " Au sein du Hamas, beaucoup de responsables se sont dit qu'avec l'arrivée au pouvoir des islamistes, la région allait vers eux et qu'il n'était pas nécessaire de bouger. Mechaal a estimé, au contraire, qu'il fallait s'insérer dans le nouvel ordre régional, fût-ce au prix de quelques concessions. Le rôle-clé qu'a joué l'Egypte dans la guerre de Gaza a validé son approche. "
Dans un contexte aussi porteur, l'homme aux discours enflammés pourra-t-il refuser un nouveau mandat comme chef du Hamas ? Ces derniers temps, il avait exprimé son intention de céder la direction du bureau politique, l'organe suprême du mouvement islamiste, qu'il assure depuis 1996. Le scrutin, qui a été repousséà maintes reprises, pourrait se dérouler d'ici à la fin de l'année, dans le plus grand secret comme il est de coutume au Hamas.
" Quoi qu'il arrive, Khaled Mechaal ne disparaîtra pas du paysage politique palestinien, dit l'analyste Azmi Kichaoui, baséà Gaza. Car le Hamas a le vent en poupe. Il est appeléà moyen terme, à prendre le relais du Fatah. C'est le sens de l'Histoire. Le jour où Mahmoud Abbas quittera le pouvoir, tous les regards se tourneront vers Khaled Mechaal. "