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"Salam Fayyad est l'incarnation des contradictions de l'Autorité palestinienne"

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AFP/​Abbas Momani

Aucun favori ne se détache encore clai­rement pour suc­céder au premier ministre pales­tinien Salam Fayyad, qui a démis­sionné en dépit du soutien appuyé de Washington, soldant des mois de conflit avec le Fatah du pré­sident Mahmoud Abbas. M. Fayyad, un écono­miste indé­pendant de 61 ans, a pré­senté sa démission samedi 13 avril au pré­sident Abbas, qui l'a aus­sitôt acceptée. Jean-​​François Legrain, his­torien à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, décrypte les impli­ca­tions de cette démission.

Comment expliquez-​​vous la démission du premier ministre pales­tinien Salam Fayyad ?

Jean-​​François Legrain : Elle met au jour la réalité de l'Autorité pales­ti­nienne et de toutes les contra­dic­tions inter­na­tio­nales et locales dont elle est à la fois la victime et l'actrice. Salam Fayyad est, au même titre que le pré­sident Mahmoud Abbas, l'incarnation de toutes ces contradictions.

La pre­mière d'entre elles est que Ramallah est reconnue comme Autorité légitime alors que le cabinet est illégal au regard de la Loi fon­da­mentale pales­ti­nienne. Le premier des quatre gou­ver­ne­ments Fayyad avait été créé en juin 2007 comme cabinet d'urgence, alors même que la pré­pa­ration d'un coup d'Etat préparé par les Etats-​​Unis et le Fatah venait d'être éventée dans la presse israé­lienne et contrée par le Hamas, vain­queur des élec­tions de 2006. Or, c'est ce gou­ver­nement, dans l'illégalité totale depuis cette date, qui est considéré comme le seul inter­lo­cuteur de la com­mu­nauté inter­na­tionale quand, dans l'attente de nou­velles élec­tions, le pré­sident de l'Autorité, tou­jours selon la loi fon­da­mentale, devrait être Aziz Dweik, le pré­sident du Conseil législatif.

La seconde contra­diction vient de ce que Salam Fayyad a été ins­tallé au poste de ministre des finances puis de premier ministre par les bailleurs de fonds inter­na­tionaux, Etats-​​Unis en tête, pour mettre en place la trans­pa­rence admi­nis­trative (ce qu'il a quasi réussi), mais aussi le libé­ra­lisme écono­mique dans les struc­tures comme dans les com­por­te­ments de consom­mation. Or, cette poli­tique était indis­so­ciable du maintien de l'occupation et donc, de la pri­vation de toute sou­ve­rainetéécono­mique. L'Autorité s'est donc trouvée dans l'incapacité de mener une poli­tique écono­mique conforme à ses intérêts, main­tenue pri­son­nière d'une poli­tique de men­dicité au niveau international.

Aujourd'hui, la réalité de cette Autorité renvoie donc au refus, entretenu par la com­mu­nauté inter­na­tionale, de mettre en œuvre la solution des deux Etats au profit d'un statu quo dans le cadre d'un conflit maintenu au plus bas niveau d'intensité pos­sible. Cela a donné lieu, d'une part, à un réamé­na­gement de l'occupation aux marges avec des incur­sions répétées et à une poli­tique d'apartheid de plus en plus évidente et de plus en plus dénoncée par les orga­ni­sa­tions de défense des droits de l'homme. C'est la poli­tique qui vient d'être remise en scène par le secré­taire d'Etat amé­ricain John Kerry, la " paix écono­mique " rêvée par Ariel Sharon et Benyamin Néta­nyahou pour désa­morcer les reven­di­ca­tions nationales.

Qui est selon vous à l'origine de la démission de Salam Fayyad ?

C'est très cer­tai­nement Salam Fayyad qui, pri­sonnier de ces contra­dic­tions et privé de marges de manœuvre, a renoncé. Mais, et cela en étonnera cer­tains, les res­pon­sables de cette démission sont les pre­miers béné­fi­ciaires de la poli­tique qu'il était chargé de mettre en œuvre. En premier lieu, la com­mu­nauté inter­na­tionale. Avec la chute du niveau de ses aides, elle a privé Fayyad des moyens de mener sa poli­tique. Le second res­pon­sable est Israël, qui à la fois refuse la négo­ciation, poursuit une colo­ni­sation intensive et pra­tique l'étranglement écono­mique. Le dernier res­pon­sable, enfin, est le mou­vement Fatah lui-​​même. Arguant de son enga­gement national passé – mais bel et bien aban­donné–, il a fait remonter les enchères tous ces der­niers mois, consi­dérant ne plus être suf­fi­samment rémunéré pour ses qua­lités de barrage contre l'islamisme.

Quels sont les scénarios envisageables à la suite de cette démission ?

On peut bien évidemment se demander si ce n'est pas un coup de poker de Salam Fayyad négocié avec les Amé­ri­cains pour obliger Mahmoud Abbas à le renommer à son poste avec une légi­timité ren­forcée, puisque renou­velée, néces­saire pour mener la poli­tique qui a été définie. On évoque sinon plu­sieurs per­son­na­lités pour le rem­placer. Mais dans tous les cas de figure, il s'agit de trouver la per­sonne capable de pré­server cette poli­tique prônée par la com­mu­nauté inter­na­tionale. Le Fatah, bien sûr, reven­dique le poste mais, dans le contexte actuel, cela ne semble guère envi­sa­geable. Mohammed Moustafa, le pré­sident du Fonds pales­tinien d'investissement, a l'avantage d'avoir été forméà Washington et d'avoir eu par le passé des res­pon­sa­bi­lités finan­cières au Koweït et en Arabie saoudite..

Le Hamas, pour sa part, se contente de regarder se déliter son meilleur ennemi jusqu'à ce que le fruit tombe. Ses décla­ra­tions ont été dis­crètes. Il s'en est tenu à réfuter toute relation entre la démission de Salam Fayyad et le dossier de la récon­ci­liation inter­pa­les­ti­nienne : l'une des inter­pré­ta­tions, en effet, était que cette démission pré­parait la mise sur pied d'un cabinet de récon­ci­liation nationale, une union que ni le Fatah ni le Hamas ne sou­haite, pas plus que la com­mu­nauté inter­na­tionale. Dans ce contexte, une troi­sième hypo­thèse de suc­cession à Salam Fayyad peut être envi­sagée : un détour­nement par la pré­si­dence pales­ti­nienne de l'accord de récon­ci­liation sans récon­ci­liation avec le cumul par Mahmoud Abbas des fonc­tions de pré­sident et de premier ministre.

Existe-​​t-​​il un risque de déstabilisation de l'Autorité palestinienne ?

Le risque de désta­bi­li­sation est tou­jours présent et il est jus­tement écono­mique. Dans le contexte actuel, une troi­sième intifada contre Israël n'est guère envi­sa­geable car toute la poli­tique de Salam Fayyad a jus­tement consistéà désa­morcer la reven­di­cation nationale par la création d'une société de consom­mation. Israël a quasi réussi à se faire oublier des Pales­ti­niens de la rue, tandis que l'Autorité pales­ti­nienne (AP), sup­posée dis­pen­sa­trice du bien-​​être, est devenue la cible des reven­di­ca­tions. La pro­ba­bilité est donc aujourd'hui de voir un mou­vement social monter contre l'AP, davantage qu'un mou­vement de contes­tation de l'occupation.

On peut donc s'attendre à un réin­ves­tis­sement inter­na­tional pour remettre les finances de l'APà flots. Les bailleurs de fonds inter­na­tionaux vont recom­mencer à"cracher au bas­sinet" pour, surtout, ne pas avoir à changer de poli­tique en matière de conflit israélo-​​palestinien.

Publié par Le Monde


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