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Mai 1948 : la "Nakba" des bibliothèques palestiniennes

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"Au revoir, mes livres ! Je ne sais pas ce que vous êtes devenus (…) Avez-​​vous été pillés ? Brûlés ? (…) Avez-​​vous fini sur les rayons des épiceries (…) ?"

Les Pales­ti­niens contraints de partir lors de la pro­cla­mation de l'État d'Israël il y a 65 ans, ont dû tout laisser der­rière eux, y compris leurs biblio­thèques et leurs livres qu'ils n'ont jamais revus. Chaque 15 mai, les Pales­ti­niens com­mé­morent la "Nakba" (catas­trophe, en arabe), l'exode d'environ 760.000 d'entre eux qui suivit la création d'Israël. Mais la "catas­trophe" s'est tra­duite aussi par la perte du patri­moine et, de la mémoire.

En mai 1948, l'avocat Omar Saleh Bar­ghouti dut fuir son cabinet de la rue Jaffa et sa maison du quartier de Katamon à Jéru­salem, où il avait entreposé une col­lection de 256 livres. "Il tenait un journal et écrivait beaucoup, sur l'histoire de la Palestine et des familles pales­ti­niennes …", raconte à l'AFP sa petite-​​fille Rasha Barghouti.

Alors même que les combats fai­saient rage, biblio­thé­caires et soldats israé­liens col­lec­taient des dizaines de mil­liers de livres dans les maisons pales­ti­niennes de Jéru­salem, Haïfa, Jaffa et ailleurs … Pour les Israé­liens, il s'agissait de pré­server des ouvrages pré­cieux que l'on res­ti­tuerait un jour à leurs pro­prié­taires. Pour les Pales­ti­niens, ce fut un vol pur et simple, relaté dans un docu­men­taire sorti au début de l'année -"The Great Book Robbery" du réa­li­sateur israélien Benny Brunner.

Après deux années d'exil en Egypte, Omar Saleh Bar­ghouti s'installa à Ramallah (Cis­jor­danie) et contacta ses amis juifs en Israël pour tenter de récu­pérer sa biblio­thèque. "Il expli­quait qu'en cas de perte de meubles ou d'objets ménagers, on peut les rem­placer, bien sûr. Mais les bou­quins, c'est autre chose, c'est comme s'il avait perdu la femme de sa vie", évoque sa petite fille.

Réfugié au Caire, le poète pales­tinien Khalil Sakakini (18781953) a partagé la même anxiété : "Adieu, ma biblio­thèque ! (…) Au revoir, mes livres ! Je ne sais pas ce que vous êtes devenus (…) Avez-​​vous été pillés ? Brûlés ? (…) solen­nel­lement trans­férés dans une biblio­thèque publique ou privée ? Avez-​​vous fini sur les rayons des épiceries (…) ?"

Une "attitude colo­nia­liste" Pendant des années, la famille Bar­ghouti a cherchéà loca­liser ses livres, sans se douter qu'ils étaient stockés dans un sous-​​sol de la Biblio­thèque nationale d'Israël (BNI). Sous l'étiquette "PA" ("Pro­priété Aban­donnée"), des dizaines de mil­liers d'ouvrages pales­ti­niens, livres reli­gieux, mémoires, manuels sco­laires, recueils de poésie, y sont emma­ga­sinés. Ils sont consul­tables mais sur demande spéciale.

"J'ai découvert que trente mille livres avaient été pris aux Pales­ti­niens, la plupart dans des maisons privées. Les Israé­liens ont saisi tous les livres qu'ils trou­vaient, puis ont com­mencéà les cata­loguer. Ce pro­cessus a pris 10à15 ans", témoigne Gish Amit, un cher­cheur israélien, ancien étudiant à la BNI, qui a inspiré le docu­men­taire de Benny Brunner.

Uri Palit, un vieil érudit hié­ro­so­lo­mytain, se sou­vient avoir par­ticipé dans les années 1960à ce cata­logage, au sein du dépar­tement d'études orien­tales de la BNI : "Nous écri­vions le nom du pro­prié­taire au crayon sur les livres parce que nous vou­lions les leur remettre le jour où il y aurait la paix. Ce n'était pas un secret".

Pour Gish Amit, il n'y aucun doute que les cher­cheurs israé­liens consi­dé­raient ces ouvrages comme "de grande valeur" : "Ils disaient sauver ces livres tout en assurant qu'ils les vou­laient pour eux, qu'ils en avaient besoin, qu'ils les conser­ve­raient mieux que les Pales­ti­niens". "Le pire est le refus de la biblio­thèque de recon­naître l'injustice faite aux Pales­ti­niens. Encore aujourd'hui, ses conser­va­teurs conti­nuent de parler d'un acte de sau­vetage. Pour moi, c'est inac­cep­table", estime-​​t-​​il, dénonçant une "attitude colonialiste".

Alors pourquoi ne pas rendre les livres à leurs pro­prié­taires ? La charge de la preuve appar­tient au détenteur ori­ginel de la col­lection, faute de quoi elle demeure "pro­priété aban­donnée", répond le ministère israélien de la Justice, interrogé par l'AFP.

Rasha Bar­ghouti n'a jamais été contactée par la BNI et ne se fait aucune illusion, d'autant moins qu'elle habite les Ter­ri­toires pales­ti­niens et a besoin d'une auto­ri­sation spé­ciale pour aller à Jéru­salem. "Je ne crois pas qu'ils feront le moindre effort pour m'aider".


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