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Avocate bédouine, au nom du père

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C'est une jeune femme de 29 ans au visage aussi fin qu'une Ethio­pienne. Mais Bader Al-​​Farawneh est bédouine, native de Rahat, un nom qui, en Israël, évoque un cortège de pré­ju­dices et de ségré­gation. Rahat est l'une des six " town­ships " plantées dans le désert du Néguev, ces villes dor­toirs où le gou­ver­nement israélien s'efforce de séden­ta­riser, contre leur souhait, la moitié des 160000 Bédouins qui vivent dans 35 vil­lages non reconnus par l'Etat et qui, en consé­quence, sont dépourvus du rac­cor­dement à l'eau et à l'électricité.

Bader Al-​​Farawneh n'éprouve aucun orgueil à recon­naître qu'elle est " une exception ". Elé­gante, déter­minée et avant tout " moderne ", elle pianote sur son smart­phone pour caler les rendez-​​vous de son emploi du temps chargé d'avocate, la pre­mière à avoir ouvert un cabinet à Rahat, cette ville de 52000 habi­tants " qui compte 60 % d'enfants mais, insiste-​​t-​​elle, pas une piscine ". La chance de Bader, c'est son père, qui a encouragé ses huit enfants à acquérir une solide éducation.

Son diplôme d'avocate en poche, elle s'est ins­crite au barreau de Tel-​​Aviv. Pré­senté ainsi, cela semble facile, mais ce fut un par­cours d'obstacles, culturels et finan­ciers. Cette ténacité, elle l'a acquise en militant à l'association Un pas en avant pour l'éducation à Rahat, dont la mission est d'apprendre aux femmes à lire et àécrire. Pour ce père libéral qui a bravé les pesan­teurs d'une société où les femmes sont relé­guées aux tâches ména­gères quand les hommes peuvent convoler avec quatre épouses, elle éprouve aujourd'hui une "énorme recon­nais­sance pour la liberté qu'il m'a donnée de pouvoir apprendre ".

C'est au nom de ce père aty­pique qu'elle s'est juré de réussir, et d'exiger tous ses droits de citoyenne israé­lienne, arabe et musulmane. " Sur le papier, dit-​​elle, nous avons les mêmes, mais en pra­tique, les inéga­lités entre le "centre" et la "péri­phérie", entre les Juifs et les Arabes, sont mul­tiples. " Sin­gu­lière, Bader Al-​​Farawneh l'est par la modé­ration de son propos qui tranche avec celui des mili­tants de la cause bédouine, qui refusent le regrou­pement et l'urbanisation des tribus dis­sé­minées dans le Néguev, une poli­tique déclinée dans le projet de loi Prawer-​​Begin, adopté en pre­mière lecture le 24 juin par le Par­lement israélien.

Contre la déculturation

" C'est bien que les gens aient accès à la modernité. A Rahat, les jeunes ne vou­draient pour rien au monde revenir vivre dans le désert, sous la tente. Cette urba­ni­sation est peut-​​être iné­luc­table, mais elle doit être pro­gressive. Ce qui me dérange, c'est son caractère sys­té­ma­tique, cette évacuation forcée : toute popu­lation mino­ri­taire, qu'elle soit tzigane, bédouine ou druze, doit pouvoir vivre selon ses cou­tumes ancestrales. "

Le gou­ver­nement de Benyamin Néta­nyahou, qui ne reconnaît pas les droits de pro­priété his­to­riques des Bédouins, envisage le dépla­cement forcé de 30000à40000 d'entre eux, avec des com­pen­sa­tions finan­cières par­tielles, et la léga­li­sation d'une partie de leurs terres. Le reste deviendra " terre d'Etat ", ce qui per­mettra ulté­rieu­rement d'y établir des colonies juives. Alors que la droite israé­lienne dénonce cette " géné­rosité" au profit de " squat­teurs ", les députés arabes et les orga­ni­sa­tions de défense des droits de l'homme s'efforcent d'alerter l'opinion internationale.

C'est la lutte du pot de fer contre le pot de terre, mais Bader Al-​​Farawneh se bat pour que l'Etat d'Israël res­pecte l'" identité" des Bédouins. A Rahat, ce bouillon de culture de la pau­vreté, du chômage et de la cri­mi­nalité, l'avocate s'est spé­cia­lisée dans les affaires de délin­quance et de fraudes. Elle, qui a plus d'amis juifs qu'arabes, réside dans la région de Tel-​​Aviv, mais sa grand-​​mère vit à Rahat, sous la tente plantée à côté de sa maison en dur, une façon de lutter contre la décul­tu­ration. Depuis quelque temps, les jeunes qui mani­festent contre un Etat israélien qui veut déra­ciner ses citoyens bédouins bran­dissent des dra­peaux palestiniens.


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