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Message d'adieu à Ilan Halévi

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Nul ne pouvait mieux qu'Isabelle Avran dire notre émotion et, aussi, notre dette.

Cher Ilan,

Il est presque impos­sible de parler aujourd'hui. Pas seulement parce que l'on est sub­mergé par l'inimaginable de ton départ. Mais aussi parce qu'il semble si insensé de dire, sans risquer de trahir par des mots impuis­sants, toute la richesse atten­tionnée d'un ami. De dire l'appétit de com­plexité que tu as su nous trans­mettre ; la diversité des moments de bonheur, au-​​delà, ou au contraire tota­lement dans, le poli­tique ; les décou­vertes musi­cales, les plaisirs poé­tiques, les voyages culi­naires, la délec­tation des récits… Les frag­ments heureux affluent à la mémoire en une mul­titude désor­donnée ; qui jamais ne par­viendra à res­tituer l'immensité de la perte qui nous déboussole aujourd'hui. Car nous sommes orphelins d'un ami ; et orphelins d'une boussole pour tenter de penser le monde et contribuer à le faire bouger.

Oui, bien sûr, la Palestine. La Palestine résistant à la per­sé­vé­rance de la Nakba, de la dépos­session, de l'expulsion, du sociocide et des logiques ana­chro­niques de la colo­ni­sation. Et ce que tu nous en as enseigné dans une dis­po­ni­bilité per­ma­nente, à l'autre, à chacun, à l'engagement. Tu as su tout à la fois, proche du pré­sident Arafat, te faire écouter des chan­cel­leries, et sillonner la France ou l'Europe pour répondre à l'appel du plus petit groupe local de mili­tants avides d'efficacité et donc de ta connais­sance et de tes ana­lyses que tu as tou­jours veilléà rendre acces­sibles. Sachant, avec la même exi­gence his­to­rique et intel­lec­tuelle, trans­mettre toute la réflexion portée par tes livres dans des articles de journal militant ou dans des uni­ver­sités d'été grandeur humaine. Je crois, Ilan, que tu me per­mettras de saluer ici, aujourd'hui, la mémoire de notre camarade et ami, investi de l'Amfp à la nais­sance, avec l'AFP, de l'AFPS, Jean-​​Marie Gaubert.

Tu nous as enseigné la reven­di­cation per­ma­nente du droit comme pre­mière rose des vents. Ami et héritier, tout à la fois, de Maxime Rodinson et de sa démarche, tu nous as légué le rejet fon­da­mental de tout essen­tia­lisme ; toutes les formes de racisme, quelles qu'en soient les sin­gu­la­rités, les avatars, les cibles, de leurs sor­dides petites tra­duc­tions ordi­naires, de leurs curio­sités mor­bides, à leurs mons­trueuses folies meur­trières n'étant que les com­plices idéo­lo­giques les unes des autres, les mêmes aber­ra­tions aussi imbé­ciles que funestes. Légué aussi la lucide déter­mi­nation à la quête de vérité contre les ortho­doxies, et contre les démis­sions intel­lec­tuelles d'auteurs de Temps dits Nou­veaux, cette déter­mi­nation par laquelle Maxime Rodinson savait dis­tinguer sous Israël, aussi, le fait colonial.

Et si tu nous as éveillés à la com­pré­hension de la for­mation des idéo­logies, c'est aussi pour mieux nous mettre en garde contre leur confort facile, un luxe que les peuples en lutte pour leurs droits apprennent plus tôt que d'autres à rela­ti­viser par la néces­saire prag­ma­tique de leur combat.

Et c'est là que se dis­tinguent les fausses cer­ti­tudes des vraies convic­tions. Parmi elles, ton refus du renon­cement. Audi­tionné l'an dernier par le Sénat, tu répondais avec bien­veillance aux ques­tions simples de tes inter­lo­cu­teurs que les Pales­ti­niens n'avaient ni le temps ni l'agrément du désespoir. Et à aucun moment tu n'as renoncéà la péda­gogie de la négo­ciation. Non pas celle dont l'affichage des offres de géné­rosité pré­tendue est inver­sement pro­por­tionnel à leur respect du droit, mais celles portant sur les moda­lités d'application du droit inter­na­tional au bénéfice de sociétés alors récon­ci­liables avec l'Histoire pour sortir hors des murs où l'occupant et la colo­ni­sation les enclavent.

Avec toi, nous avons pu aimer la géo­graphie d'une terre et de son his­toire, découvrir des amis nou­veaux et débattre sans fin, mais aussi passer du témoi­gnage à l'agir, de l'indignation à l'exigence, en dépit des cam­pagnes odieuses pré­tendant aujourd'hui délé­gi­timer voire condamner celles et ceux qui refusent, dans le BDS, l'impunité dont nos gou­ver­ne­ments com­plices per­mettent aux poli­tiques colo­niales de jouir sans entrave.

Tu nous as fait savourer l'ironie sans concession du démys­ti­fi­cateur déboutant le ridicule des faux amis ou des vrais adver­saires. Un amoureux de la vie, pas­sionné du verbe, débordant de la géné­rosité de l'intelligence, et donc de l'écoute, à l'étonnement insa­tiable, passeur de plu­ralité, de trans­ver­sa­lités, de dia­logues fruc­tueux et annon­cia­teurs d'avenirs pos­sibles. Un ouvreur de fron­tières. De cultures. De Ban­diagara à Paris ou Porto Alegre, et Jéru­salem. Détrompant les assi­gna­tions iden­ti­taires dans le bonheur de la créo­li­sation et de l'altérité. Dont nous nous désal­té­rerons encore. «"Quel est ce pays ?" Demanda-​​t-​​il. Et il lui fut répondu : "pèse d'abord chaque mot, connais chaque douleur"». Ainsi s'ouvre un roman de ton ami Edouard Glissant.

Tu étais un homme libre. Un homme sans-​​frontière. Un homme Tout-​​Monde. Ami, cher, pour tou­jours. Au revoir Ilan.


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