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Texte de la décision du Tribunal de Grande instance de Perpignan

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1ére partie
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2ème partie
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3ème partie

Analyse par Ghislain Poissonnier

Un jugement rendu le 14 août 2013 par le tri­bunal cor­rec­tionnel de Per­pignan illustre une nou­velle fois le caractère juri­di­quement fragile des pour­suites pénales engagées contre des mili­tants asso­ciatifs appelant à ne pas consommer des pro­duits en pro­ve­nance d'Israël.

Le 15 mai 2010, vers 9 heures 30, un groupe d'environ 25 per­sonnes péné­trait dans le magasin car­refour de Per­pignan et y dis­tri­buait des tracts, dépliait une ban­derole et tenait des dis­cours relayant la cam­pagne Boycott Dés­in­ves­tis­sement Sanc­tions (BDS) contre la poli­tique de l'Etat d'Israël en vue d'obtenir le respect du droit inter­na­tional. Cette action avait pour but de convaincre les clients du magasin de ne plus acheter des pro­duits israéliens.

Aucun fait de vio­lence ni aucune dégra­dation n'était commis. Une délé­gation de mani­fes­tants était reçue par les repré­sen­tants de la direction des magasins car­refour qui ne déposait aucune plainte à l'issue de cette action qui se ter­minait vers 11 heures 30. Une vidéo tournée lors de l'action conduite par les mili­tants était placée sur des sites internet asso­ciatifs. Le bureau national de vigi­lance de lutte contre l'antisémitisme consultait la vidéo et le 1er juin 2010 déposait plainte auprès du parquet de Per­pignan, qui dili­gentait une enquête. Le service de police saisi visionnait la vidéo et par­venait à y iden­tifier trois per­sonnes, qui étaient audi­tionnées et recon­nais­saient les faits.

Le parquet décidait d'engager des pour­suites pénales devant le tri­bunal cor­rec­tionnel de Per­pignan. Le 16 sep­tembre 2010, une convo­cation par officier de police judi­ciaire était remise aux trois mili­tants. Elle visait l'infraction de pro­vo­cation à la dis­cri­mi­nation, à la haine ou à la vio­lence à l'égard d'une per­sonne ou d'un groupe de per­sonnes à raison de leur origine ou de leur appar­te­nance ou de leur non-​​appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déter­minée (art. 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881). Lors du procès qui s'est tenu le 20 juin 2013, les trois pré­venus, qui contes­taient la qua­li­fi­cation juri­dique des faits, sou­le­vaient un certain nombre de nul­lités. Par jugement du 14 aout 2013 (n°1738/2013), le tri­bunal cor­rec­tionnel de Per­pignan pro­nonçait à titre prin­cipal la nullité des cita­tions déli­vrées. La juri­diction n'a donc pas statué sur le fond, à savoir sur la légalité de l'appel citoyen au boycott des pro­duits israé­liens. Tou­tefois, elle n'a pas manqué de relever la dif­fi­cultéà laquelle s'est heurtée le parquet pour qua­lifier péna­lement les faits.

C'est en ce sens que le jugement rendu est inté­ressant. Le tri­bunal a relevé dans le texte de la citation un manque de pré­cision quant aux faits reprochés : « la pré­cision selon laquelle le dis­cours proféré consistait à demander de ne pas acheter des pro­duits en pro­ve­nance d'Israël est tota­lement insuf­fi­sante, dans la mesure où il est essentiel de savoir pour l'exercice des droits de la défense et pour le tri­bunal pourquoi cette demande était faite, quel était son fon­dement, par quel propos et quel dis­cours elle se mani­festait ». Pour le tri­bunal, « le rai­son­nement pré­cédent concernant les dis­cours pro­férés s'applique de façon iden­tique aux écrits dis­tribués ou exposés dans un lieu public et aux tracts à en-​​tête de BDS appelant au boycott des pro­duits en pro­ve­nance d'Israël ». En effet, « seule la mention précise du contenu des écrits pouvait être de nature à per­mettre à la défense de s'exprimer plei­nement et au tri­bunal de connaître pré­ci­sément le péri­mètre de sa saisine ». La juri­diction a également relevé dans le texte de la citation des inco­hé­rences quant à la pré­vention : soit aucun texte d'incrimination n'était viséà l'appui du libelléénonçant la pour­suite ; soit le texte visé ne cor­res­pondait mani­fes­tement pas à l'infraction annoncée ; soit encore le texte visé ne cor­res­pondait pas aux faits reprochés.

Ces éléments ne per­met­taient pas non plus au tri­bunal de « définir le péri­mètre de sa saisine ni d'analyser a for­tiori la culpa­bilité des pré­venus ». Cette dif­fi­cultéà laquelle s'est heurtée le parquet révèle en réalité l'impossibilité de qua­lifier péna­lement des faits relevant mani­fes­tement de la liberté d'expression sur un sujet d'intérêt général. En France, les pour­suites pénales contre les mili­tants asso­ciatifs appelant à ne pas consommer de pro­duits israé­liens sont récentes et consti­tuent un cas unique en Europe, alors que la cam­pagne BDS est active également chez nos voisins. Elles ont pour origine l'adoption d'une directive par le ministère de la justice (CRIM-​​AP09-​​900-​​A4, 12 févr. 2010), qui considère que l'appel lancé par un citoyen au boycott des pro­duits d'un Etat est sus­cep­tible de constituer une infraction de « pro­vo­cation publique à la dis­cri­mi­nation », néces­sitant de la part des pro­cu­reurs de la Répu­blique une répression « ferme et cohé­rente ». Les pour­suites engagées reposent une inter­pré­tation extensive du droit pénal qui impose la com­bi­naison de deux textes sans lien et dont les objets sont tota­lement dis­tincts, à savoir, d'une part, l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 qui réprime l'incitation à la dis­cri­mi­nation contre les indi­vidus et, d'autre part, l'article 225-​​22° du code pénal qui réprime l'entrave à l'exercice normal d'une activitéécono­mique. Le premier texte a été introduit par la loi n°72-546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme, laquelle avait pour objet la trans­po­sition en droit interne de la Convention inter­na­tionale sur l'élimination de toutes les formes de dis­cri­mi­nation raciale du 21 décembre 1965 en vue de per­mettre la lutte contre toutes les formes de « dis­cri­mi­nation entre les êtres humains pour des motifs fondés sur la race, la couleur ou l'origine eth­nique ». Le second texte est issu de la loi n°77-574 du 7 juin 1977 portant diverses dis­po­si­tions d'ordre écono­mique et financier adopté en vue de pro­téger les entre­prises fran­çaises qui se heur­taient à un boycott de cer­tains Etats membres de la Ligue arabe les­quels subor­don­naient leurs contrats à une ces­sation de toute relation com­mer­ciale avec Israël.

Il n'est dès lors pas étonnant que les juri­dic­tions du fond, tenues de faire une inter­pré­tation stricte des textes de droit pénal, annule les pour­suites engagées ( TGI Pon­toise, 14 oct. 20100915305065 ; CA Paris, p. 2, ch. 7,n°11/05257, 28 mars 2012) ou relaxent les pré­venus (TGI Paris, 8 juil. 2011, n°0918708077 ; TGI Mul­house, 15 déc. 2011, D. 2012 p. 439 ; TGI Bobigny, 3 mai 2012, n° parquet09-​​07782469 ; CA Paris, p. 2, ch. 7, n°11/6623,24 mai 2012).


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