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" Israël vit au jour le jour, sans stratégie de long terme "

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La colo­ni­sation des ter­ri­toires pales­ti­niens est le " principe directeur " du gou­ver­nement israélien, indique l'historienne Idith Zertal. Une obsession déjà ancienne, portée par les radicaux religieux

Illégale " pour l'Union euro­péenne, " illé­gitime " pour les Etats-​​Unis, la colo­ni­sation juive en Cis­jor­danie est una­ni­mement reconnue comme un danger, non seulement pour le pro­cessus de paix mais pour l'existence même d'Israël. En trans­férant une partie de sa popu­lation dans les ter­ri­toires pales­ti­niens, Israël accélère la création, entre le Jourdain et la Médi­ter­ranée, d'une entité bina­tionale qui risque d'être fatale à son aspi­ration àêtre un Etat à la fois " juif et démo­cra­tique ". Pourquoi la société israé­lienne se montre-​​t-​​elle inca­pable de trancher ce nœud gordien ? C'est la question qui sous-​​tend Les Sei­gneurs de la terre, une his­toire de la colo­ni­sation récemment publiée par les édi­tions du Seuil. Ce livre est l'œuvre de deux Israé­liens de gauche : l'historienne Idith Zertal, déjà auteure de La Nation et la Mort, une étude du poids de la Shoah dans les men­ta­lités et la poli­tique d'Israël ; et le jour­na­liste Akiva Eldar, qui fut l'une des plumes du quo­tidien Haaretz.

La colo­ni­sation des ter­ri­toires pales­ti­niens com­mence quelques semaines après la vic­toire israé­lienne de juin 1967. On l'a oublié aujourd'hui, mais les débuts de la colo­ni­sation se font sous des gou­ver­ne­ments de gauche, des tra­vaillistes. N'est-ce pas paradoxal ?

Jusqu'en 1977, Israël est effec­ti­vement gou­verné par des équipes à majorité tra­vailliste. Dans ces années cru­ciales, qui suivent la guerre de 1967, le premier ministre est Levi Eshkol. Intel­ligent, prag­ma­tique, c'est un bon vivant, un homme de com­promis, une sorte de François Hol­lande israélien. En face de lui, les pre­miers colons repré­sentent une élite rusée, sophis­tiquée, déter­minée, avec tou­jours un coup d'avance sur leurs adver­saires poli­tiques. Ils viennent du Parti national-​​religieux, qui par­ticipe à l'époque à la coa­lition dirigée par les tra­vaillistes mais se sent mar­gi­nalisé. Avec la vic­toire de 1967, la conquête des ter­ri­toires pales­ti­niens et l'euphorie qui s'ensuit, l'heure sonne pour eux. Ils par­viennent à s'insinuer dans les failles d'un esta­blishment poli­tique vieilli et fatigué et à obtenir son appui, moral, logis­tique et intel­lectuel aussi. Des figures morales, des poètes, des uni­ver­si­taires et d'anciens généraux de gauche sont subi­tement emportés par l'idée du Grand Israël.

Un autre moment fon­dateur, c'est l'affaire de Sebastiya, en 1975. Après sept ten­ta­tives avortées, un groupe de jeunes radicaux arrache au gou­ver­nement le droit de s'installer en plein cœur de la Cis­jor­danie, près de Naplouse. Comment le Goush Emounim (Bloc de la foi) est-​​il devenu la matrice idéo­lo­gique de la colonisation ?

Une grande partie de la société israé­lienne s'est plue à se voir dans le Goush Emounim. Au len­demain de la guerre du Kippour, une saignée qui a trau­matisé la société israé­lienne, ces radicaux ont apporté une impression de renouveau. Ils ont prospéré sur le sen­timent que le pays avait frôlé l'abîme. A l'inverse des mili­tants de La Paix main­tenant, dont on disait, avec ironie, qu'il suf­fisait de quelques bourses d'études à l'étranger pour s'en débar­rasser, ceux du Goush Emounim repré­sen­taient comme un retour aux sources. Il s'agissait de soldats, de jeunes gens déter­minés et prêts à tout. Ils parais­saient plus juifs, plus dévoués, plus pion­niers, plus auda­cieux. Ils incar­naient ce nouveau juif que le sio­nisme a tou­jours imaginé avoir créé.

Parmi les sou­tiens du Goush Emounim à cette époque, il y a celui de Shimon Pérès, l'actuel pré­sident d'Israël, qui allait, vingt ans plus tard, recevoir le prix Nobel de la paix pour son rôle dans la signature des accords d'Oslo…

Comme ministre du premier gou­ver­nement d'Yitzhak Rabin - juin 1974-​​juin 1977 - , Shimon Pérès éprouva une sorte de fas­ci­nation pour les gens du Goush Emounim. Sa porte leur était ouverte. Il a débloqué des budgets pour eux. Leur déter­mi­nation lui parlait au moment où Israël s'embourgeoisait. L'attitude de Pérès doit se lire aussi dans le contexte de sa rivalité vis­cérale avec Rabin, qui, contrai­rement à lui, sup­portait dif­fi­ci­lement les leaders du Goush. Il fallut à Pérès passer du pouvoir à l'opposition, après la vic­toire du Likoud aux légis­la­tives de 1977, pour revenir – par­tiel­lement – à la raison. Mais entre-​​temps, tout avait changé. Le nouveau premier ministre, Menahem Begin, aidé par Ariel Sharon, a mis tout le poids du gou­ver­nement der­rière le mou­vement des colons pour empêcher la création d'un Etat palestinien.

Comment expliquer qu'à part quelques vision­naires per­sonne à cette époque n'a pres­senti le danger ?

Tout en ayant une dimension mes­sia­nique pro­noncée, Israël vit au jour le jour, sans vision de soi ni stra­tégie de long terme. Dans la men­talité juive, chaque nouveau jour sans pogrom est comme un miracle. Rares sont les Israé­liens qui ont eu l'imagination et la capacité intel­lec­tuelle pour per­cevoir dès le début la dimension que la colo­ni­sation allait prendre. Il faut aussi recon­naître que le sio­nisme his­to­rique a un aspect expan­sion­niste inné qui cor­respond au projet des colons. Israël est une société d'immigrants qui ont colonisé une terre habitée par un autre peuple. Les colons ont d'ailleurs suivi le vieux dicton sio­niste du " dunum après dunum " (une unité de mesure, équi­va­lente à1000 m2), le " pas après pas ", pour ne pas fâcher " le tsar et les goyim ", c'est-à-dire le gou­ver­nement israélien et le monde occi­dental. C'est pourquoi per­sonne n'a deviné l'énormité du pro­cessus enclenché par le Goush Emounim. Et c'est ainsi qu'un monstre a été créé, avant même que l'on se réveille.

Un autre aspect du mou­vement des colons, et qui émerge au milieu des années 1970, est sa capacitéà s'organiser en un groupe de pression très efficace.

Ils sont des orfèvres en la matière. Dès les années 1974-​​1975, lors des visites à Jéru­salem d'Henry Kis­singer, alors secré­taire d'Etat amé­ricain, qui venait inciter Israël à se retirer du Sinaï, les colons orga­nisent, avec le soutien en cou­lisses du général de réserve Ariel Sharon, des pro­tes­ta­tions d'un type radi­ca­lement nouveau : insultes anti­sé­mites, tapage noc­turne devant l'hôtel de Kis­singer, routes barrées, mani­fes­ta­tions qui dégé­nèrent en affron­te­ments avec la police. Tous les suc­ces­seurs de Kis­singer et tous les gou­ver­ne­ments israé­liens, même celui d'Ariel Sharon en août 2005, lors du retrait de Gaza, ont vécu ça. Pour l'extrême droite israé­lienne, la paix, avec les retraits qu'elle implique, est vue comme une menace à dimension " holo­caus­tique " qui jus­tifie même l'assassinat d'un premier ministre.

Quelle res­pon­sa­bilité a l'armée, qui détient le pouvoir dans les ter­ri­toires occupés ?

Le rôle de l'armée a été néfaste dès le début. Par flat­terie ou par sym­pathie, les com­man­dants dans les ter­ri­toires pales­ti­niens ont agi en par­te­naires des colons. His­to­ri­quement, il y a eu une réci­procité, une sym­biose entre les mili­taires et les colons qui se traduit aussi en poli­tique. Les généraux com­plai­sants avec les colons, comme Ehoud Barak, ont fait de belles car­rières poli­tiques, contrai­rement à ceux qui se sont heurtés à eux. Aujourd'hui, c'est encore pire. La com­po­sition de l'armée a com­plè­tement changé. Les fils des kib­boutz et des bonnes écoles, omni­pré­sents autrefois dans les rangs des offi­ciers de niveaux inter­mé­diaires et supé­rieurs, sont en passe d'être sup­plantés par les fils des colonies. Qui exé­cutera demain l'ordre de se retirer des ter­ri­toires pales­ti­niens si un tel ordre venait àêtre donné ?

Les colons ont-​​ils gagné ? Ont-​​ils défi­ni­ti­vement empêché la création d'un Etat palestinien ?

On en est à la troi­sième géné­ration de colons. 550000 Israé­liens habitent dans les ter­ri­toires pales­ti­niens. L'oppression quo­ti­dienne du peuple pales­tinien en est venue à constituer l'état d'esprit d'Israël, la norme, dans une sorte d'anesthésie morale et d'irresponsabilité. La pour­suite de la colo­ni­sation est le principe directeur de la poli­tique du gou­ver­nement de Benyamin Néta­nyahou. Rien qu'entre 2009 et 2013, le nombre de colons s'est accru de 18 %. Toute la cam­pagne de pro­pa­gande hys­té­rique à laquelle Néta­nyahou se livre à l'encontre de l'Iran vise à faire oublier le pro­blème des colonies. Yuval Diskin, un ancien chef du Shabak - le service de sécurité inté­rieure - , vient d'ailleurs de déclarer que le conflit avec les Pales­ti­niens est beaucoup plus dan­gereux pour Israël que le pro­gramme nucléaire iranien. Alors, spon­ta­nément, j'ai ten­dance à répondre oui à votre question. Mais en tant qu'étudiante d'Hannah Arendt, je dois croire, même en des temps si sombres, en la capacité humaine à changer le cours de l'Histoire. Peut-​​on vraiment continuer cette poli­tique de la peur et de la sus­picion contre le monde entier encore long­temps ? Veut-​​on vraiment retourner dans le ghetto après en être sorti ?

D'où peut venir la solution ? De la société israé­lienne ou de la com­mu­nauté internationale ?

Les jumeaux israélo-​​palestiniens sont inca­pables de résoudre ce conflit par eux-​​mêmes. Il est beaucoup trop chargé de mémoire, de mythes et de trau­ma­tismes. C'est beaucoup plus qu'un conflit ter­ri­torial, comme celui qu'Israël avait avec l'Egypte ou la Jor­danie. Il ne peut y avoir qu'une solution exté­rieure, imposée par le concert des puis­sances. Elle devra être faite d'un paquet de sanc­tions et d'aides, sur le modèle du plan Mar­shall. Les grandes puis­sances devront concocter une solution qui soit suf­fi­samment géné­reuse et viable pour les Pales­ti­niens et pas trop humi­liante pour les Israéliens.

Propos recueillis par Benjamin Barthe

"LESSEI­GNEURSDELATERRE. HIS­TOIREDELACOLO­NI­SATIONDESTER­RI­TOIRESOCCUPÉS"

de Idith Zertal

et Akiva Eldar

(Seuil, 490 p., 25€).

"AUNOMDUTEMPLE. ISRAËL

ET L'IRRÉSISTIBLEASCENSION

DUMESSIANISMEJUIF (19672013) "

de Charles Enderlin (Seuil, 375 p., 20€).

"QUISONTLESCOLONS ? UNEENQUÊTEDEGAZA

ÀLACISJORDANIE"

de Claire Snegaroff

et Michaël Blum (Flammarion, 2005).


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