A Washington, Benyamin Nétanyahou fait l'éloge du processus de paix mené par la Maison Blanche.
- Nicholas Kamm/AFP
La menace d'une guerre en Ukraine n'empêche pas Barack Obama de reprendre les rênes du dossier de la paix au Proche-Orient. Alors que les pourparlers israélo-palestiniens menés par le secrétaire d'Etat John Kerry ont peu de chances d'aboutir, avant la date butoir du 29 avril, à l'« accord-cadre » recherché par les Américains, le président des Etats-Unis a reçu le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, lundi 3 mars à la Maison Blanche. Le président palestinien, Mahmoud Abbas, aura droit au même honneur dans deux semaines.
L'entourage de M. Obama le souligne à dessein : le processus de paix a été au centre des discussions plutôt détendues avec M. Nétanyahou, et non pas le nucléaire iranien et la décolonisation, sujets sur lesquels les deux hommes s'étaient opposés lors de leurs précédentes entrevues. L'heure est venue « de prendre certaines décisions difficiles », a déclaré M. Obama à l'adresse du premier ministre israélien. « Israël a fait ce qu'il devait et, je suis désolé de le dire, les Palestiniens n'en ont pas fait autant », a répliqué ce dernier.
Mais le discours de M. Nétanyahou a significativement changé, mardi, lorsqu'il a pris la parole à Washington devant les 10000 délégués du Comité américain pour les affaires publiques israéliennes (Aipac), le principal et puissant « lobby américain pro-Israël », comme il se définit lui-même. Le premier ministre israélien s'est alors mué en ardent promoteur d'un accord de paix avec les Palestiniens. « Nous avons tous tant à gagner à la paix », a-t-il lancé, reprenant la rhétorique américaine. Alors que John Kerry essuie de vives critiques en Israël pour ses déclarations mettant en garde le pays contre le risque d'être isolé et ostracisé s'il échoue à faire la paix avec les Palestiniens, M. Nétanyahou a rendu hommage au « secrétaire d'Etat qui ne dort jamais », allusion aux incessantes navettes de M. Kerry.
Nouveau rapport de force
Depuis son élection de 2008, Barack Obama s'est, à deux reprises, exprimé en personne devant l'assemblée annuelle de l'Aipac. Cette année, il a préféré laisser son secrétaire d'Etat l'y représenter. Un signe qui correspond au nouveau rapport de force récemment établi par le président américain avec le puissant lobby.
En septembre 2013, la renonciation de M. Obama à une intervention militaire en Syrie, ardemment défendue par l'Aipac, avait constitué un premier revers pour le groupe. Plus rude encore fut le choc encaissé au début de février, lorsque la vigoureuse campagne menée par le « lobby » en faveur du vote de nouvelles sanctions contre l'Iran s'était heurtée aux fortes pressions de la Maison Blanche visant à préserver les négociations avec Téhéran sur le nucléaire.
Les lobbyistes, qui avaient réussi à convaincre pas moins de 59 sénateurs (dont 16 démocrates) de voter les sanctions, ont dû battre en retraite publiquement et ont cessé, jusqu'à présent, leurs pressions sur les sénateurs démocrates. Le New York Times titra alors sur « l'élan brisé» de l'Aipac.
70 % des juifs américains ont voté Obama
Barack Obama semble avoir ébranlé la tactique de l'Aipac qui consiste à prétendre agir sur une base « bipartisane » alors que certains de ses responsables présentent le président comme un faux ami d'Israël. De facto, M. Obama a aussi mis en cause la place revendiquée par l'organisation, qui a collecté3,1 milliards de dollars (2,25 milliards d'euros) d'aide en faveur d'Israël en 2013, de représentant unique des Américains pro-Israël. En réalité, 70 % des juifs américains ont voté en sa faveur en 2012, contredisant l'idée selon laquelle leur préférence irait au plus virulent défenseur des autorités israéliennes.
Les réactions aux plaidoiries insistantes de l'Aipac sur le dossier iranien ont mis en lumière la diversité de l'électorat juif et le discours des groupes pro-Israël favorables au président, tel J. Street. Le nouveau maire de New York, Bill de Blasio, a été critiqué par des juifs de gauche pour avoir pris la parole lors d'une réunion de l'Aipac qu'ils ont qualifié de « défenseur du gouvernement intransigeant d'Israël et de la droite qui le soutient ».
Un nouveau front s'est ouvert pour l'organisation américaine, avec la virulente condamnation, mardi, par M. Nétanyahou, de la campagne de boycottage d'Israël qu'il a qualifiée d'« antisémite ». Baptisé« Boycott, désinvestissement et sanctions » (BDS), le mouvement a récemment pris de l'ampleur aux Etats-Unis avec l'adhésion d'une importante association de professeurs et chercheurs.
Publié par Le Monde