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La victoire d'Adnan

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Un village pales­tinien, quelque part en Cis­jor­danie. Au milieu de la nuit, on frappe à la porte et on crie en arabe : “Armée israé­lienne. Ouvrez !”

Quelqu'un – le plus souvent la mère – ouvre la porte. Les soldats lour­dement armés se pré­ci­pitent à l'intérieur et tirent la victime du lit. Ils le jettent sur le sol devant sa femme et ses enfants (ou ses parents et frères et sœurs), lui bandent les yeux, lui attachent les mains der­rière le dos et le poussent dans une jeep. La victime peut avoir 15 ans ou 70 ans, ou n'importe quel âge entre les deux.

Après plu­sieurs jours d'interrogatoire, avec ou sans “pression phy­sique modérée” (comme le déclare déli­ca­tement un juge de la Haute Cour), si aucune confession n'est suf­fi­sante et pro­bante, le pri­sonnier est mis en “détention admi­nis­trative” qui peut durer six mois et être renou­velée année après année. La cou­verture judi­ciaire est une farce. Le pri­sonnier n'est pas informé de ce dont il est accusé et par qui, la preuve est gardée secrète tant vis-​​à-​​vis du pri­sonnier que de son avocat ou avocate.

Durant l'occupation, des dizaines de mil­liers de Pales­ti­niens ont expé­ri­menté cette pro­cédure. En ce moment, quelque 300 sont en détention admi­nis­trative (sur les dix mille environ qui ont été jugés par des tri­bunaux mili­taires ou civils)

Maintenant, l'un deux a dit : Assez !

KHADER ADNAN MOHAMED MUSA a été arrêté plusieurs fois auparavant.

Le militant de 34 ans du village d'Arabba près de Jénine au nord de la Cis­jor­danie est un diri­geant du Jihad isla­mique depuis l'époque où il était étudiant à l'Université de Bir Zeit. Faci­lement recon­nais­sable surtout à sa longue barbe noire, il est arrivé au premier plan de l'organisation en Cisjordanie.

Le Jihad isla­mique est le plus extrê­miste des groupes pales­ti­niens signi­fi­catifs, et Adnan a ouver­tement, devant les caméras, prôné la résis­tance armée. Il a appelé les jeunes Pales­ti­niens à porter des cein­tures d'explosifs et à com­mettre des attentats suicide.

Les auto­rités d'occupation l'ont long­temps tenu à l'œil, ainsi que les ser­vices de sécurité de l'Autorité pales­ti­nienne. Ce n'est pas étonnant car Adnan a accusé cette der­nière de col­la­borer avec l'ennemi israélien et d'agir sous ses ordres.

Quand il fut de nouveau arrêté en décembre dernier, il exigea d'être jugé ou relâché. Comme aucune de ces options ne se pro­duisait, il déclara une grève de la faim.

Une grève de la faim de 28 jours est géné­ra­lement consi­dérée comme très longue. Adnan a jeûné pendant 66 jours, ce qui est peut-​​être un record mondial, excepté le com­battant de la liberté irlandais (ou “ter­ro­riste”) sur lequel Mar­garet Thatcher s'était acharnée et qui jeûna jusqu'à la mort. Si la grève de la faim dure jusqu'à 70 jours, la mort est presque inévitable.

A la fin, il fut transféré dans un hôpital, les che­villes et une main enchaînées au lit, alors qu'il pouvait dif­fi­ci­lement tenir debout. Dès lors, sa grève attira l'attention du monde entier. En Israël même, la réaction dans les médias fut limitée, mais les groupes pour la paix et des droits humains appor­tèrent leur soutien à Adnan. Les Médecins pour les droits de l'Homme, orga­ni­sation israé­lienne créée il y a des années par la psy­chiatre Ruchama Marton, conduisit la lutte avec une grande ferveur. Les médias du monde, y compris le New York Times, s'emparèrent du cas.

Fina­lement, les diplo­mates et les res­pon­sables de la sécurité israé­liens ont com­mencé à s'alarmer sérieu­sement. Si Adnan jeûnait jusqu'à la mort, per­sonne ne pouvait en prévoir les consé­quences. Dans les ter­ri­toires occupés, on pouvait s'attendre à ce que des émeutes se répandent partout, peut-​​être avec d'autres morts. Les pri­son­niers pales­ti­niens dans les geôles israé­liennes pour­raient com­mencer une grève de la faim générale, qui pour­raient s'étendre faci­lement dans la popu­lation pales­ti­nienne à l'extérieur. Dans les médias mon­diaux, Israël serait comparé à la Syrie et à l'Iran. Pire, la pra­tique même de la détention admi­nis­trative vien­drait sous regard international.

Aussi l'establishment poli­tique et sécu­ri­taire ava­lèrent leur amour-​​propre et pro­po­sèrent un com­promis. Si Adnan aban­donnait la grève immé­dia­tement, les autorité de sécurité ne renou­vel­le­raient pas la détention admi­nis­trative pro­noncée, après avril, date de son expiration.

Adnan, qui a déjà obtenu le statut de héros national, a accepté. Il a cer­tai­nement atteint son prin­cipal objectif : attirer l'attention sur la pra­tique elle-​​même.

LA DÉTENTION ADMI­NIS­TRATIVE n'est pas une invention israé­lienne. Israël l'a héritée du régime colonial bri­tan­nique ; elle faisait des lois d'urgence, qui étaient décrites par le futur ministre de la Justice israélien comme “pires que les lois nazi”. Mais quand Israël est né, la régle­men­tation est restée en vigueur ou fut rem­placée par des lois sem­blables “made in Israël”.

Les res­pon­sables de la sécurité suc­cessifs ont soutenu que la détention admi­nis­trative est abso­lument essen­tielle dans la “lutte contre le terrorisme”.

Leur point de vue peut être illustré par un cas dans lequel j'ai été impliqué. Quand j'étais directeur du magazine d'information Haolam Hazeh, un jour­na­liste israélien arabe – appelons-​​le Ahmad – qui tra­vaillait à notre édition en arabe, dis­parut. Après des recherches pendant un certain temps, j'appris qu'il avait été mis en détention admi­nis­trative. Comme j'étais membre de la Knesset à l'époque, on me permis de parler avec un officier supé­rieur du service de sécurité (Shabak ou Shin Bet), qui me dévoila, confi­den­tiel­lement, la raison de l'arrestation.

Il sem­blait que le service avait attrapé un membre du Fatah venant de l'extérieur, qui apportait un message à deux Arabes d'Israël, leur demandant de créer des cel­lules du Fatah dans le pays. Le Fatah, à l'époque, était considéré comme une dan­ge­reuse orga­ni­sation ter­ro­riste. Un des deux arabes israélien était Ahmad.

“Fran­chement,” me dit l'officier du Shabak, “nous ne savons abso­lument pas si votre homme est un ter­ro­riste ou s'il a été choisi au hasard par les gens du Fatah en Jor­danie. Nous n'avons aucune preuve qui pourrait être pro­duite devant un tri­bunal. Nous ne pouvons cer­tai­nement pas dévoiler au tri­bunal que nous avons attrapé un mes­sager. Mais nous ne pouvons pas non plus laisser Ahmad en liberté, parce qu'il peut bien être un dan­gereux ter­ro­riste. Que voulez-​​vous faire dans notre situation, avec la res­pon­sa­bilité que nous portons ?”

Fran­chement, je n'aime pas l'idée d'être mis en mor­ceaux dans un attentat-​​suicide. Mais je répondis que, dans ces cir­cons­tances, Ahmad devrait être relâché immé­dia­tement. Cependant, ils l'ont gardé en prison pendant des mois. Quand il fut fina­lement relâché, il émigra en Amé­rique. Cela peut très bien avoir été une condition pour sa sortie de prison.

J'ai déjà écrit sur un autre cas qui m'a concerné direc­tement et qui m'a fait prendre conscience du danger inhérent à cette pra­tique. Dans sa pre­mière longue interview après sa venue au pouvoir en 1977, Menahem Begin révéla que 20 années aupa­ravant, quand Isser Harel (sur­nommé “le petit Isser”) fut chargé de tous les ser­vices de sécurité israé­liens, il proposa au Premier ministre David Ben-​​Gourion de me placer en détention admi­nis­trative comme espion sovié­tique. Harel me vouait une haine patho­lo­gique et plus tard il en écrivit tout un livre.

L'accusation était tout-​​à-​​fait ridicule car je n'ai jamais dans ma vie été com­mu­niste, ni même mar­xiste. Au moment où Arthur Koestler écrivait son livre révo­lu­tion­naire “Le zéro et l'infini” je pensais, alors ado­lescent, qu'il doit y avoir quelque chose qui ne va pas dans un système qui accuse presque tous ses fon­da­teurs d'être des espions impé­ria­listes. Plus tard, alors qu'une délé­gation israé­lienne était invitée en Russie sovié­tique, le KGB raya mon nom (les télé­pec­ta­teurs de l'excellente série de télé­vision bri­tan­nique “Spooks” recon­naî­tront immé­dia­tement que c'est exac­tement la marque d'un maître espion).

Ben-​​Gourion n'était pas l'un de mes plus grands fans, ou, pour le dire sim­plement, il haïssait mon cran. Comme je l'attaquais chaque semaine, c'était très com­pré­hen­sible. Cependant il était aussi un homme poli­tique pers­picace et crai­gnait que mon arres­tation fasse un scandale. Donc il dit à Harel qu'avant de m'arrêter, il devrait s'assurer le concours de Begin, le diri­geant du plus grand parti d'opposition.

Begin lui dit : “Si vous avez une preuve, veuillez me la montrer. Si non, je com­battrai contre votre plan bec et ongles.” Ben-​​Gourion laissa tomber l'idée et Begin envoya son plus sûr lieu­tenant pour m'avertir.

Si Begin avait soutenu mon arres­tation, qui aurait pu douter que le Shabak avait de solides preuves de ma traî­trise ? Ma voix aurait été réduite au silence, mon magazine détruit.

DANS UN ÉTAT démo­cra­tique, il n'y a aucune place pour la détention admi­nis­trative, ni même pour des procès dans les­quels la preuve essen­tielle est refusée à l'accusé et aux avocats de la défense. Il doit y avoir de meilleurs moyens pour pro­téger les infor­ma­teurs et autres sources secrètes d'information. Par exemple, per­mettre aux pré­venus dans de tels cas de choisir des avocats uni­quement dans la liste res­treinte de ceux ayant le plus haut contrôle de sécurité.

A ce propos, ceci est vraiment arrivé dans le procès le plus sen­sible de tous du point de vue sécu­ri­taire : celui du dénon­ciateur nucléaire (ou “espion”) Mor­dechai Vanunu.

L'arrangement mis au point dans le cas de Adnan montre l'irrationalité du système. Si Adnan était dan­gereux au point d'être incarcéré sans charge ni procès, comment peut-​​il être relâché ? Et s'il n'était pas si dan­gereux, pourquoi fut-​​il retenu en premier lieu ?

A LA FIN, Adnan a créé un paradoxe pour lui-​​même et ses camarades.

L'essence même de son idéo­logie et de celle de son orga­ni­sation est qu'il n'y a aucune autre méthode efficace de résis­tance à l'occupation et à l'oppression israé­liennes que la vio­lence la plus extrême. La non-​​violence à leurs yeux, est une absurdité. Pire, elle signifie capi­tu­lation et, à la fin, tra­hison. Le Jihad isla­mique accuse aujourd'hui le Hamas de flirter avec cette idée de non-​​violence.

Tou­tefois, une grève de la fin est la forme ultime de la non-​​violence. Gandhi l'utilisait fré­quemment, comptant sur son impact moral.

L'exploit de Khaled Adnan est exac­tement cela : une vic­toire écla­tante de la non-​​violence.

Article écrit en hébreu et en anglais le 25 février 2012, publié sur le site de Gush Shalom – Traduit de l'anglais "Adnan's Victory" pour l'AFPS : SW


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