L'initiative de paix portée à bout de bras par le secrétaire d'Etat américain John Kerry traverse mercredi une crise potentiellement fatale. L'analyse de l'ancien diplomate Denis Bauchard, spécialiste du Proche-Orient. Après des entretiens mardi à Jérusalem avec Benjamin Netanyahu, John Kerry a renoncéà se rendre à Ramallah pour rencontrer le président palestinien, à la suite de l'annonce par Mahmoud Abbas de la décision palestinienne de demander l'adhésion à15 instances de l'ONU.
Les négociations israélo-palestiniennes ont-elles une chance d'aboutir ? Le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, a renoncéà revenir dans la région, après la décision des Palestiniens de reprendre la voie de l'ONU. La direction palestinienne a annoncé, mardi, vouloir demander l'adhésion à plusieurs agences des Nations unies, après l'annonce d'un nouvel appel d'offres par le gouvernement israélien pour plus de 700 logements dans des quartiers de colonisation à Jérusalem-Est occupée et annexée.
Un accord conclu sous l'égide du chef de la diplomatie américaine avait permis la reprise pour neuf mois, en juillet dernier, des négociations de paix. En vertu de cet accord, la direction palestinienne avait suspendu jusqu'à la fin des pourparlers toute démarche d'adhésion aux quelque 63 organisations et conventions internationales auxquelles le statut d'Etat observateur obtenu en novembre 2012à l'ONU lui donne accès. En contrepartie, Israël s'engageait à libérer en quatre phases 104 prisonniers incarcérés avant les accords d'Oslo de 1993, dont les trois premiers groupes ont été relâchés. L'Express a interrogé Denis Bauchard, chercheur à l'IFRI et ancien directeur du département Moyen-Orient au Quai d'Orsay, sur les difficultés de ces pourparlers.
Quelles sont les raisons de l'impasse des négociations en cours entre Israéliens et Palestiniens ?
L'ampleur du décalage des positions de part et d'autre rend presque impossible un accord. Benyamin Netanyahu campe sur les positions qu'il avait fixées lors de son discours prononcéà l'université Bar Ilan en 2009. Il refuse de négocier sur la base des frontières de 1967, il refuse le gel des colonies, le droit au retour des Palestiniens expulsés en 1948 et 1967. Il rejette l'idée de Jérusalem Capitale des deux Etats Israélien et Palestinien. A cela s'ajoute sa demande récente que les Palestiniens reconnaissent Israël comme "Etat juif" ce qui impliquerait que les 1,2 million d'Arabes israéliens n'y auraient plus leur place. Avigdor Lieberman, le très influent ministre des Affaires étrangères ne cache pas qu'il souhaite le départ de cette population. Toutes ces positions manifestent une réelle absence de volonté politique d'aller vers la paix. La majorité de la coalition au pouvoir en Israël récuse un Etat Palestinien, en particulier Naftali Bennett, ministre de l'Economie et dirigeant du parti d'extrême-droite, "Foyer juif".
Et du côté palestinien ?
Mahmoud Abbas a une très faible marge de manoeuvre. Il ne peut pas accepter de reculer en deçà des positions prises par Arafat en 2000 lors de négociations de Camp David, au risque de perdre toute crédibilité en interne. Impossible pour les Palestiniens de renoncer au principe de Jérusalem comme capitale ou des frontières de 1967 comme base de négociations.
La volonté américaine d'avancer est-elle réelle ?
Je pense qu'il y a une vraie bonne volonté de la part du secrétaire d'Etat John Kerry. Mais Barack Obama, à qui Benyamin Netanyahu n'a cessé d'infliger des camouflets, n'a pas la volonté de faire de réelles pressions sur l'Etat hébreu.
Quels sont les risques ?
Un échec risque d'accentuer l'isolement d'Israël
Alors que la date butoir prévue pour ces négociations, le 29 avril, approche, la probabilité d'un échec est forte. Cela risque d'accentuer l'isolement d'Israël. Il est peu probable que les Etats-Unis ou l'Union européenne adoptent des mesures de rétorsion, mais les initiatives privées de boycott, qui connaissent un net essor ces derniers mois à travers la campagne BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions) menée par des ONG, notamment aux Etats-Unis et dans les pays scandinaves, pourraient se multiplier en cas d'échec des pourparlers. L'autorité palestinienne sera tentée de reprendre le processus d'adhésion de la Palestine dans les agences des Nations Unies. A moyen terme, Israël risque, comme l'a mentionné John Kerry, une 3e Intifada et de se retrouver amenéà occuper de façon permanente la Cisjordanie, déjà largement "mitée" par les colonies. Cela mettrait la fin de la solution à deux Etats.