De façon un peu inattendue, ces dernières semaines ont vu les initiatives diplomatiques se déplacer vers les Palestiniens. Chaque jour, tous les yeux sont fixés sur les derniers développements provenant du Bureau de Mahmoud Abbas (Abu Mazen).
Les grands titres du matin relatent la nouvelle initiative de Ramallah. Vers midi, on entend le chœur de réactions furieuses de Netanyahou et de ses ministres. Le soir arrivent les réactions plutôt confuses de Washington et Bruxelles. C'est une surprise, après une longue période pendant laquelle les Palestiniens et leurs dirigeants furent contraints de s'engager sur des chemins diplomatiques définis pour eux par d'autres.
L'an dernier, Abu Mazen a entamé avec une évidente réticence des négociations avec le gouvernement Netanyahou. Les Palestiniens avaient toutes les raisons de penser que Netanyahou lui-même ne voulait pas d'un accord qui implique le retrait des Territoires Occupés. Quand bien même Netanyahou l'aurait voulu, il n'aurait pu obtenir cet accord de son cabinet, avec ses partenaires de la coalition d'extrême droite et les membres tout aussi extrêmes de son parti, le Likoud.
Conscient que Netanyahou ne veut qu'un semblant de discussions et un « processus de paix » qui ne mènera nulle part, Abu Mazen a subi des pressions pour entamer des négociations sous la menace que, sinon, les Palestiniens seraient rejetés par le monde entier pour avoir refusé [la paix].
Abu Mazen fut prié de se retenir de recourir aux Nations unies et de prendre des mesures unilatérales sur la scène internationale tandis que Netanyahou avait toute liberté de poursuivre les actions unilatérales de colonisation sur le terrain.
Uri Ariel, ministre du Logement et expert sans pareil en construction de colonies, a profité au maximum de cette opportunité.
La seule douceur offerte aux Palestiniens pour faire passer la pilule amère fut la libération de 104 prisonniers - 104 des quelque 5000 qui se trouvent dans les prisons israéliennes, 104 détenus depuis avant les Accords d' Oslo, qui ont passé20 ou 30 ans derrière les barreaux. Netanyahou décida de répartir la libération de ces prisonniers en quatre fournées, chacune d'elle accompagnée d'une campagne de propagande massive dans les médias israéliens sur le mode « libération des meurtriers » et d'une explosion de la construction des colonies pour y « faire contrepoids ».
Pendant quelques mois on a pu se bercer d'espoir et penser que ce processus pourrait malgré tout porter ses fruits. Non pas par un accord entre les négociateurs de Netanyahou et ceux d'Abu Mazen – il n'y a jamais eu la moindre chance que cela arrive. S'il y avait une chance, elle viendrait de la médiation forcée des Etats-Unis –qui posaient sur la table un accord cadre que les parties ne pouvaient se permettre de refuser ; il fallait affronter directement Netanyahou avec les Européens dans le rôle du « méchant flic », en proférant des menaces crédibles de mesures qui pourraient être dommageables pour l'économie israélienne.
Il est tout à fait possible que cela n'ait été que de faux espoirs et des illusions. Possible que le Secrétaire d'Etat Kerry et le Président Obama n'aient jamais vraiment voulu une confrontation directe avec Netanyahou et ceux qui le soutiennent dans le système politique des Etats-Unis.
Possible aussi que Catherine Ashton, Merkel, Hollande et Cameron n'aient jamais vraiment eu l'intention de jouer le rôle qui leur était dévolu –celui d'amis très fermes. A défaut il ne restait au « persistant » John Kerry que ce qui semblait bien être la ligne de moindre résistance –arriver à un accord avec Netanyahou et le présenter aux Palestiniens, «à prendre ou à laisser ».
Selon des fuites des medias israéliens, l'accord devait paraître attrayant pour Netanyahou sur quelques points clé : des formulations précises sur la présence à long terme d'Israël dans la vallée stratégique du Jourdain et l'exigence que les Palestiniens reconnaissent Israël en tant qu' « Etat juif » et au contraire des formulations volontairement vagues sur les frontières de 1967 et la capitale palestinienne à Jérusalem-Est. C'est probablement ce que Kerry a voulu faire avaler à Abu Mazen lors de leur rencontre orageuse à Paris – ce que le président palestinien a rejeté d'emblée puis rejetéà nouveau quand le Président Obama lui a présenté le plat réchaufféà la Maison Blanche.
Il ne restait alors aux Américains que le choix entre reconnaître leur échec –et de cette manière remettre sur un plateau d'argent la victoire à Netanyahou dans le « jeu de qui porte la responsabilité» - ou essayer à tout prix de gagner encore du temps et de prolonger les négociations au-delà de la date butoir fixée au 29 avril.
Cela aurait peut-être pu marcher. Peut-être Abu Mazen aurait-il accepté de prolonger les discussions jusqu'à la fin de l'année, comme le souhaitait Kerry –bien qu'il y ait eu dans la société palestinienne de plus en plus d'appels à mettre fin à cette mascarade. Mais les partenaires de l'aile droite de Netanyahou ont coupé le noeud gordien par la pression intense qu'ils ont exercée sur le Premier ministre –le forçant à annuler la libération de la quatrième fournée de prisonniers, prévue pour le 29 mars. C'était la violation flagrante d'un engagement israélien explicite, qui éliminait la seule douceur offerte aux Palestiniens pour faire passer la pilule amère –et qui a libéré les Palestiniens du siège suffocant des négociations qui ne mènent nulle part, leur apportant ainsi une bouffée soudaine d'air pur et la liberté de prendre leurs propres initiatives.
On a vu d'abord la signature publique et affichée de la demande que la Palestine adhère à15 organisations et traités internationaux. Puis la proposition de prolonger les négociations au-delà du 29 avril –à condition que ce soit des discussions constructives visant à déterminer les frontières de la Palestine en devenir, et que la construction de colonies soit totalement gelée pendant les pourparlers. Ensuite vint la menace de dissoudre l'Autorité Palestinienne (AP) et de « remettre les clés »à Israël. Enfin, l'accord de réconciliation et la fin de la profonde division entre Palestiniens, séparant le Fatah du Hamas et la Cisjordanie de la bande de Gaza.
Le Bureau du Premier ministre à Jérusalem-Ouest et le Département d'Etat à Washington, perplexes et déconcertés par l'abondance des initiatives palestiniennes qui atterrissaient sur leurs bureau, accusèrent les services de renseignement qui n'avaient pas non plus anticipé les décisions palestiniennes.
« Est-ce que les Palestiniens eux-mêmes savent ce qu'ils veulent ? Qu'ils décident s'ils veulent démanteler l'AP ou s'unir avec le Hamas » se moquait Netanyahou. Mais en fait, toutes ces initiatives qui se succédaient rapidement, ne portaient qu'un seul message –aux Israéliens, aux Américains, aux Européens, au monde entier. Les anciennes règles du jeu n'ont plus cours, qui exigeaient des Palestiniens qu'ils jouent le rôle secondaire qu'on leur dictait, sur fond procustéen d'une occupation sans relâche. A partir de maintenant, les Palestiniens prennent leur destin en main et présentent des initiatives auxquelles les autres doivent répondre. Au peuple palestinien, le message qui émane du Bureau de Abbas est tout aussi important : il est possible de prendre l'initiative et de faire avancer les intérêts palestiniens –sans recourir à la violence comme celle qui s'est transformée en bain de sang il y a 14 ans après l'échec de Camp David.
Est-ce que cela peut marcher ? Quelles autres surprises les Palestiniens réservent-ils à Netanyahou, Kerry et Obama et aux autres acteurs de ce drame ?
Une possibilité au moins vient à l'esprit, qui pourrait se concrétiser rapidement : la candidature à la présidence de la Palestine de Marwan Barghouthi – le prisonnier palestinien le plus célèbre, le dirigeant considéré comme celui qui a les meilleures chances de succéder à Abbas. Il se peut fort bien qu'il soit élu président du fond de sa cellule – et que le jour suivant, le personnel de la Sécurité palestinienne notifie à ses homologues israéliens : "Pour la coordination sécuritaire entre nous, vous devez vous adresser à notre président dans votre prison."
http://adam-keller2.blogspot.co.il/...
Adam Keller, un des fondateurs de Gush Shalom, membre de The other Israel et Yesh Gvul, est un militant israélien opposéà la colonisation.
Traduction, CL, Afps