47 ans après l'occupation de Jérusalem-Est en juin 1967, la situation de la population arabe de la ville est toujours plus précaire, selon Zakaria Odeh, directeur d'une coalition d'ONG palestiniennes. Entretien.
- Reuters/Amir Cohen
Zakaria Odeh est un témoin important de la colonisation croissante de Jérusalem-Est. Directeur d'une coalition d'organisations palestiniennes de la ville sainte, la Civic Coalition to Defend Palestinians Rights in Jerusalem*. L'Express l'a rencontré lors de son passage à Paris. Cet entretien a été réalisé avance l'annonce de la construction de nouveaux logements à Jérusalem-Est, mercredi.
Quelle est la situation de la population de Jérusalem-Est en 2014 ?
Toute la politique de l'Etat d'Israël et de la municipalité de Jérusalem vise à y réduire le plus possible la présence des Palestiniens, depuis que Jérusalem-Est a été annexée par Israël en 1967 (une annexion non reconnue par la communauté internationale). En 2014, les Palestiniens représentent 39% de la population de l'ensemble de Jérusalem. On compte actuellement 16 colonies à Jérusalem-Est. Les 210.000 colons qui y vivent représentent aujourd'hui près de 44% de la population de cette partie de la ville, alors qu'ils n'étaient que quelques centaines en 1967. Les Palestiniens ne disposent plus que de 13% du foncier de Jérusalem-Est. Les 87% restants sont contrôlés par l'Etat ou des citoyens israéliens. La situation s'est aggravée avec la construction du mur de séparation : cinq quartiers de Jérusalem, soit 6000à7000 habitants, se retrouvent désormais derrière le mur, encerclés de colonies et de routes.
Comment se traduisent concrètement ces évictions ?
Par tout un ensemble de mesures et de pratiques, comme la confiscation de terres et de bâtiments dans la ville. De lourdes restrictions pèsent en revanche sur les demandes de construction pour les Palestiniens. En dépit de la croissance démographique naturelle de la population arabe (passée de 67.000, en 1967, à350.000 aujourd'hui), les autorisations de bâtir sont délivrées au compte-goutte. Si bien que de nombreuses constructions ou agrandissements sont réalisés sans permis. Leurs propriétaires vivent dans l'angoisse de voir leurs biens détruits. Des milliers de maisons palestiniennes ont ainsi été démolies. Les gens vivent dans des logements exigus tandis que la pénurie rend les loyers prohibitifs. La construction d'écoles est, elle aussi, limitée. Les enfants s'entassent des écoles improvisées dans des bâtiments nullement appropriés pour leur accueil.
Quel est le statut juridique des Palestiniens de Jérusalem-Est ?
Nous ne sommes pas des citoyens comme les autres. Nous sommes "résidents", dans notre propre pays ! Nous vivons pourtant sur cette terre depuis des générations… Plus grave, ce droit de résidence peut nous être retiré si nous quittons la ville plus de 6 ans, même si nous rentrons chaque année. Et cela, que ce soit pour un pays lointain ou pour la ville de Bethléem, à15 minutes de notre quartier. Depuis 2000, plus de 14.000 habitants de Jérusalem-Est ont ainsi perdu leur statut de résident.
En cas de mariage avec une personne extérieure à Jérusalem, le conjoint doit entamer de longues démarches pour obtenir le droit de résidence. Ma femme, par exemple, est une Palestinienne née aux Etats-Unis ; elle a mis dix ans à obtenir le statut de résidente, et encore, je m'estime chanceux ! Autour de moi, certains ont attendu 15 ans. Autre problème, quand l'un des deux parents n'est pas résident, les enfants ne sont pas enregistrés, n'ont pas de statut légal, ce qui les prive du droit d'accès à la sécurité sociale, à s'inscrire à l'école… Des milliers d'enfants sont dans ce cas. Certaines familles sont obligées de vivre séparément. L'épouse vit en Cisjordanie avec les enfants pendant la semaine et rejoint son mari le week-end seulement.
Toutes ces privations sont destinées à pousser les habitants de la ville à l'abandonner.
Les habitants de Jérusalem-Est ont-ils accès aux mêmes services que ceux de la partie Ouest de la cité ?
Non. Cette ville n'est pas gérée comme n'importe quelle autre ville au monde, c'est-à-dire en fonction des besoins sociaux, économiques et humains de ses habitants, mais selon des critères géopolitiques. Les urbanistes israéliens ignorent la population palestinienne. Nous payons les même impôts que les citoyens israéliens, mais entre 9 et 11% seulement des sommes collectées sont réinvesties à Jérusalem-Est. Les routes, les écoles, les équipements de santé, toutes les infrastructures sont sous-dimensionnées dans les quartiers palestiniens. Les conventions internationales prévoient pourtant qu'une puissance occupante doit veiller à l'administration des zones sous occupation.
C'est ainsi que 79% des habitants arabes de la capitale vivent en dessous du seuil de pauvreté (85% pour les enfants).
La situation s'est-elle dégradée ces dernières années ?
Oui. Les démolitions, les confiscations, se sont accélérées. Le harcèlement mené par des groupes intégristes se multiplie. Depuis un an, des colons envahissent régulièrement l'Esplanade des mosquées, attaquent mosquées et églises, bien souvent avec la complicité des forces de l'ordre.
Il faut pourtant admettre que la colonisation n'a jamais cessé sous les gouvernements travaillistes. Ils sont plus doués en "marketing", mais au-delà des beaux discours, nous constatons la réalité sur le terrain. Les négociations de paix entamées ne 1993 n'ont pas ralenti le grignotage des terres palestiniennes. Nous avons le sentiment qu'Israël n'est pas intéressé par la paix.
Qu'attendez-vous de la communauté internationale ?
Nous aimerions que les grandes puissances, l'Union européenne, la France, cessent de fermer les yeux sur ces spoliations, veillent à ce que le droit soit respecté. Jérusalem est primordial pour les Palestiniens. C'est la ville sainte des juifs, mais aussi des chrétiens et des musulmans. Il n'y aura pas de solution définitive à la question israélo-palestinienne si Jérusalem ne fait pas partie de la solution.
*Parmi ses différentes missions, la Civic Coalition to Defend Palestinians Rights in Jerusalem, qui travaille en collaboration avec les organisations internationales (ONU, UE), cherche à documenter les plans d'urbanisme et de développement de l'Etat et de l'administration de Jérusalem. Des équipes d'avocats viennent en aide la population.
Publié par L'Express