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Boucliers humains et « pureté des armes d'Israël »

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Ah ! Qu'elle était belle la guerre des Six Jours en 1967 quand Israël, affrontant une coa­lition d'armées arabes, rem­portait haut la main une guerre « juste » et « propre », sous le signe de la « pureté des armes »… En 1973, la guerre d'octobre menée par l'Egypte est aussi gagnée, mais beaucoup moins faci­lement. Israël ne peut pas alors com­mencer à ima­giner qu'il ne pourra (sur)vivre en sécurité en se basant uni­quement sur sa propre force…

En même temps, la défaite des Etats arabes en 1967 a apporté une écla­tante jus­ti­fi­cation à la stra­tégie autonome du Fatah qui va se lancer à la recon­quête de la terre pales­ti­nienne dans une lutte armée, une lutte de gué­rilla, bientôt appelée « guerre popu­laire pro­longée » qui est sup­posée mobi­liser tout le peuple arabe. Cette résis­tance est d'abord entiè­rement orga­nisée dans les pays limi­trophes, en Jor­danie et au Liban, tout en tentant de frapper des objectifs mili­taires et civils dans les fron­tières de l'Etat d'Israël.

Du même coup, l'émergence de la Résis­tance pales­ti­nienne à l'échelle régionale signifie l'entrée en scène des sociétés arabes. Pour la Palestine, le centre de gravité passera de la société pales­ti­nienne dia­spo­risée à la société pales­ti­nienne de l'intérieur. Avec la Résis­tance pales­ti­nienne devenue mou­vement popu­laire de gué­rilla dis­persée dans des camps en Jor­danie et au Liban et souvent mêlée à la popu­lation locale, l'armée israé­lienne se trouve devant un pro­blème inédit : comment détruire « l'ennemi » sans toucher le « proche voi­sinage », c'est-à-dire les civils ? Le pro­blème se repose lorsque cette résis­tance se déplace de l'extérieur vers le ter­ri­toire pales­tinien occupé par Israël.

Ce nouveau contexte amène Israël à trans­former sa conception et sa pra­tique de la guerre. Les guerres conven­tion­nelles contre les Etats arabes sont finies et gagnées. L'ennemi éta­tique évitait à l'armée israé­lienne de frapper les civils exté­rieurs au « théâtre de guerre » bien délimité dans l'espace. Désormais l'ennemi à battre se trouve « comme un poisson dans l'eau » dans la société, ce qui va faire de la des­truction de la société envi­ron­nante le préa­lable de la défaite mili­taire de cet « ennemi ». La dis­suasion israé­lienne, qui jusque là mon­trait par l'étalage de sa force à l'ennemi ce à quoi il s'exposait s'il osait attaquer, passe à l'acte en détruisant l'infrastructure éco­no­mique et sociale comme « démons­tration concrète de la déter­mi­nation de s'en servir, c'est-à-dire (…) sur le mode de la guerre » (Roger Nabaa, dans Esprit novembre 2010, s'inspirant du livre d''Eyal Weizsman A travers les murs. L'architecture de la nou­velle guerre urbaine, La fabrique , 2008). Fina­lement la dis­suasion des sociétés ennemies passe par des des­truc­tions mas­sives qui affectent direc­tement les civils. Il n'y a plus de dis­tinction entre guerre et dis­suasion, d'où la « dis­pro­por­tion­nalité» comme com­po­sante stra­té­gique de la nou­velle dis­suasion israé­lienne. C'est au Liban en 1982 – l'année de Sabra et Chatila – et en 2006 – contre le Hez­bollah – que s'est mis au point le passage de la guerre «éta­tique »à la guerre « asy­mé­trique ». C'est dans ce climat que du côté pales­tinien com­mence la recherche d'une nou­velle stra­tégie, non-​​militaire, d'une stra­tégie de lutte non-​​violente qui sera mise en œuvre en 1987 avec la pre­mière Intifada. A cette même époque, les dif­fé­rentes com­po­santes de l'OLP sécu­lière sont confrontées, avec la nais­sance du Hamas en 1988, à un phé­nomène isla­mique. Désormais l'OLP est placée devant un phé­nomène poli­tique qui posera la question de l'emploi des dif­fé­rentes formes de lutte armée pour libérer la Palestine…

Israël ressent alors la nécessité de déve­lopper un dis­cours spé­ci­fique pour faire accepter sa nou­velle stra­tégie mili­taire qui prend vite aux yeux de l'opinion inter­na­tionale la forme de « sales guerres ». C'est alors qu'on va nous servir la question des bou­cliers humains. L'actuel mas­sacre de civils à Gaza nous contraint à reprendre cette question.

Dans le jargon mili­taire, repris sans trop d'interrogations par les prin­cipaux médias, le bou­clier humain est composé de civils situés à proximité d'un objectif mili­taire pour dis­suader l'ennemi de le frapper. Ou mieux, pour faire en sorte que celui qui malgré tout décide de le frapper com­mette un hor­rible crime de guerre qui délé­gitime son action et ses objectifs. Il y a deux sortes de bou­cliers humains pos­sibles : ceux qui sont constitués de per­sonnes contraintes de jouer ce rôle, ce sont alors des otages, ou ce sont des per­sonnes volon­taires qui sont alors com­plices. Pour Israël ce ne peut être que la deuxième caté­gorie qui s'impose et pour les « otages » il n'y a guère de marge de manœuvre pour les éviter. Telle serait la stra­tégie d'utilisation de la popu­lation par le Hamas qui contrain­drait Israël à tuer des civils pour atteindre ses objectifs mili­taires. En fait, en raison de l'exceptionnelle densité démo­gra­phique dans la bande de Gaza, le cadre de vie des Gazaouis, bien connu par l'état-major israélien, montre une réalité bien dif­fé­rente de celle attribuée au Hamas. Ainsi les civils, avertis par l'armée israé­lienne cinq minutes avant d'appuyer sur le bouton, ne peuvent guère s'éloigner du lieu de leur déjà très pré­caire vie quo­ti­dienne et forment une sorte de bou­clier humain non plus pour un res­pon­sable du Hamas habitant dans le même immeuble qu'eux mais souvent parti ailleurs, mais pour leur cadre de vie familier qui com­prend aussi la mosquée, l'école, une éven­tuelle structure sani­taire et un local de l'UNRWA. Ce lieu de vie, du fait de la conti­guïté entre mili­ciens et civils, entre ins­tal­la­tions « mili­taires » et struc­tures civiles, rend impos­sible une dis­tinction entre com­bat­tants et civils, d'autant plus que dans ce genre de bataille les com­bat­tants peuvent rede­venir vite des civils et les civils des combattants…

En der­nière analyse, la théorie israé­lienne du bou­clier humain n'est que le pré­texte d'une stra­tégie mili­taire qui n'accepte pas le droit inter­na­tional huma­ni­taire considéré comme un obs­tacle pour ses propres objectifs, et qui, par consé­quent, refuse la dis­tinction entre civils et com­bat­tants. Ce n'est plus la résis­tance pales­ti­nienne armée qui est l'ennemie : l'ennemi c'est la société. C'est le sociocide tel que défini par le socio­logue pales­tinien Salah Abdel Jawad, qui s'ajoute à l'épuration eth­nique. Les élu­cu­bra­tions du porte-​​parole de l'armée israé­lienne tournant tou­jours sur le thème du bou­clier humain pour jus­tifier le bom­bar­dement d'une école ou d'un hôpital ou du quartier de Choul­jaiya sont lit­té­ra­lement obs­cènes. Un com­por­tement qui entraîne une réaction pré­vi­sible de la victime : « Main­tenant tous les Israé­liens sont devenus des objectifs légi­times », a déclaré le porte-​​parole du Hamas, Sami Abu Zuri. Israël a enclenché une spirale de l'horreur « légitime » qui risque d'emporter la société pales­ti­nienne mais aussi la société israé­lienne vers une irré­mé­diable catastrophe.


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