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La guerre Iran - Israël n'aura pas lieu

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Les risques d'attaque par Israël des ins­tal­la­tions nucléaires ira­niennes ont occupé l'espace diplo­ma­tique et média­tique ces der­niers mois, les diri­geants israé­liens voyant dans la période pré­cédant les élec­tions amé­ri­caines, le moment propice pour faire monter la pression sur leurs alliés occi­dentaux sur le thème de « Réglez le pro­blème du nucléaire iranien, sinon, on s'en chargera … ». Dans un tel contexte, il est tou­jours important de rap­peler un certain nombre de faits qui carac­té­risent les rela­tions entre l'Iran et Israël.

Même si le soutien de l'Iran du Shah à Israël n'était pas absolu (l'Iran a pris parti pour les pays arabes lors du conflit de 1973), l'Iran avait alors des rela­tions diplo­ma­tiques avec Israël, lui achetait des armes et lui vendait son pétrole. Dans ce contexte, on a assisté à un ren­ver­sement total d'alliance lors de la révo­lution en 1979. Un des pre­miers gestes sym­bo­liques du régime isla­mique n'a-t-il pas été de donner le siège de l'ambassade d'Israël à l'OLP. L'opposition à Israël est ainsi devenue un « mar­queur » idéo­lo­gique de la Répu­blique isla­mique d'Iran. Concrè­tement, cette position s'est aussi tra­duite par un soutien au Hez­bollah libanais et au Hamas. Dans ces condi­tions, l'arrivée au pouvoir d'Ahmadinejad en 2005 et ses décla­ra­tions incen­diaires contre Israël (dont celle de 2005 portant sur la des­truction de l'Etat hébreu vient d'être démentie par le ministre israélien du ren­sei­gnement lui-​​même), la pour­suite du pro­gramme nucléaire iranien ont conduit à une idée lar­gement dif­fusée d'un Iran dirigé par des « fous » et ris­quant de détruire Israël avec ses mis­siles à têtes nucléaires.

Or, cette vision est fausse. Il suffit de sortir du « prêt à penser » cari­ca­tural. On peut à ce propos rap­peler quelques faits.

- Le régime isla­mique d'Iran est avant tout prag­ma­tique. Selon Gary Sick, pro­fesseur à l'université de Columbia, les Israé­liens ont signé un contrat de vente d'armes avec les Ira­niens après la révo­lution. Ces livraisons se sont pour­suivies jusqu'à l'affaire Iran-​​Contra en 1986.

- L'Iran et Israël n'ont pas de conten­tieux autre qu'idéologique. Il n'y a pas de pro­blèmes de fron­tières ou autres entre les deux pays qui sont dis­tants l'un de l'autre de près de 1700 kilomètres.

- Les rela­tions entre l'Iran et le peuple juif sont anciennes, remontant jusqu'aux aché­mé­nides, plu­sieurs siècles avant JC. Même un évènement aussi important que la révo­lution isla­mique d'Iran n'a pu changer cette situation. La consti­tution adoptée en 1980 reconnaît offi­ciel­lement le judaïsme et il existe une petite com­mu­nauté de juifs (20 000) qui vit tou­jours en Iran (1), ce qui tranche avec la situation de pays voisins.

- La vision cari­ca­turale pré­sentée plus haut d'un Iran fanatisé voulant détruire Israël oublie com­plè­tement un certain nombre d'éléments de géo­po­li­tique. La Répu­blique isla­mique d'Iran, notamment depuis la fin de la guerre avec l'Irak, mène une poli­tique marquée avant tout par la volonté d'être reconnue comme la puis­sance régionale incon­tour­nable, conti­nuant ainsi la poli­tique menée sous le Shah. Il faut donc inter­préter le soutien au Hez­bollah ou au Hamas ou la rhé­to­rique anti­sio­niste du régime iranien, comme une manière de ren­forcer son statut dans la région en étant en pointe de la lutte pour la « libé­ration » des Pales­ti­niens. Cette stra­tégie a été poussée à l'extrême par Ahma­di­nejad. Le pro­gramme nucléaire iranien, com­mencé sous le Shah et aban­donné après la révo­lution, a été réini­tialisé à partir du milieu des années 1980 : l'objectif était alors de construire une force de dis­suasion, le conflit avec l'Irak de Saddam Hussein ayant révélé que l'Iran ne pouvait compter que sur lui-​​même en cas d'agression exté­rieure (absence de réaction du Conseil de Sécurité des Nations Unies, soutien général des occi­dentaux à Saddam Hussein, etc.). Depuis, on peut penser que la pour­suite de ce pro­gramme nucléaire est plus associée à cette volonté de ren­forcer le statut de puis­sance régionale de l'Iran.

- Ahma­di­nejad n'a jamais dirigé l'Iran et son pro­gramme nucléaire. Le mode de prise de décision au plus haut niveau en Iran depuis la révo­lution est très dif­ficile à déchiffrer (même pour les Ira­niens eux-​​mêmes …). Le Guide Suprême, Ali Kha­menei, doit tou­jours donner son accord à une décision finale mais cette décision résulte aussi d'intenses négo­cia­tions entre les dif­fé­rents centres de pouvoir qui com­posent le pouvoir iranien. Si, suite à son élection, Ahma­di­nejad a semblé être en position de force, il n'a jamais pu diriger seul, notamment le pro­gramme nucléaire. En outre, le pré­sident iranien a vu son influence très net­tement reculer ces der­niers mois. Le Guide et une majorité des conser­va­teurs pré­sents au Par­lement ont très vivement cri­tiqué son « popu­lisme » écono­mique. En outre, cette même mou­vance, attachée au principe de Velayat-​​eh faqih (supé­riorité du reli­gieux sur le poli­tique) ont ouver­tement accusé le pré­sident et son conseiller Esfandiar Rahim Mashâi, d'avoir pour objectif une éviction des reli­gieux du pouvoir iranien. Or, ces conser­va­teurs, opposés au pré­sident, se pré­sentent eux-​​mêmes comme plus rationnels dans les poli­tiques qu'ils pro­posent. En matière de poli­tique étrangère, cela signifie clai­rement qu'ils pri­vi­lé­gient la dis­cussion aux dis­cours à l'emporte-pièce d'Ahmadinejad.

- Ces ten­sions doivent aussi beaucoup à des ques­tions de poli­tique inté­rieure. On sait à quel point le régime iranien a besoin d'un ennemi exté­rieur pour faire appel au natio­na­lisme. Cette poli­tique, qui a com­mencé avec la guerre avec l'Irak, a été pour­suivie par Ahma­di­nejad qui préfère pré­senter l'Iran comme ne reculant jamais face aux pres­sions exté­rieures qu'aborder les très nom­breux pro­blèmes écono­miques, sociaux et poli­tiques qui inté­ressent la popu­lation. Mais, toutes pro­por­tions gardées, n'en est-​​il pas de même en Israël, où le recours à l'ennemi exté­rieur permet d'unifier le pays et de légi­timer un gou­ver­nement alors que le pays doit répondre à des défis internes beaucoup plus complexes ?

On est donc loin de la vision sim­pliste dénoncée en intro­duction. Or, compte tenu de cet envi­ron­nement, il apparaît très impro­bable qu'un conflit éclate entre les deux pays. Les risques viennent plus de la mécon­nais­sance de l'Iran ou même de la stra­tégie occi­dentale suivie dans le cadre du nucléaire qui est carac­té­risée par le refus d'une véri­table négo­ciation avec l'Iran (« puisqu'on ne peut pas leur faire confiance ») et le choix de la manière forte (« Faites ce que l'on vous dit sinon sanc­tions ou … guerre »). Or, cette poli­tique fait le jeu des cou­rants les plus radicaux en Iran et accroit les ten­sions entre l'Iran et les pays occi­dentaux (ce qui a contribué à la montée du prix du pétrole depuis la mise en place des sanc­tions amé­ri­caines et euro­péennes ces der­niers mois). En fait, en Israël même, on sent une grande indé­cision au sujet d'un éventuel conflit. Le chef d'état-major de l'armée israé­lienne ne vient-​​il pas de déclarer que l'Iran n'a pas encore pris la décision d'acquérir la bombe ato­mique contre­disant direc­tement les propos alar­mistes du gou­ver­nement israélien.

Face aux risques incal­cu­lables que ferait peser un conflit (pas seulement au Moyen-​​Orient, et pour long­temps), il est évident que de véri­tables négo­cia­tions restent le meilleur moyen de régler cette crise. Les auto­rités ira­niennes ont d'ailleurs démontré une réelle volonté de négocier lors de la réunion d'Istanbul à la mi-​​avril 2012 : les 5 + 1 et l'Iran se sont mis d'accord sur un cadre de négo­ciation qui devrait per­mettre le début de véri­tables dis­cus­sions lors de la pro­chaine réunion prévue à Bagdad fin mai.

Il est tou­tefois clair qu'il ne faut pas s'attendre à des miracles sur ce dossier tant il est com­plexe et tant la méfiance est grande des deux côtés. Du côté iranien, le pouvoir a décidé d'adopter une stra­tégie plus constructive dans ces nou­velles dis­cus­sions sur le nucléaire. Cette stra­tégie peut s'expliquer par un certain nombre d'éléments :

- Les élec­tions légis­la­tives de mars 2012 ont montré à travers l'élection de près de 80 députés indé­pen­dants un réel mécon­ten­tement jusque dans les rangs de ceux qui sou­tiennent le régime. Un certain nombre d'entre eux ont sans doute plus voté par natio­na­lisme face aux menaces exté­rieures que par conviction poli­tique. Cette popu­lation est lasse de la guerre intestine entre le pré­sident et le par­lement. Une porte de sortie à cette crise est l'effacement pro­gressif du champ poli­tique du clan d'Ahmadinejad, qui a enre­gistré une très nette défaite lors de ces élec­tions. Comme cela a déjà été dit, les oppo­sants conser­va­teurs au pré­sident jugent qu'une poli­tique exté­rieure moins agressive serait plus efficace.

- Le mécon­ten­tement popu­laire face à la situation écono­mique est réel. Ces dif­fi­cultés ont surtout des causes internes. La mise en place du pro­gramme de sup­pression des sub­ven­tions a conduit à une accé­lé­ration de l'inflation qui se situait offi­ciel­lement à 21 % en janvier 2012. Tou­tefois, de nom­breux spé­cia­listes estiment que l'inflation est en réalité beaucoup plus élevée. Les syn­dicats évoquent une inflation qui aurait atteint 60 % ! Les inquié­tudes en Iran sont grandes alors que le gou­ver­nement veut continuer sa poli­tique de sup­pression des sub­ven­tions. Par ailleurs, le taux de chômage est tou­jours élevé. Offi­ciel­lement, le taux de chômage des 15-​​24 ans attei­gnait 26,5 % en 2011. En outre, les sanc­tions aggravent ces pro­blèmes. Les sanc­tions finan­cières amé­ri­caines mises en place en juillet 2011 et visant notamment la banque cen­trale d'Iran ont un effet sur les expor­ta­tions ira­niennes de pétrole. Du fait de pro­blèmes de paiement, les impor­ta­tions pétro­lières de la Chine en pro­ve­nance d'Iran auraient chuté de 39 % au premier tri­mestre 2012 par rapport à la même période de l'an passé. En outre, du fait des sanc­tions finan­cières mises en place sous pression amé­ri­caine, il est dif­ficile pour les entre­prises ira­niennes de trouver des banques qui acceptent de tra­vailler avec elles pour financer les impor­ta­tions ou effectuer des trans­ferts finan­ciers vers l'Iran suite à des expor­ta­tions. Ceci ne signifie pas que les sanc­tions ont « bloqué » l'économie ira­nienne. Il existe un certain nombre d'intermédiaires finan­ciers qui acceptent de tra­vailler avec l'Iran mais les marges qu'ils demandent sont beaucoup plus élevées. L'Inde est devenue le premier client pour le pétrole iranien début 2012. Par ailleurs, la forte hausse du prix du pétrole permet à l'Iran de pro­poser des rabais sur ses ventes tout en béné­fi­ciant de prix rela­ti­vement élevés. Enfin, le gou­ver­nement avait déjà de près de 110 mil­liards de dollars de réserves en devises fin 2011.

Ce contexte poli­tique et écono­mique signifie que l'Iran a décidé d'adopter une stra­tégie plus constructive dans ses nou­velles dis­cus­sions sur le nucléaire. On ne peut pas dire que ce sont les sanc­tions qui ont fait changer d'avis l'Iran. C'est plutôt le contexte poli­tique qui explique cette situation, notamment la dimi­nution de l'influence d'Ahmadinejad dans la manière de pro­céder. L'Iran veut doré­navant pré­senter un « visage » plus constructif dans ses dis­cus­sions et montre qu'il est capable de coopérer. Tou­tefois, cette attitude ne signifie nul­lement que l'Iran va accepter d'arrêter son pro­gramme d'enrichissement d'uranium, même à 20 %. Les auto­rités ira­niennes pensent qu'elles sont désormais en position de force du fait des progrès réa­lisés en matière d'enrichissement d'uranium et qu'elles peuvent donc se per­mettre de négocier.

Dans tous les cas, cette évolution de la stra­tégie ira­nienne dépendra aussi lar­gement de l'attitude qui sera adoptée par les pays occi­dentaux lors des futures négo­cia­tions. Si ces der­niers veulent obtenir des garanties quant au caractère civil du pro­gramme iranien, ils doivent aussi être prêts à faire les conces­sions néces­saires (levée pro­gressive des sanc­tions) et à com­mencer enfin à véri­ta­blement négocier…

(1) Il est vrai que cette com­mu­nauté a été for­tement réduite depuis la révo­lution du fait de nom­breuses émigrations.

Publié par IRIS


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