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Un an après son admission à l'ONU, "l'Etat Palestinien dans un piège"

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Le 29 novembre 2012, la Palestine était admise à l'ONU comme État obser­vateur. Mais en dépit de la relance des négo­cia­tions avec Israël en juillet, la question pales­ti­nienne semble dans l'impasse. L'analyse de Jean-​​François Legrain, spé­cia­liste des mou­ve­ments palestiniens.

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L'initiative pro­posées par Sari Nus­seibeh aurait permis aux Pales­ti­niens des Ter­ri­toires occupés de retrouver une vie normale après des années de blocus de leurs villes et vil­lages. AFP/​Jafaar Ashtiyeh

Un an après l'admission de la Palestine à l'ONU, et 20 ans après les accords d'Oslo, la pers­pective de la construction d'un État pales­tinien indé­pendant semble tenir du mirage…

Au stade actuel comme par le passé, la négo­ciation permet surtout de masquer le maintien du statut quo, lequel arrange à la fois Israël et la com­mu­nauté internationale.

L'État hébreu, en effet, ne veut pas d'un État pales­tinien au vrai sens du terme car il entend pour­suivre la colo­ni­sation et garder le contrôle sur les fron­tières orien­tales. Et ce n'est pas l'opinion publique israé­lienne qui fera bouger les choses : dans leur grande majorité, les Israé­liens sont avant tout pré­oc­cupés de leur train de vie et non du sort de leurs voisins.

De son côté, la com­mu­nauté inter­na­tionale laisse Israël gérer le conflit maintenu à basse intensité. Dans ce cadre, le soutien financier accordéà l'Autorité pales­ti­nienne est en réalité une aide accordée à Israël ainsi exonéré de ses res­pon­sa­bi­lités d'occupant. Pour les grandes puis­sances, de toute façon, la question israélo-​​palestinienne n'est plus cen­trale. Les négo­cia­tions en cours avec Téhéran montrent bien que c'est l'Iran qui est désormais le pivot de la poli­tique inter­na­tionale dans la région… d'où un certain dépit israélien caché der­rière un souci de sécurité.

Dans ce contexte, comment inter­préter la contra­diction de la diplo­matie fran­çaise qui a voté pour l'admission de l'État de Palestine à l'ONU sans le recon­naître for­mel­lement dans le cadre bila­téral ? Conscience aigüe de l'inanité actuelle de cet État ou manque de courage politique ?

La marge de manoeuvre des Palestiniens est très réduite…

Les Pales­ti­niens sont en effet dans l'incapacité de contraindre Israël et la com­mu­nauté inter­na­tionale à les sortir de ce piège. L'OLP poursuit sa fos­si­li­sation. La totale impuis­sance de son lea­dership s'est ainsi mani­festée dans le dossier syrien. Censés repré­senter le peuple pales­tinien dans sa totalité, l'OLP et l'État ont été inca­pables de pro­téger les camps de Syrie, celui de Yarmouk près de Damas ayant été en grande partie vidé de sa popu­lation. L'État de Palestine s'est éga­lement soumis au diktat lui imposant de ne pas déposer plainte contre Israël auprès de la Cour inter­na­tionale de justice et de s'abstenir de poser sa can­di­dature à dif­fé­rences ins­tances de l'ONU.

Vous estimez que l'impasse ne date pas d'aujourd'hui…

" L'Autorité pales­ti­nienne n'est plus qu'une machine à défendre les avan­tages d'un "peace business" qui tourne à vide mais procure des revenus au petit milieu qui le fait fonctionner "

Non. Une fois constaté que le pro­cessus d'Oslo était un jeu de dupes inapte à déboucher sur une solution négociée du conflit, Yasser Arafat aurait dû rendre les clés de la gestion de l'autonomie dès la fin de la période inté­ri­maire en 1999-​​2000. Israël se serait retrouvé face à ses obli­ga­tions de puis­sance occu­pante. Faute de lea­dership pales­tinien acceptant leur approche du conflit, les États-​​Unis auraient été contraints de rechercher une autre dyna­mique que celle des accords d'Oslo.

Mahmoud Abbas a lui-​​même menacéà plu­sieurs reprises de déman­teler l'Autorité pales­ti­nienne si les négo­cia­tions n'avançaient pas. Mais c'était sur le mode de la bravade, his­toire de tenter de redonner du sens à des dis­cus­sions rendues sté­riles par la partie israélienne.

Y a t-​​il des perspectives d'alternance ?

La sclérose de l'OLP, initiée dès l'ère Arafat se mani­feste par l'absence de renou­vel­lement du lea­dership de l'Autorité pales­ti­nienne. Aucun suc­cesseur potentiel de Mahmoud Abbas ne sort du lot, pas même Marwan Bar­ghouti pério­di­quement mis en avant par la com­mu­nauté inter­na­tionale. Ce vide n'est comblé que par des luttes intes­tines entre per­son­na­lités dénuées de soutien popu­laire et qui peuvent être des pions de puis­sances étran­gères. Les ins­tances diri­geantes pales­ti­niennes sont ainsi une fois de plus l'objet des riva­lités inter arabes.

"Les ins­tances diri­geantes pales­ti­niennes sont une fois de plus l'objet des riva­lités inter arabes "

Plu­sieurs attaques armées ont ainsi eu lieu contre des figures du Fatah ces der­nières semaines, dans le cadre de la lutte entre Mohammed Dahlan —soutenu par les Emirats arabes unis-​​-​​ et ses oppo­sants. L'ancien chef de la sécurité de Gaza, en conflit avec Mahmoud Abbas et d'autres diri­geants du Fatah, cherche à revenir dans le jeu, malgré les accu­sa­tions de cor­ruption et de meurtre qui pèsent sur lui. Un temps considéré comme suc­cesseur pos­sible d'Arafat, ce farouche opposant au Hamas obtiendra-​​t-​​il la bien­veillance des États-​​Unis ? Ses par­rains des Émirats, en tous cas, lui donnent les moyens d'"arroser" pour pré­parer un éventuel retour quand leur rival du Qatar tiédit son soutien au Hamas. Abbas est quant à lui aban­donné de ses pairs arabes à l'exception du nouvel homme fort égyptien, le général Abdel Fattah al-​​Sissi.

Une ten­tative de prise de pouvoir par des hommes des ser­vices de sécurité, cela res­semble à ce qui s'est produit dans de nom­breux pays arabes par le passé…

Ce sont déjà les hommes des ren­sei­gne­ments qui détiennent le véri­table pouvoir en Cis­jor­danie. Mahmoud Abbas n'est guère plus qu'une marion­nette diplo­ma­tique coincée entre un Premier ministre en charge des affaires éco­no­miques et les hommes de l'ombre que sont Majid Faraj, chef des ren­sei­gne­ments généraux, et Ziyad Hib al-​​Rih, chef de la Sécurité pré­ventive. Leur montée en puis­sance est le fruit de la poli­tique amé­ri­caine et inter­na­tionale qui a pri­vi­légié, avec les accords d'Oslo, la question sécu­ri­taire, les États-​​Unis étant direc­tement impliqués dans la for­mation de ces forces en Jordanie.

"Ce sont les hommes des ren­sei­gne­ments qui détiennent le véri­table pouvoir en Cisjordanie "

Désormais, essen­tiel­lement pré­oc­cupés par les pré­bendes que procure le soi-​​disant "pro­cessus de paix", le lea­dership pales­tinien et les ser­vices de sécurité veillent à ce qu'il n'y ait pas d'opposition qui puisse mettre en péril leur juteuse relation avec Israël. C'est l'un de leurs rares succès, facilité par le fait qu'en dehors des isla­mistes la popu­lation ne fait montre de reven­di­ca­tions qu'économiques et de moins en moins d'ordre patrio­tique. Associée à la situation inex­tri­cable dont ils sont aujourd'hui les vic­times, bien des jeunes Pales­ti­niens ne voient plus dans l'idée même d'État de Palestine un thème mobilisateur.

Qu'en est-​​il du sort des Palestiniens de la diaspora ?

En accordant dans le cadre du pro­cessus d'Oslo un droit au retour per­son­nalisé, Israël a décapité les popu­la­tions pales­ti­niennes de l'extérieur de leur lea­dership poli­tique. Alors que, depuis l'exil, ils lut­taient pour le droit au retour des Pales­ti­niens chassés en 1947-​​1948, une fois rentrés au pays, cette question est passée loin der­rière la gestion de l'autonomie de la Cis­jor­danie et de la bande de Gaza. En assi­milant de facto l'OLPà l'Autorité pales­ti­nienne, Arafat a ensuite aban­donné les popu­la­tions de la dia­spora à leur sort.

Le Hamas tient-​​il tou­jours soli­dement les rênes de Gaza ? Les chan­ge­ments dans la scène poli­tique régionale jouent en sa défaveur…

Le Hamas a effec­ti­vement connu plu­sieurs revers dans ses alliances exté­rieures. Le ren­ver­sement de Mohamed Morsi en Égypte lui com­plique la tâche, même si l'ancien pré­sident, loin de s'aligner sur le Hamas en matière pales­ti­nienne, défendait avant tout ses intérêts nationaux. A cette époque déjà, des tunnels étaient détruits et le blocus de Gaza n'avait été que très par­tiel­lement levé. Mais la situation a consi­dé­ra­blement empiré depuis le coup d'État militaire.

L'amoindrissement de l'aide des par­rains syrien et iranien, dont le Hamas s'était éloigné après le début du sou­lè­vement contre le régime d'Assad, avait été com­pensé par celle du Qatar. Mais Doha opère ces der­niers mois un repli diplo­ma­tique. Côté iranien, le grand jeu diplo­ma­tique en cours risque d'affaiblir encore plus le soutien de Téhéran aux isla­mistes pales­ti­niens. L'Iran entend depuis des lustres retrouver le rang régional qu'il estime lui être du. Si peu à peu les États-​​Unis lui recon­naissent à nouveau ce rôle, l'affichage de son hos­tilitéà Israël pourrait dis­pa­raître et l'alliance avec la Syrie évoluer. Si l'Iran main­tiendra pro­ba­blement une alliance forte avec son protégé chiite libanais, le Hez­bollah, il sera vrai­sem­bla­blement amenéà mettre une sourdine à sa poli­tique palestinienne.

A l'évidence affaibli dans ses sou­tiens externes, le Hamas n'a pour le moment à faire face à aucune oppo­sition struc­turée. Le mou­vement Tamarrod apparu au cours de l'été—sur le modèle de celui qui a soutenu le ren­ver­sement de Mohamed Morsi en Égypte-​​-​​ a ainsi tota­lement échouéà mobiliser.

Les Pales­ti­niens avaient-​​ils d'autres options face à l'impasse que vous décrivez ?

L'OLP s'est montrée inca­pable d'innover pour éviter le piège dans lequel elle est aujourd'hui enfermée. Loin de per­mettre d'en sortir, il y a fort à parier que le passage d'une reven­di­cation de deux États à un seul, bina­tional, ne fera qu'accroître la pression.

Pour moi, le seul à avoir émis une idée réel­lement nova­trice et por­teuse d'alternative même si elle ignorait le sort des réfugiés est l'universitaire Sari Nusseibeh [1]. Consi­dérant qu'une réso­lution du conflit sur une base de prin­cipes est impos­sible dans le contexte actuel, il pro­posait de la remettre à plus tard. Il sug­gérait que soit octroyé un statut de rési­dents étrangers à l'ensemble des Pales­ti­niens des ter­ri­toires occupés qui leur per­met­trait de retrouver une vie normale après des années de blocus de leurs villes et vil­lages. Cette nou­velle cir­cu­lation des per­sonnes et des biens per­met­trait, d'une part, de redonner du dyna­misme à l'économie pales­ti­nienne, et, d'autre part, de rétablir des contacts et une confiance qui n'existent plus entre les deux peuples. Bien sûr, une telle pro­po­sition implique l'arrêt de la colonisation.

Cette idée, véri­ta­blement révo­lu­tion­naire même si elle était le fait d'un notable de Jéru­salem, aurait mérité d'être débattue. Bien qu'ayant déjà aban­donné nombre de ses prin­cipes, le lea­dership pales­tinien refusa de prendre en compte cette remise en question de la création d'un État le plus tôt possible.

Plus récemment, je considère que les auto­rités pales­ti­niennes ont eu tort d'appeler une nou­velle fois au boycott de l'élection muni­cipale israé­lienne à Jérusalem-​​Est. Ce principe était com­pré­hen­sible au début de l'occupation de la partie arabe de la ville sainte : par­ti­ciper serait revenu à légi­timer cette occupation.

Près de 50 ans plus tard, le boycott m'apparaît comme une erreur poli­tique. Du fait de leur poids démo­gra­phique, en effet, les Pales­ti­niens auraient rem­porté bon nombre de sièges. La gestion commune des affaires muni­ci­pales aurait ainsi permis l'amélioration du sort des Pales­ti­niens de la ville. Elle aurait surtout constitué une expé­rience pour la partie israé­lienne. Dans le meilleur des cas, elle aurait été amenée à déve­lopper d'autres coopé­ra­tions paci­fiques jusqu'à pouvoir envi­sager un seul État. Sinon, elle aurait été contrainte de décider une véri­table coupure avec les Pales­ti­niens pour conserver l'exclusivité dans la gestion de ses affaires, exclu­sivité que menace à terme l'absence de réso­lution du conflit.

Jean-​​François Legrain est chargé de recherche au CNRS/​Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman de l'Université Aix-​​Marseille.


[1] Lire Une allu­mette vaut-​​​​elle toute notre phi­lo­sophie ? Nouveau regard sur l'avenir de la Palestine, par Sari Nus­seibeh, Flam­marion, 2012


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